Cinéma en salles : Nightmare Alley, de Guillermo del Toro (2022)

avec Bradley Cooper, Rooney Mara, Cate Blanchett,  Toni Collette,Willem Dafoe, Ron Perlman, Mary Steenburgen et Richard Jenkins. 151 mn

Après ses quatre Oscars pour son merveilleux conte gothico fantastique La Forme de l’Eau et son incursion (réussie) dans le monde des séries avec Carnival Row (sur Amazon Prime Vidéo), Guillermo del Toro revient nous éblouir avec Nightmare Alley, un cinéma qui coche toutes les cases pour nous offrir un film envoûtant. Cet hommage virtuose aux films noirs de l’âge d’or d’Hollywood est à découvrir sur le grand écran du Max Linder Panorama à Paris au choix en couleurs ou en noir et blanc.

Un hommage aux grands films noirs d’Hollywood

Tiré d’un roman de William Lindsay Gresham déjà adapté par Edmund Goulding en 1947 (Le Charlatan, avec Tyrone Power), Nightmare Alley dernière réalisation de l’oscarisé Guillermo del Toro, nous entraînent du Middle West à New-York  dans les années 40. En adoptant un ensemble de codes romanesques et dramatiques parfaitement huilés, ce film endosse un style aux nombreuses réminiscences de l’âge d’or d’Hollywood qui subjugue.
Del Toro ne s’en cache pas et cite d’ailleurs une liste d’une dizaine de films des années 40-50 dont il s’est inspiré : « Le film noir est un genre qui est pour moi l’équivalent américain de la tragédie antique. déclare-t-il au Point. Dans la mythologie grecque, l’homme lutte contre les dieux et le destin. Dans la littérature noire, l’homme doit se battre contre ses propres décisions, contre la tragédie qu’il s’inflige à lui-même. Nightmare Alley, c’est une tragédie typiquement américaine. » Contrairement à ce que le titre pourrait suggérer, il ne s’agit pas d’une histoire horrifique, mais d’une étude morale qui radiographie le sempiternel rêve américain (l’allée du cauchemar), au travers de l’ascension et la chute d’un arriviste sans scrupules.

Construit comme un cercle parfait

Un homme abandonne un corps emmailloté dans une maison en flammes derrière lui. À la façon d’un chien errant, il atterrit dans un monde solidaire mais également cruel, celui de forains à la petite semaine qui parcourt les fins fonds du Middle West. De petits boulots contre un repas chaud en auxiliaire complice dans un numéro de magie mentaliste, une ambition et un orgueil sans limite le poussera à en vouloir beaucoup trop et passer à côté d’un bonheur qu’il aura à portée de main.
Parfaitement réalisé dans la forme, que ce soit la mise en scène, le découpage ou l’image (magnifiquement sépia), le tout en symbiose avec le fond, une histoire au parfum psychanalytique imbriquée dans un contexte hautement signifiant, la manipulation mentale sous couvert de tours de magie; le tout dans une époque troublée par la guerre et l’éternelle opposition entre ceux d’en bas et ceux d’en haut.
En détaillant ce qui fait la misère morale, Guillermo del Toro renvoie dos à dos les nantis et défavorisés. Ceux qui exploitent pour survivre et tentent de trouver un sens à leur existence et ceux qui dominent de leur éminente supériorité sociale en se souciant uniquement de leur propre turpitude. Entre les deux naviguent à vue de bonnes âmes résilientes ou désespérées.

Un casting doré sur tranche

Bradley Cooper reprend le rôle de Tyrone Power

La qualité de la distribution donne l’occasion à Bradley Cooper de confirmer qu’il est un acteur à la palette étendue. Autour de lui la divine Rooney Mara princesse saltimbanque, reine de l’électricité fait face à une sulfureuse Cate Blanchett en psychanalyste retors, tandis que Willem Dafoe en forain d’une bonhomie de fripouille, et Toni Collette en diseuse de bonne aventure résignée complète le tableau sans oublier les discrets et assidus David Strathairn en ex étoile mentaliste alcoolique et Richard Jenkins en milliardaire rongé par des actes que l’on devine pervers, prêt à tout pour trouver un semblant de rachat.
Comme l’explique Guillermo del Toro, ce sont ses quatre oscars qui lui ont permis de réunir tout ce beau monde et de pouvoir réaliser un film à 60 millions de dollars. Malgré le soutien énamouré d’un Martin Scorsese, il ne semble pas faire un tabac au box-office. C’est bien dommage, ce film qui a vraiment de l’allure évoque tout ce que l’on aime au cinéma, à commencer par une bonne histoire superbement racontée.

… et un effet miroir sur notre temps : « On a tous en nous une part de Stanton et nous devons questionner quotidiennement notre relation à la vérité et au mensonge, notamment à l’ère des réseaux sociaux et des médias en ligne. insiste le réalisateur. Nightmare Alley se passe entre les années 1939 et 1941, mais il parle bien de notre présent. Sur ces réseaux, nous nous enfermons dans un monde où nous filtrons la réalité pour qu’elle corresponde à notre propre récit, et nous fermons les yeux sur tout ce qui n’entre pas dans cette case. Nous vivons de plus en plus en circuit fermé, dans des boucles où notre aptitude à la cruauté envers l’autre atteint des sommets. »

La qualité de l’écran compte aussi

Post Scriptum: encore à l’affiche au Max Linder Panorama à Paris au choix en couleurs ou en noir et blanc, allez découvrir cette merveille sur très grand écran.

#CalistoDobson