Cinéma : Kajillionaire de Miranda July (2020)

Avec Evan Rachel Wood, Debra Winger, Richard Jenkins et Gina Rodriguez.
En salles depuis le 30 septembre 2020. 1h46

Le portrait en biais d’une Amérique délaissée au travers du portrait et des pérégrinations d’une cellule familiale dysfonctionnelle, escrocs de petite envergure.

Artiste protéiforme, musicienne, actrice, scénariste, auteure et réalisatrice, Miranda July, de son vrai nom Miranda Grossinger a reçu en 2005 pour son premier film “Moi, toi et tous les autres” entre autre la Caméra d’Or au Festival de Cannes. Le second « The future » de 2011 a été nommé à huit reprises à la 61e édition de la Berlinale. S’il est reparti bredouille au dernier Festival du film américain de Deauville, son troisième film « Kajillionaire » a obtenu le Prix du Public au Festival de l’Étrange 2020 du Forum des Images.

Un choix esthétique marqué par des influences de la peinture figurative contemporaine.

Dès le premier plan, le choix esthétique de composition de l’image nous frappe.
Un arrêt de bus devant une façade d’immeuble aux couleurs chromatiques figure un espace proche d’une toile d’Edward Hopper. Dans la lumière éclatante de superficialité de Los Angeles, comme suspendus dans un espace-temps figé, des personnages attendent.

Richard Jenkins, Debra Winger et Evan Rachel Wood constituent le noyau familial de Kajillionaire © DR

En entrant dans le champ, un autobus coloré recouvre la façade de l’immeuble d’une autre teinte monochromatique. Le bus repart, trois personnes n’ont pas bougé. Disposés à la faveur d’un banc un homme et deux femmes forment en réalité une famille de déclassés sociaux. De vols de colis dans un bureau de poste en fausse déclaration à l’assurance de perte de bagages dans un aéroport, ils survivent d’arnaques sommaires, bien rodées et surtout pitoyables. Sous la coupe de ses parents déficients qui l’utilisent comme comparse, la jeune femme est prénommé Old Dolio. Elle révélera qu’il s’agit d’un nom emprunté à un SDF gagnant de la loterie avec l’idée d’en hériter ; seulement celui-ci est mort après avoir dépensé sa « fortune ».

“Kaji” est un mot japonais qui signifie « forgeron »

De là à penser que “Kajillionaire” signifierait “Forgeur de fortune”… Minablement “logés” dans des bureaux abandonnés, par un logeur que son émotivité submerge, ils sont envahis à heures fixes par une mousse baveuse qu’ils écopent à grand coup de poubelles. La ville régulièrement prise de secousse sismique, leur fait vivre avec anxiété l’arrivée imminente du “Big One”. Pris par l’urgence de loyers en retard, ils feront la rencontre d’une jeune femme d’origine portoricaine qui va bouleverser leur petite famille. Il en résultera sans en dévoiler la teneur l’émancipation de leur fille.

Voilà pour l’histoire qui donne lieu à plusieurs scènes assez truculentes, comme par exemple la recherche d’un chéquier dans l’appartement d’un vieillard mourant qui finalement ne veut plus mourir ou encore celle de la demande de remboursement d’un chèque cadeau pour une séance de massage.

Un casting épatant

Gina Rodriguez et Evan Rachel Wood épatentes © DR

Incarnée avec brio par Evan Rachel Wood (“Into The Forest” de Patricia Rozema avec Ellen Page d’après le roman éponyme de Jean Hegland sorti en 2015 sur Netflix), Old Dolio se révèle profondément inhibée frôlant l’autisme. Dans le rôle d’une mère aux affects sclérosés, une méconnaissable Debra Winger, actrice des années 80 adulée par ses pairs, est toujours aussi remarquable de concision. Abonné aux seconds rôles de qualité Richard Jenkins s’emploie brillamment à incarner un père sans préoccupation autre que de trouver une escroquerie sans risque et rentable. N’oublions pas de mentionner la révélation au sens propre et figuré du film, l’épatante Gina Rodriguez dans le rôle de catalyseur du trio familial valétudinaire.

Au travers leurs pérégrinations picaresques nous assistons en creux à une illustration discrètement abstraite d’une Amérique contemporaine livrée à elle-même. Comme souvent dans le cinéma indépendant américain, autour d’un contexte narratif singulier se dégage une vision désenchantée d’un pays drogué au dollar, sans autre véritable avenir que celui de survivre en attendant la catastrophe annoncée, « Big One » ou autres….