Documentaire : Salvator Mundi: la stupéfiante affaire du dernier Vinci, d’Antoine Vitkine (France 5)

sur France 5, le 13 avril à 20h50.

Cristallisation des enjeux de pouvoirs (géopolitiques, financiers et d’authenticité) du marché de l’art, le Salvador Mundi « attribué » à Léonard de Vinci est tout cela et bien plus encore; comme le montre après deux ans d’enquête, le réalisateur Antoine Vitkine, dans un documentaire passionnant sur un « sauveur » perdu dans un monde de l’art sans éthique.

Un enjeu de « prestige » autant que du pouvoir

Dans ce récit de tous les excès du marché de l’art, deux confrontations décortiquées au scalpel par ce documentaire limpide et documenté n’épargnent ni les dérives d’égos ni les dérives du marché ; celle du pouvoir de l’art grâce à l’argent, glamour et pathétique de ce qu’elle dit de la fascination pour une signature, et celle plus technique et savante pour l’authentifier et adouber son aura.

Du panneau à l’icone

Coté Pouvoirs. L’enquête minutieuse lève le voile étape par étape sur la métamorphose d’un panneau de bois peint – aux provenances sinueuses – racheté en 2005 en mauvais état pour 1.175 dollars est adjugé en 2017, pour la somme de 450,3 million de dollars. D’une polémique d’experts, Salvator Mundi grâce à la fée Dollars devient l’ icône la plus chère de l’histoire… jusqu’à aujourd’hui. Nul doute que le « record » ou « folie » est fait pour être un jour battu, surtout – et c’est le mérite et la morale de ce récit haletant – quand toutes les dynamiques – prestige, pouvoirs et mondialisation – restent en présence et reproductibles !

Le documentaire décortique bien les ressorts quasi mécaniques mises en œuvre pour alimenter la surenchère  – du storytelling très habile aux recettes marketing très madrées de Christie’s. En deux temps, 2013 (127,5 Md$), puis 2017, malgré les doutes, ils conduisent à créer une « aura » propre à démultiplier les convoitises de tous les pouvoirs. Comme pour les vertiges du marche de l’art contemporain, puissances de l’argent et géopolitiques s’en mêlent. L’anonymat de l’acheteur – par ses comportements de surenchères – ne reste pas vraiment un secret, en dépit du fait que le pouvoir saoudien n’a jamais confirmé être le propriétaire…

La révélation recoupée du nom du prince héritier d’Arabie Saoudite, Mohamed Ben Salmane dit « MBS » caché derrière des murs d’intermédiaires engage alors une fascinante plongée géopolitique avec les enjeux culturels de softpower ; depuis les motivations existentielles de MBS tout juste couronné ; trouver sa place sur l’échiquier politique national et international, jusqu’aux tentatives « désespérées » auprès du Président Macron et du Louvre – autant de révélations du documentaire – pour faire reconnaître le « dernier Vinci ».
Peine perdue, il ne sera jamais exposé au Louvre aux cotés de La Joconde, à l’occasion des 500 ans de sa mort.

Une alchimie qui aurait pu transformer du bois peint en or

Nous basculons dans l’autre dimension du récit, celle de l’attribution et de la vérité. Le panneau est-il vraiment de Leonard de Vinci ?

Les protagonistes, historiens d’art, conservateurs et critiques convoqués sont nombreux, l’enquête serrée autour des institutions susceptibles d’authentifier la signature. C’est tout un monde feutrée qui penche sur chaque trait, chaque repentir, chaque radiographie de l’œuvre. Et sur sa restauration réalisée par Dianne Modestini à New York… Nicolas Joly, un des experts cités à la barre du documentaire que Singular’s a joint, reste critique sur le degré élevé d’interventions : « la restauratrice a fait sans doute ce qu’il fallait pour rendre l’image lisible, séduisante et pour que le tableau se vende , mais l’oeuvre usée a subi une restauration trop agressive au regard des standards appliqués en Europe.» Au delà de ce problème, rajoute Nicolas Joly, « cette affaire soulève le problème de la difficulté de l’expertise artistique qui n’est pas une science exacte et qui ne doit pas être soumise aux pressions médiatiques et aux enjeux financiers et géo-stratégiques. »

Restauration violente, expertise et provenance contestée.

Si le doute persiste sur ce qui n’est qu’une œuvre autographe… le panneau brûle les mains et les yeux autant qu’il fascine. La volonté de l’inscrire dans les manifestations des commémorations de Léonard de Vinci deux ans plus tard, exaspère le propriétaire contraint de justifier politiquement son coup d’esbrouffe.

Sommé d’apporter un verdict définitif, le Louvre se voit confier le panneau dans le plus grand secret du C2RMF, son laboratoire d’analyse où il serait resté trois mois. La « chute » dans tous les sens du terme est sans appel. Elle scelle le destin de la fable : « Léonard n’a fait que contribuer au tableau« . Laissant un goût de cendres après ce récit édifiant.
Surtout que personne ne sait où se cache désormais ce triste sauveur d’un monde de l’art sans éthique….

Pour aller plus loin :

A écouter :  interview Antoine Vitkine auteur de Salvator Mundi: la stupéfiante affaire du dernier Vinci (France Inter 7/9 8 avril 2021)