Essai : Les Juifs de France, Robert Mauss (Editions du Cerf)

Il n’est jamais bon signe quand on recommence à s’en prendre aux juifs en France constate Robert Mauss en préambule de son livre Les Juifs de France, qui vient de paraitre aux Editions du Cerf. Sur fond de recrudescence de l’antisémitisme, le contributeur de Singular’s depuis sa création a été à la rencontre de nos compatriotes de confession ou de culture juive pour comprendre leur devenir en France. Son enquête de terrain révèle toute la complexité et le paradoxe d’une réalité française, inquiète mais en pleine renaissance culturelle. Interview.

Il n’est jamais bon signe quand on recommence à s’en prendre aux juifs en France, constatez vous en préambule de votre livre, est-ce la première motivation de son écriture  ?

Absolument. Les Juifs sont tout au plus cinq cent mille sur une population de 67 millions de Français. Ils sont parfaitement intégrés et dans leur immense majorité ne posent aucun problème au reste de la société.
Pourtant, les Juifs concentrent plus de la majorité des actes racistes de ce pays. Actes simplement désagréables comme des insultes inscrites sur des portails ou des boites aux lettres, menaces et agressions physiques, insultes et crachats, et même meurtres.

Il y a 42 ans, André Harris et Alain de Sédouy publiaient chez Grasset Juifs et Français, la situation des Juifs français a-t-elle vraiment changée ?

Pour la deuxième fois, absolument. ‘’Juifs et Français’’ est publié en 1979, avant les attentats de la rue Copernic et de la rue des Rosiers. Avant également le sacrilège du cimetière juif de Carpentras et de l’énorme manifestation qui s’en est suivie. Et surtout vingt ans avant l’éruption volcanique de l’antisémitisme survenue avec l’Intifada au début des années 2000.
Brusquement, alors que la question ne se posait absolument pas en 1979, les citoyens juifs de la République se sont interrogés sur leur avenir dans ce pays. Ils ont éprouvé le sentiment abominable d’être étranger dans leur propre pays. Comme mes grands-parents en 1940.
Depuis 1979, la communauté juive a perdu une centaine de milliers de personnes. Bien sûr, certains ne s’intéressent absolument plus au judaïsme, ce qui après tout est leur droit le plus strict. Mais beaucoup sont partis. En 20 ans au moins une quarantaine de milliers vers Israël, et au moins autant ont émigré vers l’Amérique du Nord, la Grande-Bretagne ou d’autres cieux.  Je crois qu’il s’agit d’un drame pour la République.

Votre enquête de terrain s’appuie sur des témoins, comment les avez-vous choisis et retenus ?

Ce type d’ouvrage passe bien sûr par des passages obligatoires. Mais j’ai aimé mes rencontres avec les représentants officiels de la communauté. Surtout que ces hommes (car il s’agit d’hommes) sont particulièrement au fait de la vie de la communauté. J’ai voulu aussi rencontrer des personnalités capables de décrire la vie des Juifs de France, comme des historiens, des écrivains ou des cinéastes. Et bien entendu des inconnus notoires, à la condition d’avoir un parcours à décrire. La condition juive n’est pas toujours suffisante pour s’exprimer. Bon, j’aurais voulu rencontrer d’autres personnalités.
Mais bon, l’exercice a au moins les limites de la pagination imposée par l’éditeur.

Quelle est la principale raison d’espérer de votre plongée dans cette réalité française ?

Franchement ? J’ai failli vous répondre ‘’Aucune’’ car le pessimisme a souvent résonné chez mes interlocuteurs.
Mais non, ce qui m’a vraiment bluffé c’est la vitalité de cette communauté véritablement exemplaire. Même si la communauté s’étiole, elle vit de manière intense. Le Musée d’art et d’histoire du judaïsme n’existait pas en 1979. A l’époque, il fallait traverser tout Paris pour trouver un boucher cacher, quand on trouve maintenant des rayons spécialisés dans de nombreux supermarchés.
Quand j’étais gamin, il n’y avait que trois écoles confessionnelles en région parisienne. Aujourd’hui, il en existe plusieurs dizaines ! Le groupe scolaire des Pavillons des Bois en Seine-Saint-Denis a même été désigné meilleur lycée de France en 2015 devant Henri IV et Saint Louis de Gonzague. Ce lycée n’existait pas quand Harris et Sédouy ont scruté la communauté juive.
Aujourd’hui, vous pouvez chanter au sein de chorales juives, suivre des cours d’hébreu ou de littérature yiddisch. Pratiquer au sein de synagogues libérales, traditionnelles ou ultra conservatrices. La vie juive est juste extraordinaire de dynamisme dans la France de 2021.

Haïm Korsia, grand rabbin de France : « Je maintiens que la place des Juifs de France est en France. Personne ne doit partir au prétexte qu’il n’y aurait plus de place pour les Juifs dans ce pays. Si un jour par malheur, ce constat s’impose, alors il n’y aura plus de France. »

L’analyse d’Etienne Gingembre.

Comment a évolué depuis quarante-deux ans le regard que posent nos compatriotes juifs sur leur pays ? se demande Robert Mauss, dans son livre « Les Juifs de France », autant intéressé que nous aux communautés qui peuplent l’archipel français.
Mais pourquoi ce nombre très précis de printemps ?
Tout simplement parce que le livre de Robert Mauss fait référence à celui d’André Harris et André de Sédouy, ‘Juifs et Français paru en 1979. Depuis cette date, Le Pen et l’extrême droite sont apparus dans le paysage, la population musulmane s’est considérablement développée, l’antisémitisme a fait sa réapparition dans la société, l’image d’Israël s’est dégradée. Comme Harris et Sédouy, Robert Mauss a mené une série d’interview : Francis Kalifat, le président du Crif, Haïm Korsia, le grand rabbin de France, l’avocat Serge Klarsfeld, le commissaire Sammy Ghozlan, le professeur de médecine Patrice Cacoub, le prix Médicis Nathalie Azoulay et beaucoup d’autres…
Depuis quarante ans, l’inquiétude a gagné du terrain : d’ailleurs, la population juive a fondu d’un quart (150 000 personnes).
Mais l’espérance est aussi de mise comme le montre la résurrection de la culture juive à Troyes, un millénaire après le rabbin Rachi.