Exposition : Bord de Mondes, intérieur, extérieur, de Jean-Philipe Domecq (Galerie La Ralentie)

Du 5 novembre au 16 décembre 2021, Galerie La Ralentie, 22-24 rue de la Fontaine au Roi, 75011 Paris, les jeudis, vendredis, et samedis du 14h à 19h – galerielaralentie22@gmail.com
Catalogue avec des textes de Thierrry Savatier, Magali C. Calisto, Ange Pieraggi , Jean-Philipe Domecq, La Ralentie, 2021, 28 p.

Un écrivain peut peindre aussi. Après un long retrait volontaire des cimaises, plusieurs facettes de l’œuvre plastique de Jean-Philippe Domecq, essayiste, romancier et contributeur régulier de Singular’s est à nouveau visible à la Galerie La Ralentie du 5 novembre au décembre 2021. En se jouant du Bord des mondes, ses peintures insinuent la porosité de deux univers – l’intérieur et l’extérieur – et confirment que les vrais artistes sont toujours intranquilles.

Ne plus lâcher la peinture

Jean-Philippe Domecq, Bord de mondes – arbre seul, 2021

Même si sa dernière exposition remonte à 1984, près de quarante ans plus tard Jean-Philippe Domecq refuse que l’on évoque un « retour » à la peinture. Ni que l’on s’étonne qu’un écrivain peigne. La polyvalence joyeuse est au cœur de sa démarche esthétique, sa gourmandise de la vie revendique une jouissance de l’attention.

L’auteur aigu de La Comédie de la Critique (Folio, 2015), charge aiguë contre un art contemporain dévoyé en ‘spéculation’ est bien placé pour revendiquer que « littérature et peinture font éprouver chacune leur spécifique matière ; loin de se confondre à l’usage, celle-ci aimante et dévoile très différemment

« Henri Michaux disait : « Peindre, composer, écrire, me parcourir, là est l’aventure de la vie. » Il ne fut pas le seul à le penser : Victor Hugo, Charles Baudelaire, Max Jacob, Antonin Artaud, Henry Miller ou Antoine de Saint-Exupéry éprouvèrent le besoin de pratiquer les deux disciplines. Jean-Philippe Domecq s’inscrit dans cette lignée. » Thierrry Savatier

Encore et Encorps

Jean-Philippe Domecq, Bord de mondes – arbres seuls, 2021

L’écrivain du Livre des Jouissances (Folio, 2017), celles qui nous débordent, nous retournent, nous perturbent rappelle que la peinture comme la volupté, résulte d’abord d’un plaisir charnel, toujours présent : « à côté des autres media artistiques, la peinture, par sa souplesse, la fluidité de l’huile et de ses essences pouvant la diluer jusqu’à aquarelle ou l’épaissir à suer, par sa simplicité technique, permet d’intérioriser toutes techniques passées, présentes et à venir, pour ne pas dire perpétuellement contemporaines. »

Pour s’en convaincre, il suffit de descendre quelques marches de la galerie La Ralentie au sous-sol, pour se laisser surprendre par ses dessins érotiques, exécutés puis oubliés dans un carton à la thématique gourmande : Encorps. « autre façon de se tenir au bord?… » assume l’artiste dont un érotisme riche, cérébral donne à la femme une place centrale.

Jean-Philippe Domecq, Bord de mondes, n°6, 2021

Apprendre à re-voir en voyant

C’est bien une invitation à re-voir  l’essentiel que nous brosse Jean-Philippe Domecq concentré dans tous les sens du terme sur des sujets élémentaires ‘d’où cette double série comme il l’écrit dans le catalogue issue d’ « une marche sur cette crête de la vie que je nomme Bord de mondes – intérieur, extérieur : arbre seul, fauteuil seul, falaise et canapé seuls, en couples de dehors et dedans, dialectiques. A partir de là, appliquer ensuite à tout, toutes choses, existantes ou non, en soi et hors de soi. »

Un état d’esprit intranquille

Jean-Philippe Domecq, Bord de mondes n°5, 2021

« Rien, en effet, n’exprime plus l’intériorité que sa série de falaises. insiste Thierrry Savatier dans son texte incisif du catalogue. Ces falaises tiennent sans doute de la construction mentale, mais leur relief, parce qu’il ne cède aucune part à l’abrupt, au vertige, ne laissent passer en filigrane ni perspective de mort accidentelle, ni possibilité de meurtre, ni risque de suicide. Elles se rapprocheraient davantage, par les variations chromatiques que le peintre aborde d’une toile à  l’autre et qui rendent moins compte des jeux de lumière sur le paysage que d’un état d’esprit, de la  Montagne Sainte-Victoire de Cézanne. (…) . Tous ces tableaux  traduisent une « mélancolie métaphysique » – l’expression est, je crois, de Baudelaire – dont on peine à se détacher tant elle exerce sur le regardeur un réel pouvoir d’attraction. »

Le mouvement de l’écriture

Jean-Philippe Domecq, Bord de mondes n°10, 2021

« Considérons deux figures, l’arbre et la dune. glisse avec poésie Ange Pieraggi dans le catalogue. Ils sont la verticale et l’horizontale, soit les axes déterminants d’un espace plan, d’un tableau (aucun tableau ici ne les réunit, c’est une pure spéculation). De la verticale à l’horizontale, il est possible d’établir un mouvement de fléchissement, se poursuivant par le glissement arrêté de la dune, tant elle s’apparente à une vague figée. Pourquoi choisir ce mouvement arbitraire ? Parce qu’il y a un mouvement analogue dans l’écriture, et qu’on se rappelle évidemment que Jean-Philippe Domecq est écrivain autant que peintre. Cela n’est pas anodin. »

Jean-Philippe Domecq, Bord de monde – fauteuil seul, 2021

On dit que l’écrivain rapporte le monde de son fauteuil. Ce n’est pas sans une certaine douce ironie que le peintre Domecq associe l’aura du paysage à celle du fauteuil, qu’il prolonge les courbes des falaises battues par le vent et les lignes fluides d’un canapé, propice à la rêverie.
Bien plus qu’un hypothétique retour, c’est d’un nouveau départ que Domecq nous lance.

#OlivierOlgan