Exposition : Valadon et ses Contemporaines Peintres et Sculptrices 1880-1940 (Monastère de Brou)

jusqu’au 5 septembre 2021, Monastère royal de Brou à Bourg-en-Bresse,
63 Boulevard de Brou, 01000 Bourg-en-Bresse
d’avril à juin : 9h à 12h30 et 14h à 18h
Catalogue : In Fine éditions d’art. 208 p. 29 €

Le défi de cette exposition est de sortir Suzanne Valadon de l’ombre d’Utter (mari) et Utrillo (fils). Chaque génération de femmes artiste a connu son mur de verre, l’exposition Valadon et ses Contemporaines Peintres et Sculptrices 1880-1940 au Monastère royal de Brou en analyse finement les contours dans un contexte pourtant inédit d’émancipation et d’émulation féminine.

Réhabiliter des pionnières de la modernité

L’ambition de cette exposition – et de son remarquable catalogue (Fine Art éditions) – est d’appréhender de façon approfondie la condition de femme artiste, à travers la formation, l’atelier et les galeries. Autour de la figure de proue de Suzanne Valadon (1865 – 1938), c’est l’ensemble des contributions des femmes peintres et sculptrices qui est scruté dans le contexte de l’explosion artistique française entre 1880 et 1940.

Comme pour le suffrage électoral, les femmes ont du se battre pour obtenir le droit d’accéder à une éducation puis à la reconnaissance artistique. A ce titre, il faut saluer la figure d’Hélène Bertaux (1825- 1909) qui ouvre un atelier et fonde en 1881 l’union des femmes peintres et sculpteurs. Elles n’auront accès à l’École des Beaux-arts qu’en 1897 (plus de 70 ans après sa création). Elles ne seront autorisées à concourir au Prix de Rome qu’en 1903… C’est ce combat auquel l’exposition donne magistralement corps et âme.

Sortir de l’ombre

Le parcours éclaire cette (épaisse) zone d’ombre où tant d’artistes femmes ont été cantonnées, soit par la stature de leur mentor ou mari : Camille Claudel/Rodin, Berthe Morisot/Manet, Sonia/Delaunay, Sophie Taeuber/Arp,  tandis que soit par un mur de verre qui les empêche d’être associées comme actrices à part entière de la modernité.
Des pionnières sont enfin réhabilitées : Emilie Charmy au milieu des Fauves, Georgette Agutte et Jacqueline Marval aux cotés des postimpressionnistes, Marie Vassilieff pour cubistes, Marie-Berthe Aurenche et Valentine Hugo coté Surréalistes
Ainsi du destin exemplaire de Suzanne Valadon trop souvent été enfermée dans un rôle de modèle, d’épouse et de mère (Maurice Utrillo), mais dont l’œuvre restent sous estimée.  Sa réhabilitation doit beaucoup au soutien de la première galeriste de Paris, Berthe Weill qui lance avec d’autres consœurs une véritable vague féminine avant-gardiste, que l’histoire de l’art a étouffée mais que l’exposition et le catalogue font revivre avec vigueur.

Une amnésie sélective bien installée de l’histoire de l’art

Les plus connues sont Marie Laurencin et Tamara de Lempicka ; mais d’autres reviennent sur le devant de la scène Lucie Cousturier, Émilie Charmy, Jacqueline Marval ou encore Georgette Agutte-Sembat. De nombreuses artistes originaires de toute l’Europe affluent alors à Paris, provenant notamment de Russie, d’Ukraine et de Pologne, comme Sonia Lewitska ou Marie Vassilieff mais aussi du Danemark, comme Gerda Wegener.
Les sculptrices, qui s’emparent d’un mode d’expression plastique pendant longtemps presque entièrement réservé aux hommes, ne sont pas oubliées, avec des œuvres d’Irène Codréano, Jane Poupelet, Chana Orloff ou Jeanne Bardey. Chacune dispose d’une biographie concise et éclairante.

Suzanne Valadon Deux figures (après le bain), 1909. Photo Centre Pompidou, MNAM-CCI

La conquête des sujets

C’est peut être un détail, mais l’autre dimension de cette exposition est la liberté de peindre en dehors des figures au sens propre et figuré de leur genre. Loin des stéréotypes – fleurs, vie intérieure ou enfants, ces femmes ont embrassés loin des convenances, les grandes thématiques de l’histoire et les « lieux de débauche », des cafés aux cabarets, bref repoussant les cadres qui leur étaient assignés : « Participant aux mouvements d’avant-gardes, insistent les deux co-comissaires Anne Liénard et Magali Briat-Philippe, elles s’affirment comme des créatrices à part entière. Mais l’un des plus grands tabous qu’elles terminent d’abattre est celui qui était le plus intimement attaché à leur genre. En ce tournant du xxe siècle, les femmes pratiquent enfin le nu, tant féminin que masculin, et se réapproprient par là même leur propre corps, trop longtemps détaché de leur être.»

Une injustice est ici efficacement réparée.