Histoire : Louis XIV. Roi du monde, de Philip Mansel

traduit de l’anglais par Johan-Frédérik Hel Guedj, Passés composés, 672 p., 29 €, numérique 20 €.

Loin du stéréotype d’un monarque centré sur son palais, la monumentale biographie du britannique Philip Mansel, spécialiste de la cour de France cherche au contraire à sortir Louis XIV (1638-1715) de Versailles. Elle embrasse la vision universelle et l’ ambition planétaire de ce « souverain mondial ». Au fil d’un règne sans partage, l’historien en pointe aussi sans concession les travers et les échecs.

Rafraîchir la patine d’une icone magnétique

Si Versailles – siège de gouvernement, Palais de la cour et creuset du faste et de l’art français – l’a beaucoup accaparé, le Grand Louis était un monarque « monde ». L’ambition de la nouvelle biographie de Philippe Mansel, Président du conseil scientifique du Centre de recherche de Versailles, est d’en brosser – à partir d’un large matériau inédit notamment de correspondances – le portrait le plus rigoureux possible. Pour le lecteur, plonger dans une telle épopée dans le sens propre du terme, c’est accepter de balayer nombre de (ses) stéréotypes, et ils sont légions, au fil des chapitres serrés :

Loin du monarque frivole obsédé de fastes et de fêtes, ce roi conquérant curieux de tout, avide de connaissance est un travailleur acharné. Pour mener à bien son projet de modernisation de la France et de domination de l’Europe, avec l’ambition constante de former un empire planétaire, Louis XIV travaille sans relâche, reçoit et utilise pour son grand dessein des informations des quatre coins du monde. Il sait qu’il peut s’appuyer sur une armée et surtout une marine de guerre et de commerce. Les expéditions qu’il ne cesse de lancer ou soutenir, traduisent cette volonté de conquêtes ; du Mississippi au Siam, en passant par l’Afrique et l’Inde (Pondichéry).

La connaissance précise de la France qu’il a beaucoup traversée. A tous ceux qui réduisent la grandeur de la France à ses frontières, Mansel rappelle que Louis est et pense à la fois français et européen ; il cherche à imposer son ambition européenne en étant le plus catholique et le plus pieux des monarques de l’Europe, voir plus que le Pape ! Cette exigence de «Grandeur» l’aveugle et lui faire commettre l’erreur indélébile de la révocation de l’Edit de Nantes, qui aura pour conséquence, insiste l’historien d’ « armer ses propres ennemis de ses plus fidèles sujets » Si son sens de l’équilibre européen lui fait multiplier les alliances, de la Suède à l’Empire ottoman, pour mieux concurrencer la Maison d’Autriche, et ses rêves de conquêtes multiplient les guerres…

Louis XIV était presque « féministe » ; Mansel peint une cour de France comme une des plus libres d’Europe. Malgré ses maîtresses, le Grand Louis est respectueux de l’égalité des femmes. Publié avec privilège du roi, le «Traité de l’Égalité des deux sexes » d’un certain François Poullain de La Barre  à Paris en atteste. La nécessité de se défaire des préjugés se retrouve aussi dans la fondation de l’École de Saint-Cyr pour l’éducation de jeunes filles nobles, dont certaines deviendront des agents d’espionnage !

Le début du déclin français

De cette dynamique universelle puissante et fascinante, Philip Mansel en constate de façon quasi clinique aussi tous les paradoxes qui ont pour conséquence d’amorcer le déclin de la France. Celui qui hérite du plus puissant royaume d’Europe à l’époque de Mazarin voit à sa mort la consécration de la puissance anglaise. Celui qui n’a cessé de défendre la religion catholique en Europe, ne peut que constater à la fin de son règne, le triomphe des puissances protestantes… Ce désastre est entraîné par une autre dramatique erreur « comparable à la révocation de l’édit de Nantes » selon Mansel : la reconnaissance de Jacques III au trône d’Angleterre qui dresse l’Europe contre la France, et le triomphe insiste l’historien britannique « n’était pas seulement militaire et diplomatique, mais aussi financier »….

Il est difficile de résumer une aussi vaste synthèse, si richement peuplée de figures historiques passionnantes et de révélations comme l’importance du commerce de l’esclavage « qui apporte 3 à 4% de croissance annuelle à la France », ou les affres de l’expédition au Siam…
L’historien lance aussi quelques réflexions stimulantes au bilan du Grand Louis  ; à la différence de Napoléon, il a laissé la France plus grande qu’il ne l’avait trouvée, elles est augmentée d’une partie de la Flandre, de l’Alsace et de la Franche-Comté. Grâce à ses conceptions de gouvernance au sens large, il dote la France d’une tradition d’exécutif le plus fort. Enfin surtout, il reste Versailles !
Pour le lecteur, la boucle est bouclée avec beaucoup d’images neuves dans la tête.

A écouterLouis XIV indice 50 : le Roi-Soleil rayonne sur le monde (Le cours de l’histoire France Culture)
A voir : expodcast sur l’histoire des musique et musiciens à la Chapelle royale de Versailles (véritable plongée virtuelle et sonore dans le Grand Siècle signée CMBV)