Musical : Où je vais la nuit, de Jeanne Desoubeaux [Bouffes du Nord]

  • Jusqu’ au 17 avril 2022, Bouffes du Nord, 37 (bis), bd de La Chapelle, 75010 Paris, Billetterie Tél. : 01 46 07 34 50 – Du mardi au samedi à 20h30 – Matinées les dimanches à 16h
  • Du 27 au 29 avril 2022, La Manufacture, CDN de Nancy,
  • Le 3 juin 2022, Biennale Là-Haut à Saint-Omer

Plus que l’opéra de Christoph Willibald Gluck dont la metteure en scène adaptatrice garde trop peu de notes, c’est davantage le mythe d’Orphée et Eurydice qui fascine Jeanne Desoubeaux. Elle signe un spectacle musical tout public mixant les genres – au détriment de l’opéra au profit du populaire – avec une mise en scène inventive plutôt dépouillée et faisant la part belle au mystère de l’effacement. 

Trente minutes de mélodies festives

La fête d’Où je vais la nuit de Jeanne Desoubeaux commence pendant l’installation des spectateurs Photo Thierry Laporte

Pour ceux qui ont l’habitude d’arriver en avance, vous aurez de la chance, l’accueil des spectateurs se fait en musique sur fond de lampions. Un quatuor de musiciens – deux voix, synthé et contre basse –  déjà installé sur une estrade fleurie ne ménage pas ses efforts pour lancer la noce qui s’annonce. L’ambiance est chauffée grâce aux mélodies entrainantes signées Johnny Halliday, Marc Lavoine ou Gloria Gaynor… Les discours pour les mariés s’égrènent avec bienveillance.
Mais la fête est stoppée nette par le départ précipité de l’une des chanteuses victime d’un malaise. Malgré l’intervention des pompiers présents, elle en succombe. Le raccord avec le mythe est établi puisque Orphée a lui aussi perdu son Eurydice le jour de ses noces… A lui de la retrouver et de la ramener des limbes des Enfers sans la regarder. Avec le succès que l’on sait.
Voici pour l’essentiel, le ressort dramatique que retient Jeanne Desoubeaux du livret  pour animer son spectacle, assumant crânement dans sa note d’intention que ce mythe « ne cesse d’être repris et adapté ».
Aux multiples questions posées, ses réponses – comme pour son utilisation des « versions » de l’Opera de Gluck – sont très dépouillées.

Le lyrique, c’est aux Enfers

Cloé Lastère et Agathe Peyrat chante Orphée et Eurydice dans la mise en scène de Jeanne Desoubeaux Photo Thierry Laporte

Pour concilier les deux mondes, – du vivant et des morts, variété et lyrique – et surtout pour ne « pas se priver d’explorer d’autres univers musicaux que celui de Gluck », ses partis pris sont simples ; se débarrasser de l’idée que « cet art est élitiste ». Il suffit d’accepter une convention : au lieu de parler, les interprètes chantent. De la version Berlioz, l’adaptatrice retient qu’ « Orphée est une femme qui joue un homme » , et donc et cela l’arrange, il s’agit (pourquoi pas) de deux femmes qui s’aiment.
Le résultat est induit par d’autres décisions : réserver l’univers lyrique aux Enfers. Eurydice chante lyrique tandis qu’Orphée répond en musique et avec assistance micro ! Couper le livret trop long et complexe. Le spectacle ne dépasse pas les 75 minutes, variétés comprises (l’opéra selon les versions pas moins de 110 mm).  Pour l’essentiel, la musique lyrique passe à la trappe, même le mythique « J’ai perdu mon Eurydice ». C’est à l’évidence le prix de la démocratisation !
Agathe Peyrat en Eurydice relève vaillamment le défi qui se résume pour l’essentiel à la Plainte d’Orphée, transcrit au piano par Giovanni Sgambati tandis que Cloé Lastère en Orphée dans le duo « viens je suis un époux qui t’adore » fait tout son possible pour lui rendre le change, mais la partie est inégale. Si Orphée se perd par son regard, Eurydice triomphe par sa voix !

Le spectacle d’Où je vais la nuit de Jeanne Desoubeaux ne manque pas d’imagination Photo Thierry Laporte

Une lisibilité pour le plus grand nombre

Dans son ambition tout public,  le spectacle tient la route avec des moyens simples mais efficaces, bien rythmés et plutôt dépaysants. L’utilisation habile du vide de l’espace des Bouffes du Nord renforce l’aspect spectral  : du placement des acteurs aux effets de brumes, des mouvement de tulles à celui du piano tiré par une ombre, baignés d’éclairages savants. Tout le dispositif participe à brosser des enfers poétiques, solennelles pour mieux plonger dans le drame ’Orphée.
Si la proposition fausse une réelle démocratisation du chant lyrique – trop peu, trop light, trop simple – son caractère hybride laisse espérer de nouvelles tentatives avec cette fois une ambition lyrique moins frileuse.

#Olivier Olgan