Culture

Mathieu Pernot, La Ruine de sa demeure [Fondation HCB]

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 10 juin 2022

Jusqu’au 19 juin 22, Fondation Henri Cartier-Bresson, Paris 3e

Plus que quelques jours pour découvrir la bouleversante exposition La Ruine de sa demeure de Mathieu Pernot à la Fondation Henri Cartier-Bresson jusqu’au 19 juin 22. Le lauréat du prix HCB en 2019 nous entraine dans les ruines de l’histoire d’un Orient tragique, de l’Irak au Liban. Il capte les frémissements d’un entre deux, entre voyage mémoriel et reportage de combats, entre le fracas de la guerre et la résilience de la reconstruction.

Mathieu Pernot Mossoul, Irak, 2019 La ruine de sa demeure [Fondation FCB] carré

Le moment qui suit les bombardements et précède les phases de reconstruction massive est celui d’un entre-deux insensé. C’est aussi le moment où il est possible de se poser pour regarder et comprendre, après la folie de la guerre et des bombardements. C’est un état de suspension qui ne dure jamais très longtemps à l’échelle de l’histoire de ces villes et qu’il me semble important de penser et de représenter.
Mathieu Pernot

Des entre-deux qui croisent récits et temps

Mathieu Pernot Mossoul, Irak, 2019 La ruine de sa demeure [Fondation FCB]

Alors que les images de ruines de guerre d’Ukraine envahissent nos écrans, le travail de Mathieu Pernot interroge la photographie des « lieux détruits ». Le Lauréat du Prix HCB en 2019,  reconnu pour capter le destin de prisonniers, d’immigrants ou de réfugiés nous entraine sur les traces à la vie précaire d’anciens champs de batailles –  de Beyrouth à Baalbek puis d’Homs à Ninive – envahis, massacrés par des despotismes multiples : Daech, Etat islamiste, Etat Syrien, … . A niveau de rue.
Sa force est de cartographier une « géographie de proximité » en mêlant recherches mémorielles, son grand père s’est installé à Beyrouth en 1925 et la sourde réalité du Moyen orient qui ne cesse au sens propre ou figuré de renaitre de ses cendres.

Entre histoire intime et grande Histoire.

Mathieu Pernot Tripoli, Liban, 2020. La ruine de sa demeure [Fondation FCB]

Point de départ. La prise de vue du bâtiment délabré – désormais condamné depuis l’explosion de 2020 – dans le quartier de Sanayeh à Beyrouth avec un zoom sur ce troisième étage avec ses garde-corps et ses persiennes bleues où a habité sa famille constitue le pic à la fois émotionnel et intime de cette traque de vie qui fut heureuse. « Les ruines photographiées dans cet ouvrage couvrent une période de plus de 3000 ans d’histoire. Il n’y a pas d’effet recherché mais juste le constat de ce qui est, dans cette région du monde où semblent cohabiter à la fois l’origine de notre histoire et sa fin tragique. insiste Mathieu Pernot dans l’interview très éclairant du catalogue. Au néant de la destruction répond la nausée du trop-plein. Il me semblait donc important d’interroger la présence de cette image/visage de propagande, comme un motif omniprésent, régnant sur les ruines d’un pays défiguré. »

La notion de catastrophe, imbibe ce voyage

Mathieu Pernot, Beyrouth, 2020 La ruine de sa demeure [Fondation FCB]

Même si les immeubles éventrés, les façades criblées, les rues vides sont désormais notre quotidien européen, le chaos finement traqué par Mathieu Pernot est autopsié cliniquement avec de subtiles collages ou rapprochements visuels et temporels. « Mon point de vue est celui du voyageur étranger qui découvre les choses en surface et qui s’en tient au visible. Je garde une distance et la photographie permet d’établir une zone de contact entre cet ailleurs et moi. »

Rebondissant sur l’effacement des repères, le photographie bouscule les temporalités en faisant allusion aux vestiges omniprésents de civilisations mythiques ou associant de vieilles photos familiales notamment l’album de vues de villes proches : Baalbek, Homs, Palmyre, … – prises par son grand-père, René Pernot professeur à l’Université américaine de Beyrouth.  La parcours de l’exposition témoigne de cette volonté de poursuivre l’héritage familial. La juxtaposition des photos des mêmes lieux prises à un siècle de distance est un choc absolu

Recoller en photos les morceaux des maisons détruites

Mathieu Pernot Karakoch, Irak, 2019. Nimroud et Karakoch, Irak, 2019 La ruine de sa demeure [Fondation FCB]

L’orient exploré n’est ni celui de l’orientalisme des romantiques Lamartine ou Gérard de Nerval, ni le catastrophisme dont le spectaculaire est un des registres des reporters pressés, ni le mélancolisme de la photographie de ruine. mais une invitation à « un apprentissage de cette région tumultueuse. comme l’écrit Hala Kodman dans le catalogue qui revient sur chaque étape des tragédies accumulées dont l’objectif de Pernot relève l’inconcevable. Ce monde renaît et se réinvente dans la douleur et la désolation, et «pleurer sur les ruines» est une forme esthétique de la poésie arabe classique. »

Le refus de sujétion des décombres

Mathieu Pernot, Beyrouth, 2020, La Ruine de sa demeure [Fondation Henri Cartier-Bresson]

Loin des représentations de l’Orient élaborées par l’Occident et parties prenantes, ou du discours sur les destructions de guerre à fin de propagande (voir Photographies en guerre), dans les décombres, pour Mathieu Pernot, la vie semble toujours capable de renaître.

Pour aller plus loin

Catalogue, coédition Fondation HCB/Atelier EXB, 216 p., 45 €

  • Texte de Hala Kodman,
  • interview de Mathieu Pernot

Partager

Articles similaires

Le carnet de lecture d’Hanna Salzenstein, violoncelliste, Le Consort

Voir l'article

Le carnet de lecture de Florentine Mulsant, compositrice

Voir l'article

Le carnet de lecture d’Emmanuel Coppey, violoniste, PYMS Quartet

Voir l'article

Le carnet de lecture de Catherine Soullard, romancière et critique de cinéma

Voir l'article