Poésie : Trois recueils de Philippe Jaccottet, par Damien Le Guay, philosophe

Revenant sur la disparition de Philippe Jaccottet (singulars), Damien Le Guay, philosophe, éthicien (dernier livre paru, 41 exercices d’Hygiène spirituelle, Salvator, 2020) rappelle que le dernier grand poète du siècle dernier laisse « derrière lui une vie qui lui appartient, et des livres qui nous appartiennent – ou plutôt dont nous sommes les dépositaires. »

La clarté Notre-Dame, Gallimard, 44 pages, 10 €
Le dernier livre de Madrigaux, Gallimard, 41 pages, 9€
Bonjour monsieur Courbet, La dagona-le bruit du temps, 192 pages, 39€

Trois livres achevés d’imprimer en 2021, trois bouteilles à la mer

Les poètes demeurent dans le cœur de ceux qui vivent avec de la poésie ou par elle. Une phrase, un poème, un livre. Autant de compagnons secrets qui insistent, à temps et contre-temps, pour nous animer. Jaccottet était et demeure un immense traducteur (Homère, Musil, Rilke..), autant qu’un lecteur de haute tenue. Il est, ad vitam aeternam, le dernier grand poète du siècle dernier.

Les traces d’un « recueilleur »

Tout au long de son chemin il ne s’est jamais arrêté de rêver en mots, de marcher en paroles, de nous livrer ses impressions. Qui fût-il sa vie durant ? Un « recueilleur », selon ce qu’il en dit,  des signes infimes, fragiles, évanescents, évasifs mais intenses de la nature. Une abeille – de celle qui, nous dit Rilke, va butiner dans le visible pour l’accumuler dans la grande ruche de l’invisible. Et maintenant, nous recevoir, par delà la mort, trois messages de lui, trois bouteilles à la mer, trois livres.

Dans La clarté Notre-Dame, texte d’un promeneur qui entend au fond du paysage le tintement des cloches d’un monastère, il dit bien avoir, sa vie durant, été à l’affût de ces presque-riens qui font sens : un nuage plein d’une bonté involontaire, la vue des montagnes lointaines qui portent au loin et font entendre une part d’enfance. Toutes ces impressions fugaces mises en mot sont comme des brindilles amassées en rempart contre le rien du tout.  Il ajoute à ses brindilles, celles de ses lectures venues conforter ses barrages. Hölderlin, qu’il finit par préférer à Rilke, le Claudel de Tête d’Or lu pendant la guerre, Goethe, Leopardi. Tout Jaccottet est là : dans ses tissages d’émotions poétiques nées au bout de ses promenades et qui vont chercher dans son immense mémoire poétique des autres ce qui va résister à la mort.

Le dernier livre de Madrigaux est un livre de poèmes écrits il y a quarante ans, complétés depuis lors et offerts en bouquet cette année. Vers, prose, fragments ? Toutes les formes sont bonnes pour attraper des éclats de poésie.

Bonjour, monsieur Courbet livre où le poète voit et donne à voir des peintures ou sculptures – œuvres de Pierro de la Francesca,  mais aussi, de Giacometti ou Palezieux, sans oublier découvertes d’artistes moins célébrés comme Gridat, Assar ou Poncet.
Toujours des rencontres qui sont autant d’occasions de s’émerveiller.

Dans ces trois livres nous retrouvons celui qui ne nous quitte pas, l’homme des semaisons, des paysages avec figures absentes, des beautés sans Dieu et des inquiétudes nées au détour d’une promenade. Tout est graine pour qui souhaite « replanter une foret spirituelle » – selon ses termes.
Tout.
A nous de lui être fidèle.

#DamienLeGuay