Théâtre Huis Clos, de Jean-Paul Sartre, par Jean-Louis Benoit (L’Atelier)

Jusqu’au 18 mars 2022, Théâtre de L’Atelier, Place Charles Dullin, 75018 Paris
Du mardi au samedi à 19H – Prix des places 39€, 31€, 21€
Tél. : 146064924  – guichetsreservations@theatre-atelier.com
Avec Marianne Basler (Inès), Maxime d’Aboville ou Guillaume Marquet (Garcin), Mathilde Charbonneaux (Estelle), Antony Cochin ou Brock. Lumières : Jean-Pascal Pracht, costumes : Marie Sartoux  – Régie Lumière et Son Emmanuel Jurquet

« L’enfer c’est les autres ». La mise en scène de Jean-Louis Benoit réussit à gommer la dimension philo et historique de la pièce emblématique de Jean-Paul Sartre pour un noman’s land théâtral exacerbé et lumineux porté par un quatuor d’acteurs vif et sans artifice : Marianne Basler, Maxime d’Aboville, Mathilde Charbonneaux et Antony Cochin.

Un théâtre sans repères temporels

La mise en scène de Jean-Louis Benoit plonge Marianne Basler, Maxime d Aboville, Mathilde Charbonneaux dans un Huis Clos actualisé au Theatre de l’atelier Photo © Pascal Victor – Agence Opale

« Mettre aujourd’hui sur en scène Huis clos de Sartre, c’est simplement rappeler à l’homme comment il peut atteindre à la liberté́ » revendique Jean-Louis Benoit qui choisit de la présenter pour aujourd’hui (gommant le salon Style Second Empire originel). Si cette pièce écrite en 1944 est encore représentée et étudiée aujourd’hui, c’est parce qu’elle parle avec force de nous, face à nous-mêmes et au monde. » Aprement et lumineusement, la mise en scène gomme le contexte historique et intellectuelle de la pièce – écrite et créée en 1944 – pour valoriser la dimension caustique, intemporelle d’un texte toujours saillant : « On meurt toujours trop tôt – ou trop tard. Et cependant la vie est là, terminée ; le trait est tiré, il faut faire la somme. Tu n’es rien d’autre que ta vie. »

Trois salauds jetés dans une pièce sans fenêtre

Le premier se nomme Garcin, incarné par Maxime d’Aboville a été journaliste pacifiste à Rio. Buveur, coureur, il s’est fait fusiller pour avoir déserté. Arrive Inès (Marianne Basler), homosexuelle radicale, ancienne employée des Postes, responsable de la mort de deux personnes. Puis enfin, Estelle (Mathilde Charbonneaux), une bourgeoise mondaine immature et infanticide.
Trois caractères, trois personnalités, trois canapés. Il fait chaud, rien pour se faire une beauté, se regarder, ni miroir, ni brosse à dent. Juste les yeux des deux autres pour se voir.

Le scène de théâtre creuset froid de tous les questionnements

Le Huis-Clos de Jean-Louis Benoit s’appuie sur la métaphore du Théâtre pour plus émotionnel. Photo Photo © Pascal Victor – Agence Opale

« La scène de théâtre comme métaphore d’un Enfer où l’on ‘’joue’’ sous de multiples regards, où l’illusion, le masque, le mensonge et le trompe-l’œil, lui sont inhérents » revendique le metteur en scène, renforçant le brassage de tourments incubés par les personnages qui fit scandale à l’époque : l’impasse de la liberté individuelle, le mélange explosif de l’homosexualité, de la lâcheté face à la guerre,… pour mieux éclairer la célèbre conclusion :« l’enfer, c’est les autres ». Sartre estimait avoir toujours été mal compris : « On a cru que je voulais dire par là que nos rapports avec les autres étaient toujours empoisonnés, que c’étaient toujours des rapports infernaux. Or, c’est autre chose que je veux dire. Je veux dire que si les rapports avec autrui sont tordus, viciés, alors l’autre ne peut-être que l’enfer. Pourquoi ? Parce que les autres sont au fond ce qu’il y a de plus important en nous-mêmes pour notre propre connaissance de nous-mêmes »

Accentuant la dimension caustique de la pièce, la réussite du spectacle tient par l’interprétation exacerbée des trois comédiens qui assument et plongent dans ce grand bouillonnement émotionnel :  Marianne Basler tantôt manipulatrice, tantôt femme fragile dresse une Ignès, combattante qui nous touche. Maxime d’Aboville – qui réussit l’exploit de jouer sur Paris deux pièces le même soir- oscille entre force et faiblesse et nous fait sentir toutes les contradictions de son personnage. Enfin, Mathilde Charbonneaux évolue au fil de Florence qui se dévoile peu à peu.

Une très solide mécanique théâtrale

Un Huis Clos à la mécanique théâtrale parfaitement huilée Photo © Pascal Victor – Agence Opale

Jeux de pouvoir, d’influence, de séduction… la pièce de Sartre loin d’être un pensum philosophique reste une mécanique théâtrale puissamment huilée, crépitant ses répliques et ses saillies. « Aucun de nous ne peut se sauver seul ; il faut que nous nous perdions ensemble ou que nous nous tirions d’affaire ensemble. » Si tout n’était qu’un éternel recommencement, où chacun doit s’adapter à sa liberté de choix. « Pour toujours ! Eh bien, continuons » lance le dernier mot de la pièce.  Un spectacle puisant son énergie dans sa portée humaine, à voir et revoir, toutes générations confondues.

#Patricia de Figueiredo