Théâtre : Je me suis assise et j’ai gobé le temps, de Laurent Cazanave (Théâtre 14)

du 8 au 12 janvier 22, Théâtre 14, 20 avenue Marc Sangnier 75014 Paris – contact@theatre14.fr – Tél.: 01 45 45 49 77
Texte et mise en scène de Laurent Cazanave,
avec Raphaëlle Damilano, Thomas Bouvetn Johanna Hess, Brice Beaugier.

Derrière ce titre énigmatique, se cache un huis clos percutant sur un déjeuner de famille bousculé par la présence d’un bébé qui par la magie du théâtre exprime sans fard les non-dits. Laurent Cazanave, son auteur et metteur en scène assume de mettre sur la table au sens propre et figuré « cette violence sourde et quotidienne, sur les clichés que nous impose le monde » même si c’est au risque de mettre l’’intimité d’un couple à l’épreuve.

Il y a la mère, le père, le grand-père et le bébé ou plutôt ‘la bébé’ car c’est une fille. Une petite prend conscience de son univers. Elle essaye de communiquer avec ses parents… L’astuce mais aussi la force de la mise en scène de Laurent Cazanave tient au fait que « la petite » s’exprime, porte un regard et intervient dans les échanges, qu’elle contribue tantôt à exacerber, tantôt à apaiser.  Raphaëlle Damilano tient bien son rôle de miroir et d’intruse volontaire avec beaucoup de charme et de malice. Les autres comédiens Johanna Hess,Thomas Bouvet, les parents et Brice Beaugier le grand-père sont obligés de composer avec cette présence ludique et pénétrante.

Tout mettre sur la table

Je me suis assise et j’ai gobé le temps, de Laurent Cazanave avec Raphaëlle Damilano, Thomas Bouvet Johanna Hess, Brice Beaugier © Jean-Louis Fernandez029

D’emblée, le spectateur est tiré dans la pièce, il ressent instantanément un sentiment d’intrusion au milieu de ce huit-clos qui lui ressemble ; les réactions de chaque personnage confronté à un choc intime facilitent les identifications, d’autant que les dialogues de Laurent Cazanave limitent tout recul par rapport à cette situation si quotidienne. Et c’est assumé par son auteur : « Il est important pour moi de faire voir ces non-dits. Je veux faire un théâtre d’émotion fugace, de ressenti personnel. Que chaque spectateur et spectatrice se disent : ah oui c’est ça je l’ai vécu, c’est moi et en même temps un autre. C’est donc universel ? Pourtant c’est différent pour chacun. Cela vaut la peine d’en parler ensemble. Je veux travailler sur cette violence sourde et quotidienne, sur les clichés que nous impose le monde.»

Volontairement intrusif, la mise en scène de Laurent Cazenave scrute les visages et les corps, gratte les postures, et pose la question de l’après, un état qui était et qui n’est plus. « Écrire sur la société est essentielle pour moi. Parler de ce dont les médias ne parlent pas. Cette pièce est pour moi un acte politique dans le sens où elle doit pouvoir questionner le spectateur sur sa position intime à la famille ». Le ‘babyblues’ de la mère et le souvenir – effrayant- de l’accouchement qu’elle en garde, les interrogations du père qui n’est plus le centre d’intérêt de sa femme, sa nouvelle fonction de père, le grand-père qui saute une génération et se sent vieillir un peu plus… le tout au cours d’un déjeuner où on échange les petits riens du quotidien : « Ne bois pas trop ! » « Le poulet est bien cuit » qui viennent ponctuer des respirations entre des états d’âme profonds. Le miroir est réaliste, peu déformant, et impeccablement porté par des comédiens, plus vrais que nature.

A noter que la version, dans les lycées hôteliers où les spectateurs mangent en même temps que les comédiens, doit accentuer cette impression. La mise en scène, sobre, s’emporte parfois dans la direction d’acteurs mais on ressort du spectacle avec des questionnements sur le sens de sa propre vie. En cela, le but de l’auteur semble très bien atteint.

Bientôt accessible

Ce spectacle existe sous deux formes dont nous espérons qu’elles trouveront bientôt les publics auxquels il est destiné :

  • Une forme théâtrale avec juste les acteurs au plateau, la scénographie et des jeux de lumière. C’est cette dernière qu’il nous a été permis de voir en avant-première au théâtre 14 avant sa reprise devant public quand les événements nous le permettront.
  • Une forme performative dans les lycées hôteliers avec repas inclus, service à la table, mais avec une scénographie minimale et peu ou pas de jeux de lumière.

Compagnie La Passée.

Associée à l’incubateur du Théâtre 14 pour cette saison (sic),  la Compagnie La Passée est fondée en 2011 à Sèvres par Laurent Cazanave.
Ce dernier formé aux Enfants de la Comédie à Sèvres puis à l’Ecole Nationale du théâtre National de Bretagne, a souhaité, à sa sortie de l’école, créer une structure qui lui permette de monter ses propres textes, mais aussi de permettre à des metteurs en scènes et des comédiens issus de différentes structures d’exprimer leur art.