Théâtre Le Dindon, d'après Feydeau par Vincent Caire (Le Ranelagh)

du jeudi au samedi à 19h et dimanche à 15h – 1h35
jusqu’au 22 maiThéâtre le Ranelagh – 5 rue des vignes 75016 Paris – Tél. : 01 42 88 64 44 – Résa
Texte revisité et mise en scène : Vincent Caire. Avec La Compagnie Les Nomadesques,  Lucile Marquis, Cédric Miele, Damien Coden, Franck Cadoux, Gaël Colin, et en alternance Karine Tabet, Amélie Gonin et Mathilde Puget. Décor : Nicolas Cassonet, Costumes : Corinne Rossi, Lumière : Valentin Tosani

Ne quittant pratiquement l’affiche, Le Dindon de Feydeau adapté par Vincent Caire et la Compagnie Les Nomadesques, au Théâtre le Ranelagh a un double mérite : lancer sans arrière-pensée une mécanique burlesque condensée et portée à sa quintessence, et insuffler en le situant dans les années 20 une folie scénique débridée –  inspirée du cartoon – parfaitement huilée.

La pièce du plaisir coupable

Feydeau Le Dindon est mise en scène par Vincent Caire dans les années 20 Le Ranelagh janvier 2022 Photo Fabienne Rappeneau

« Le Dindon figure dans le répertoire de Feydeau comme la pièce du plaisir coupable. Du salon bourgeois à la chambre de l’hotel Ultimus, les hommes maladroits sont torturés par leurs désirs défendus et les femmes se servent de leurs prétendants pour punir leurs maris. écrit Violaine Heyraud dans son édition Théâtre de Georges Feydeau de La Pléiade (lire Singulars), pour ajouter le public cède au fil des âges, au comique jubilatoire d’une pièce qui questionne l’encombrante place du corps dans la société et sur les scènes. »

Une fois posé cette scène de jeux (plus que de crimes même s’il n’est question que d’adultère, d’harcèlement et de mensonges), nous jugeons qu’il n’est pas utile d’exposer plus avant une intrigue,  prétexte à « des crescendos de logique folle où nous embarque Feydeau » comme le rappelle Jean-Philippe Domecq dans sa chronique.

Plumer l’intrigue pour garder la quintessence

La Compagnie Les Nomadesques prend ce Dindon au premier degré pour une mécanique du rire énorme et dérisoire Le Ranelagh janvier 2022 Photo Fabienne Rappeneau

Habitué des plus grands chefs-d’œuvre (La Locandiera ou Le Mariage de Figaro, récemment) que « sa compagnie travaille à faire découvrir au plus grand nombre », Vincent Caire se saisit avec jubilation de ce qu’il considère comme la quintessence du vaudeville. « Un vrai. Avec des « Ciel ma femme ! », des « Allons bon ! » des « Nom d’un petit bonhomme ! » Et la force est d’en respecter l’esprit et la portée, bref la mécanique de ce rire à la fois énorme et dérisoire.
Sans arrière-pensée, ni pincette, le metteur en scène gastronome plume l’intrigue du Dindon pour la réduire – comme un fumet – à l’essentiel, une véritable « fabrique de l’euphorie ». Le choix de l’époque n’a évidemment rien d’un hasard. Plongé dans les années 20, l’époque permet la simplicité des costumes aux lignes libérant les corps et du décor aux lignes épurés, et une modernité de mouvements. Caire apprécie et diffuse aussi ce parfum d’Années folles, où les femmes refusent les carcans à disposer d’elles même et mettent en jeu des atouts de plus en plus maitres. D’autant qu’il en assume  » le premier degré », et il le réussit « en tâchant d’y mettre notre folie, notre énergie, notre bonne humeur et en conservant ce côté cartoon qui fait notre identité ». Autant dire que le spectateur peut compter sur un engagement total, sans pause et la surprise de quelques bonnes idées.

Le rythme jubilatoire des portes qui claquent

Vincent Caire respecte à la folie la mécanique d’euphorie du Dindon Le Ranelagh janvier 2022 Photo Fabienne Rappeneau

Plongé dans ce bain de jouvence, où les cops s’élancent, se frottent et se freinent, le metteur s’appuie sur sept acteurs qui n’oublient jamais ni la précision derrière l’hystérie (sauf parfois à monter dans des aigus inutiles), ni la bienveillance derrière les stéréotypes. Libérés du recul, ils s’en donnent en corps joie : assumant plusieurs rôles, participant aux transformations scéniques, occupant l’espace et le comique de répétition lancé à grande vitesse.
Tous éléments deviennent des accessoires de jeux, à commencer par les portes. « En conjuguant énormité et finesse, Feydeau frappe fort et juste. Par un comique immédiat, fulgurant, ravageur, rappelle Violaine Heyraud dans sa présentation de la pièce (Pléiade).  La Compagnie a bien saisi l’enjeu et dispose du champs libre pour nous tenir en haleine et à rire de ses hommes manipulés pour savoir qui sera – finalement – le vrai dindon de cette farce dont le non-sens n’a besoin d’aucun artifice supplémentaire. Conforme à cette sentence de Billy Wilder,  grand héritier de Feydau « Dans une comédie, la géométrie doit être claire et précise. »
Ce respect plus exigeant qu’il n’y parait constitue la promesse d’un rire sans calcul et d’un spectacle jubilatoire.