Culture
Art Paris 2025, 12 Solo Shows: d'Anais Lelièvre à Jesse Willems (Grand Palais)
Le retour d’Art Paris au Grand Palais rénové n’est pas seulement une version « augmentée » de près de 1000 m2, avec ses 170 exposants (+35%), c’est aussi l’occasion d’une pertinente réinvention, en diversifiant les regards thématiques : Immortelle, regard sur la Peinture figurative, Hors limites (métissage et hybridation), Promesses (dédiée à la création émergente), ou encore la reconnaissance du French design.
Singular’s reste fidèle à l’angle du Solo show, une chance pour s’immerger dans l’œuvre d’un artiste, reconnu ou à découvrir. Sur les 26 présentés, Olivier Olgan en a retenu 12 embrassant tous les styles, tous les genres: Anaïs Lelièvre, Naomi Hobson, A.C.M, Rafael Domenech, Shafic Abboud, Mattania Bösiger, Katia Bourdarel, Emma Talbot, Vera Molnar, Lucia Tallova, Clara Adolphs et Jesse Willems. Autant de raisons de s’immerger dans cette 27e édition bien « augmentée ».
Anaïs Lelièvre (1982 – ) (Galerie Capazza)

Anaïs Lelièvre (Galerie Capazza Art Paris 2025 Grand Palais) photo OOlgan
La puissance d’une oeuvre est de garder ses fondamentaux quel que soit l’espace qui l’acceuille. L’installation de la Galerie Capazza entièrement « habitée » des fragments d’ Anaïs Lelièvre que Singular’s suit depuis années est un vrai condensé de son projet :
« Ainsi ce que je trouve dans un lieu me permet de le transformer. Le même permet de produire du différent ou d’en activer d’autres possibilités. Chaque fois la manière d’agencer ce désordre trouve sens dans la dynamique du dessin et du lieu »
Anaïs Lelièvre à Marc Pottier, lors de sa résidence de la Junqueira en 2022.
Trois ans plus tard, celle qui se définit comme « l’art d’habiter en voyageur » questionne et interroge la manière dont le paysage traversé peut être lieu d’accueil et vecteur de creation pour devenir un environnement immersif.

Anaïs Lelièvre (Galerie Capazza Art Paris 2025 Grand Palais) photo OOlgan
L’installation présentée génère cette spatialité « happante » que l’on ressent comme dans une grotte paléolithique, configuration hybride qu’elle connait bien pour produire l’intelligence d’une histoire, sans narration, et d’un ressenti, libre de toute expression. Le visiteur y perd ses repères visuels et conceptuels, quels que soient les lieux où elle intervient.
Elle en appelle à la mise en jeu des rudiments d’un habiter qui lui permet non seulement de saisir la part subtile de l’esprit des lieux où elle s’arrête, mais de l’inscrire au compte d’une réflexion involutive sur la question de l’œuvre et la possibilité de ses métamorphoses.
Philippe Piguet
Anaïs Lelièvre invite à se laisser traverser par ses fragments de paysage et par ce qui émane de la matière minérale. A nous de se rendre disponible aux signes qui révèle, comme elle le dit, qu’« en dessous ça travaille ».
Naomi Hobson (1976- ) (Rebecca Hossack Art Gallery)
L’œil ne peut qu’être attiré par ses couleurs et ses structures picturales typique de l’art arborigène. Naomi Hobson en est l’une des artistes les plus marquantes de la génération actuelle. Son œuvre multidisciplinaire (peinture, photographie et céramique) s’attache à documenter son territoire, ainsi que la vie et la culture de sa communauté, dans sa navigation entre normes traditionnelles et modes de vie modernes.

Naomi Hosbon (Rebecca Hossack Art Art Paris 2025 Grand Palais) photo OOlgan
D’origine sud-kaantju, elle vit dans la communauté isolée de Coen, au cap York, dans l’extrême nord du Queensland, où son grand-père est né. Coen est un petit village d’environ 300 habitants situé à l’extrémité des monts McIlwraith, sur la côte est de la péninsule du cap York, au cœur d’un paysage de forêt tropicale, de zones boisées ouvertes et de réseaux fluviaux abondants. Depuis la colonisation européenne, les peuples aborigènes de cette région ont maintenu un lien avec leur pays, souvent en travaillant sur des propriétés pastorales.
A.C.M (1951-2023) (Ritsch- Fisch)

A.C.N (Ritsch-Fisch) Art Paris 2025 Grand Palais) photo OOlgan
A.C.M. avait développé un langage formel à partir de matériaux bruts et récupérés, où la matière, souvent laissée à l’état naturel, se charge d’une narration implicite. Le travail sur le métal, particulièrement visible dans ses assemblages soudés, révèle une tension entre la précision de l’acte technique et l’apparente désorganisation des pièces. Les soudures volontairement visibles jouent ici le rôle de cicatrices, marquant la brutalité du geste créatif et évoquant une certaine vulnérabilité structurelle.
L’agencement d’éléments techniques comme les engrenages ou les fils, souvent assemblés avec des matières plus organiques, provoque une ambiguïté entre l’industriel et le naturel. Le résultat est une œuvre qui invite à la fois à une lecture tactile et à une réflexion sur la réinvention des objets.
L’utilisation de matériaux simples n’est pas une négation de la technique. Au contraire, elle souligne la maîtrise du geste, l’artiste parvenant à jouer avec les qualités intrinsèques de chaque matière pour révéler leur potentiel expressif. C’est cet équilibre entre rudesse et finesse qui confère à chaque sculpture sa singularité.
Rafael Domenech (1989-) (193 Gallery jusqu’au 31 mai)
Réinventant sans cesse les protocoles de monstration d’une oeuvre, Rafael Domenech propose des systèmes d’intervention de type architectural doublés de gestes de l’édition – le découpage, l’écriture, la révision et la diffusion – pour faire de l’exposition un organisme ouvert, une machine de production et de circulation.

Rafael Domenech, Flowers blooming in acid (193 Gallery Art Paris 2025 Grand Palais) photo OOlgan
Pour sa première exposition monographique à Paris, Rafael Domenech réinvente l’espace de la 193 Gallery avec un récit structurant le lieu avec des cloisons en bois, évoquant l’usage des paravents, un objet emblématique de l’histoire de l’art.
Telles des toiles suspendues et flottant dans l’espace, le dispositif architectural s’affirme à la fois comme œuvre d’art et réceptacle pour d’autres œuvres, accrochées sur ces murs ou bien contenues à l’intérieur, à la manière de poupées russes. Déjouant les catégories, il renverse les principes traditionnels de l’exposition et le statut d’une œuvre d’art.

Rafael Domenech, Flowers blooming in acid (193 Gallery Art Paris 2025 Grand Palais) photo OOlgan
À la fois objets et peintures, ses « book paintings », comme il les nomme, transforment la conception traditionnelle du médium pictural en un système modulaire. C’est en faisant appel à l’univers du livre et à son vocabulaire, que Rafael Domenech bouleverse la relation frontale et conventionnelle que l’on entretient avec la peinture. Ici, la toile n’est pas simplement figée sur un mur, elle peut s’ouvrir et se replier, prendre la forme d’un livre et d’une surface, invitant le spectateur à s’approcher pour mieux découvrir de nouveaux fragments, de nouvelles stratifications.

Rafael Domenech, Flowers blooming on acid (193 Gallery Art Paris 2025 Grand Palais) photo OOlgan
Que ses toiles soient présentées dans une bibliothèque comme un livre, accrochées à un mur ou posées sur une table, elles ne sont jamais figées ; elles évoluent et vivent plusieurs vies simultanément.
Bâtisseur dans l’âme, et partisan d’une approche qui semble industrielle mais qui en fait est entièrement réalisée à la main, il déconstruit pour mieux reconstruire. Rafael Domenech est ainsi un artiste qui invente ses propres règles, son propre mode opératoire.
Jérôme Sans, commissaire de l’exposition
Shafic Abboud (1926-2004) (Galerie Claude Lemand)

Shaffic Abboud, Jaunes ou Eblouies,1995 (Galerie Claude Lemand Art Paris 2025) photo OOlgan
Le plus français des peintres du Monde arabe a une grande affinité avec la peinture de Pierre Bonnard et avec la technique picturale de Nicolas de Staël. Il avait réussi aussi à abolir la frontière entre cet art occidental savant et la culture populaire libanaise dont il était profondément imprégné depuis l’enfance. Ses peintures sont un manifeste pour la couleur et la lumière, pour la liberté et la vie ; elles célèbrent la sensualité de la matière picturale, celle du corps des femmes, des textiles chatoyants et la beauté inspirante et paradisiaque du pays de son enfance.
Son oeuvre lumineuse et sa personnalité attachante ont fonctionné comme une passerelle permanente entre la France, le Liban et le Monde arabe. Shafic Abboud était très attaché « à un certain Liban », à ses paysages, sa lumière et à ses souvenirs d’enfance et de jeunesse. Il était de culture libanaise arabe et moderniste. Il a été imprégné dès sa plus tendre enfance par les récits de sa grand-mère, la conteuse du village, par les récits et les images véhiculés par les conteurs ambulants, par les coutumes et la culture populaire des villages du Mont Liban.
Son regard a été influencé par les icônes et les rites byzantins de son église, qui exaltent et chantent la résurrection et la transfiguration du Christ, contrairement à la tradition catholique romaine qui magnifie plutôt la Passion et la souffrance salvatrice.
Claude Lemand dans son catalogue pour Art Paris
Plus tard, sa formation intellectuelle sera marquée par les écrits, les débats, les luttes et les idéaux qui ont accompagné la Nahda arabe, cette Renaissance moderniste et anticléricale dont certains éminents promoteurs étaient des écrivains et penseurs libanais, tel Khalil Gibran.

Shaffic Abboud, La mauvaise vie n 3, 1965 – Réflexions pour un tapis 1984 (Galerie Claude Lemand Art Paris 2025) photo OOlgan
Mattania Bösiger (1991 -) (Fabienne Levy)
Explorant l’interaction entre réalité physique et numérique, jouant sur les frontières mouvantes qui les séparent, Mattania Bösiger revisite le genre traditionnel de la nature morte, transformée par des outils contemporains. Les objets du quotidien, qui n’existent souvent que sous forme de fichiers numériques, sont réinterprétés et matérialisés sous forme d’illusions picturales. Grâce à un jeu minutieux entre ombre et lumière, ils acquièrent une présence tangible, troublante et énigmatique, donnant naissance à des œuvres qui interrogent notre rapport à l’image.

Mattania Bosiger (Fabienne Levy Art Paris 2025 Grand Palais) photo OOlgan
Le traitement monochrome, presque glacé, confère aux objets une matérialité incertaine, oscillant entre le tangible et le virtuel. Les reflets soignés et la mise en scène de la composition renforcent cette illusion, donnant aux objets une apparence paradoxalement hyperréaliste et artificielle.
Ses peintures nous transportent dans un monde surréel où la matière semble vibrer d’une présence énigmatique.
Claudia Lavegas (Galerie Wagner)

Claudia Lavegas, Churuata (Galerie Wagner Art Paris 2025 Grand Palais) photo OOlgan
Depuis que l’architecte de formation a découvert le village de Mayupa en Amazonie en 2017, Claudia Lavegas peint des “Churuatas”, nom donné aux huttes indigènes de ce village.
“ Je suis entrée dans une de ces huttes. J’ai eu l’impression d’entrer dans une cathédrale de bois. J’ai longuement observé le toit vu du dessous d’abord, du dessus ensuite. Je trouvais cette architecture ronde fascinante de beauté et d’intelligence. Le Cercle, symbole le plus répandu dans la Nature, est l’une des premières formes tracées par les humains. Il n’a ni commencement ni fin ; ce qui en fait un symbole universel d’éternité, de perfection, de divinité, d’infini…”
Réalisés à l’acrylique sur toile, et patiemment remplies de lignes en surépaisseur pour en souligner la structure, souvent de couleur cuivrée, or ou argent, ces churuatas font référence aux vastes ressources minières exploitées dans son pays (or, bauxite, fer, nickel, charbon, diamants). Soucieuse des ravages provoqués par ces exploitations aurifères, elle s’intéresse également à l’architecture paysagère, où subsistes des plateaux rocheux appelés tepuys ou montagnes “sacrées” pour les communautés autochtones.
Comme animée par une urgence à laisser trace, l’artiste reproduit ses paysages sur de larges pans de toiles. Tel un chirurgien, elle y dépose de manière obsessionnelle des centaines et des centaines de lignes à main levée, comme autant de sillons de couleurs minérales, souvent sombres, parfois relevés d’un rouge sang évocateur de la couleur de l’eau dans cette région.
Enfin, dépeuplées, dévastées, ces montagnes de forêts du sud de l’Amazonie rendues à l’état de sable inspirent à l’artiste une nécessité absolue d’y replanter des arbres et de la flore. Aussi dessine-t-elle au feutre des milliers de petites cellules, qui se faufilent sur la toile ou le papier, créant de nouvelles cellules, symbolisant la vie au cœur des arbres. Parce que ses racines plongent dans le sol et que ses branches s’élèvent dans le ciel, l’arbre peut à nouveau jouer son rôle de “passeur” entre la terre et le ciel. Figure axiale, il peut à nouveau naturellement représenter le chemin ascensionnel par lequel transitent ceux qui passent du visible à l’invisible.
En entrant dans le cœur des arbres, Claudia cherche à percer le secret de leur vie intérieure, et au-delà, de notre âme.

Claudia Lavegas, Churuatas (Galerie Wagner Art Paris 2025 Grand Palais) photo OOlgan
Emma Talbot (Mucciaccia Gallery)
« Je dessine pour voir ce que je pense »
Emma Talbot

Emma Talbot (Mucciaccia Gallery Art Paris 2025 Grand Palais) photo OOlgan
Avec des couleurs lumineuses, des motifs fluides et des textes manuscrits poétiques, l’artiste britannique Emma Talbot crée des univers imaginaires vibrants, inspirés de ses réflexions personnelles et de l’expérience humaine commune d’être en vie aujourd’hui.
Fascinée par la fugacité de l’existence humaine, Talbot soulève des questions profondes sur notre place dans un univers façonné par l’interconnexion et le changement perpétuel. Dans un contexte d’effondrement écologique et d’instabilité politique, son art met en lumière le besoin urgent d’une réinvention pleine d’espoir de l’avenir, façonnée par la résilience, la créativité et la bienveillance.
Ses œuvres textiles tridimensionnelles entremêlent les mystères infinis de l’univers, façonnés par l’imagination de l’artiste et exprimés par le dessin, telles des réflexions intuitives sur les défis pressants de notre époque. Elle nous encourage à considérer les moments de crise comme des opportunités de redéfinir notre place au sein des cycles naturels durables et autonomes de la Terre.
Allant d’états incalculables de destruction et de chaos à des états intimes de calme, d’harmonie écologique et de voyages imaginaires dans l’esprit des animaux, les œuvres explorent les thèmes de la connectivité interspécifique, de la durabilité, de la renaissance et de la résilience humaine, appelant ensemble la question existentielle : « Êtes-vous un être vivant qui meurt ou un être mourant qui vit ? »
Vera Molnar (1924-2023) (Orinis.Art)
« Toutes les méthodes sont bonnes si elles satisfont ma curiosité. Je ne suis pas une orthodoxe du constructivisme », VM
Constructive, cette pionnière de l’art numérique l’est à bien des égards. Vera Molnar a élaboré des systèmes purement visuels. Les éléments plastiques simples, la ligne, le carré s’y déclinent selon le principe de la variation. Regardant du côté de l’esthétique, elle dit son attachement à la théorie de la Gestalt : chacune de ses pièces interroge le moment où la construction devient forme.

Vera Molnar (Oniris.Art – Art Paris 2025 Grand Palais) photo OOlgan
Quelques mois après son exposition personnelle au Centre Pompidou Paris, l’inventeure d’une pratique active de la série fait d’elle un précurseur du minimalisme. Ses programmes, l’artiste les appelle ses « règles du jeu ». Elle explore par exemple les possibilités de variations de deux parallèles dans une trame carrée, dans une recherche inlassable de la pièce manquante. Dès les années 1960, l’ordinateur devient un allié privilégié de la « machine imaginaire » de l’artiste : il montre, d’un seul coup d’œil, l’étendue des possibles.
« Grâce à l’ordinateur, on approche de soi-même »
On trouve plus rapidement la forme que l’on aime.

Vera Molnar, Bande jaune plièée et collée, 1998 (Oniris.Art – Art Paris 2025) photo OOlgan
Katia Bourdarel (1969 -) (Galerie Renard Hacker)

Katia Bourdarel (Galerie Renard Hacker Art Paris 2025 Grand Palais) photo OOlgan
Aux frontières du rêve et du réel, son œuvre convoque le pouvoir transformationnel des rites et des mythes universels. La question du corps et de la nature est au centre du travail de Katia Bourdarel, toujours sous-tendue par une dimension mytho-poétique.
Inspirée par des figures mythologiques telles que Daphné ou Driopé, ainsi que par des textes classiques comme Le Banquet de Platon et Les Métamorphoses d’Ovide, l’œuvre de Katia Bourdarel nous plonge dans des récits à la fois intimes et collectifs, de l’amour à la mort.
Ainsi dans sa peinture, la représentation du nu féminin est toujours ambiguë. Les corps nus peuvent être célébrés, révélés, beaux, lumineux, sensuels, héritiers de la tradition classique des Odalisques. Mais ils peuvent aussi se soustraire au regard, être plongés dans l’ombre, se déformer, devenir hybrides, être recouverts de tissus jusqu’à en devenir inquiétants.
Entre ombre et lumière, l’œuvre de Katia s’ouvre à plusieurs strates de lecture nous révèle une réalité intérieure intime, cette part inconnue et trouble de nos fantasmes et de nos peurs.
Mais elle peut aussi suggérer l’entrave et la violence faites aux corps, prisonniers des fausses représentations que nous impose une société du paraître et de l’avoir, entre beauté et malaise. A.A
Lucia Tallova (1985 – )(Tomas Umrian Contemporary)

Lucia Tammova (Tomas Umrian Contempory Art Paris 2025 Grand Palais) photo OOlgan
À travers l’utilisation de la photographie, l’artiste explore la tension entre permanence et fugacité. Ses œuvres réinventent et réutilisent le passé, le transformant en pièces évocatrices, porteuses d’un sentiment de fragilité et d’une résonance intemporelle. Grands assemblages, objets trouvés et collages témoignent de la quête et de la collection permanentes de l’artiste : photographies anciennes, livres et objets divers et insolites. Ceux-ci deviennent la matière première à partir de laquelle naissent de nouvelles histoires, mêlant réalité et fiction. Lucia Tallová constitue ses propres archives de souvenirs fictifs.
La patine des matériaux et les imperfections délibérées créent une qualité visuelle avec laquelle elle travaille. Elle agit comme une autre couche, un autre outil. Une surface ne se contente jamais d’enregistrer le passé ; ce n’est pas une mémoire lisible. Le bois patiné, les pages tachées d’encre et le film photosensible du papier photographique ne signalent pas une fin, mais servent au contraire de point de départ à l’épanouissement d’un renouveau magique, réel ou imaginaire.

Lucia Tammova (Tomas Umrian Contempory Art Paris 2025 Grand Palais) photo OOlgan
L’artiste imprègne ces surfaces de volume, de texture et d’une nouvelle plasticité, les faisant rayonner dans le présent. En superposant des images d’époques passées, Tallová construit des scènes étranges et mélancoliques qui évoquent à la fois des histoires personnelles et la mémoire collective. Elle cherche à instaurer une sensibilité qui résonne chez le spectateur, précisément à travers ses imperfections. Le spectateur est invité à projeter ses propres expériences et interprétations sur l’œuvre, créant ainsi une interaction plus ouverte et subjective. Cela ouvre un espace de connexion, où la réaction du spectateur devient partie intégrante de l’œuvre au même titre que l’œuvre elle-même.
Elle explore ainsi la position des femmes au tournant du siècle dernier et la compare à leur rôle contemporain au XXIe siècle. Dans ce contexte, les femmes et leur travail étaient souvent perçus de manière péjorative et considérés comme insignifiants. L’histoire les a laissées anonymes et sans nom. Les femmes étaient (et sont toujours) invisibles à bien des égards. Les figures féminines se balancent dans des poses complexes sous le poids qui pèse sur elles ou se dressent au milieu des fondations des ruines telles des cariatides pétrifiées, immobiles, acceptant silencieusement leur sort.
Clara Adolphs (1985-) (Chalk Horse Art)

Clara Adolphs (Chalk Horse Art Paris 2025 Grand Palais) photo OOlgan
A la fois familière et toublante de Clara Adolphs repose sur un paradoxe. La peinture, en tant que médium, évoque toujours l’ici et maintenant. Avec leur matière épaisse et leur geste puissant, les œuvres d’Adolphs semblent tout droit sorties du chevalet de l’atelier.
En revanche, les images d’Adolphs s’inspirent de photographies de stations de ski, de vacances en famille et de piscines estivales. Elles représentent un passé qui semble plus innocent et élégant, celui des plaisirs simples. On dirait un temps révolu.
Pourtant, en peignant ces images, Adolphs parvient à faire entrer ce passé de manière saisissante dans nos vies. L’atmosphère nostalgique de ses œuvres se mue alors en une atmosphère de vitalité et d’immédiateté.
Jesse Willems (1984-) (Clémentine de la Feronnière)
À partir de ses photographies de rue, il réalise des collages complexes suscitant le silence et la contemplation. En enveloppant ses tirages dans des papiers précieux (souvent chinés dans des archives oubliées ou dans de vieilles papeteries), il attire notre attention sur des détails souvent laissés dans l’ombre.
En éliminant tout élément superflu et en écartant sciemment les pièces reconnaissables telles que les lettres et les symboles, Jesse Willems libère ses compositions d’une lecture limitée, puisant l’abstraction dans le réel. Chaque parcelle de photographie recouverte devient l’élément d’un tout rythmé de motifs géométriques qui nous rappelle l’art d’un Matisse.
Son propos est bien photographique : reconnaissant Saul Leiter comme l’un de ses maîtres, Jesse Willems perçoit le motif dans la ville jusqu’à l’abstraction la plus radicale.

Jesse Willems (Clémentine de la Feronnière – Art Paris 2025 Grand Palais) photo OOlgan
Le travail de la découpe et du recouvrement donne à chaque pièce un caractère unique, seul capable de traduire l’expérience que Jesse cherche à nous transmettre : une façon de ressentir le monde qui associe l’optique et le physique, le contemporain et la désuétude, la transparence et l’opacité, la présence et l’absence. Atlas est ainsi une tentative d’englober la ville de New-York en une même représentation à la fois carte, fresque ou bien encore vitrail.
Voilà une ode à la persistance rétinienne : ce qui demeure lorsque l’image a disparu.

Jesse Willems (Clémentine de la Feronnière – Art Paris 2025 Grand Palais) photo OOlgan
Auteur de l'article

27e édition, Art Paris Grand Palais, 7 avenue Winston Churchill, 75008 Paris
Jeudi 3 avril 2025 : 12:00 – 20:00
Vendredi 4 avril 2025 : 12:00 – 21:00
Samedi 5 avril 2025 : 12:00 – 20:00
Dimanche 6 avril 2025 : 12:00 – 19:00

Sophie Ryder, Sitting Minotaur (2020) Art Paris 2025 Grand Palais) photo OOlgan
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