Culture

L’année Berlioz, musicien de tous les paradoxes s’achève avec éclat à la Côte-Saint-André

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 16 août 2019 à 15 h 14 min – Mis à jour le 3 avril 2020 à 19 h 33 min

Si le 8 mars correspond au 150e anniversaire de la mort d’Hector Berlioz (1803-1869), une commémoration à la hauteur de ce musicien inclassable se fait attendre. Comment expliquer que cet héraut soit à ce point vénéré à l’étranger et si peu accepté en France ? Le musicien reste à (re)découvrir loin des tartes à la crème romantique… et du Panthéon ! Dernière chance de le retrouver dans son intégrité au Festival de la Côte-Saint-André jusqu’au 1er septembre !

Trop proche ou trop loin du Panthéon ?

L’histoire va-t-elle se répéter ? 2003 date du bicentenaire de la naissance d’Hector Berlioz signe aussi un nouvel échec de son entrée au Panthéon (le premier date de 1903 !).  Malgré une décision prise en 2000 par Catherine Trautmann, ministre de la Culture de l’époque, c’est finalement Alexandre Dumas préféré par Jacques Chirac qui intègre le Panthéon en 2002.
Les dés ne sont pas encore jetés ! Dans sa séance plénière hebdomadaire du 23 janvier 2019, l’Académie de Beaux-Arts a relancé les spéculations avec un courrier adressé au Président de la République par son Secrétaire perpétuel Laurent Petitgirard plaidant la cause.

Sept mois plus tard, il ne guère d’espoirs même si des centaines de concerts ont étoffé l’hommage international rendu au compositeur de La Symphonie Fantastique [voir agenda année Berlioz]. L’année Berlioz lancée en août 2018 s’achève fin aout sans coups d’éclats. Gageons que Bruno Messina responsable de l’année officielle Berlioz et directeur du Festival Berlioz 2019 de la Côte Saint André mettra le feu à cette édition du bicentenaire !
Mais on ne peut se contenter de l’unique reconnaissance républicaine validée par Jupiter, une année Berlioz doit avoir du panache, un grain de folie et être éminemment populaire… on en est encore loin ! Et est-ce d’ailleurs de la meilleure eau d’avoir dédié l’édition 2019 du Festival Berlioz au Roi Berlioz quand on souhaite l’inscrire au panthéon républicain ?
Pourquoi tant de difficultés pour célébrer celui que toute l’Europe adule – et réclamait en son temps – comme le plus grand musicien français du XIXe siècle ?

Hector Berlioz

Figure toujours controversée, Berlioz incarne l’artiste où se mêle un visionnaire inventant l’orchestre moderne et le dandy méprisant les conventions mais captant tous les honneurs.

« L’obscurité nuit moins à un artiste qu’une apparente clarté »

« Il semblera un paradoxe de dire qu’aucun musicien n’est plus mal connu que Berlioz, écrivait déjà Romain Rolland dans La Revue de Paris en 1903. Chacun croit le connaitre. Une bruyante renommée entoure sa personnalité et son œuvre. (…) Ses principales compositions sont constamment exécutées dans les concerts ; quelques-unes de ces pages connaissent une grande popularité. Il n’est pas jusqu’à sa figure qui ne soit populaire. Elle est comme sa musique, si frappante et si singulière qu’il semble qu’il suffise d’un coup d’œil pour en pénétrer le sens. » En dépit d’une bibliographie nourrie par quelques passionnés et d’une discographie incluant ses opéras – toujours dominée par des chefs britanniques, à quelques récentes exceptions près comme Michel Plasson, Louis Langrée et François-Xavier Roth – une (re)connaissance apaisée de l’auteur de La Grande messe des morts semble se heurter à un paradoxal mur de verre en dépit ou à cause de sa popularité.

Un caractère exalté qui provoque les tartes à la crème

Les racines de la controverse sont à chercher dans la nature même de l’artiste et de son œuvre. Ses contradictions, les excès et la sincérité même en brouillent constamment la lecture et autorisent toutes les tartes à la crème qui ne cessent de lui être balancées. Citons-en deux symptomatiques : de Rossini « Quelle chance que ce garçon ne sache pas la musique, il en écrivait de bien mauvaise‘ à Boulez « « On sent chez lui le gratteur de guitare qui fait des accords à la ‘‘va-comme-je-te-pousse’’ déclare-t-il à Michel Archimbaud dans ses Entretiens’ (Folio 2016). Il faut voir dans ces saillies, le creuset du désamour des Français avec Berlioz.
Mais l’eau a depuis coulé sous les ponts … Boulez ajoute aussi  : « Mais cela ne m’empêche absolument pas de reconnaître qu’il y a d’autres aspects de son œuvre parfaitement réussis. » Ce dernier enregistre d’ailleurs La Symphonie Fantastique, Les Nuis d’été et Roméo & Juliette (DG Universal). « En réalité, Berlioz ouvre la voie à la musique de Debussy, éclaire très justement Michel Chion dans ‘Le poème symphonique (Fayard, 1993). Car si les accents berloziens sont souvent passionnés et expressifs, l’espace où le compositeur les fait résonner est déjà objectif, comme le cadre neutre d’une description. »

Trop assimilé sans filtre au romantisme français

La grande tarte à la crème est de fusionner, jusqu’à la caricature, Berlioz au romantisme. Ce cocktail détonnant d’excès de sentimentalisme et de programme, de révolte (esthétique) et de compromis (de titres), de mépris (pour une bourgeoisie inculte) et d’intégration (sociale) brouille la pertinence et l’accès à son oeuvre. Si le romantisme allemand assume une création artistique à la fois intériorisée et rationalisée, toutes ses grandes figures, de Hoffmann à Wagner, nourrissent une théorie du drame – sentimental – musical avant de le réaliser. Leurs homologues français privilégient la rupture avec le passé rationnel des Lumières pour accentuer le subjectif, l’instinct et les démons intérieurs. De Nerval à Baudelaire, les affres personnelles se confondent avec la difficulté de la création.
Plus que tous, Berlioz par son ambition esthétique, ses amours et ses créations tumultueuses dessine une figure où se confondent le héros autoproclamé et l’être aspirant à la reconnaissance éternelle. Si le visionnaire invente l’orchestre moderne, le dandy méprisant les conventions accepte pourtant tous les honneurs.
Paradoxalement, Berlioz ne se revendiquait pas romantique, [il] « ne savait pas ce que cela voulait dire » ! « Tomber dans la facilité des catalogues et des classifications est une manie scolaire en France. insiste avec pertinence Pierre-René Serna, dans son Café Berlioz (Bleu Nuit éditeur). Cette étiquette lui a été accolée pendant longtemps en dépit des évidences. Elle n’a guère de sens et ne saurait résumer la complexité de son esthétique. « Classique », appliqué à son oeuvre me conviendrait mieux, car ce qualificatif exprime sa permanence. »

Portrait de Berlioz par Felix Nadar

Portrait de Berlioz par Felix Nadar. Photo BNF

Sortir des images d’Épinal

Les contradictions de l’homme – au tempérament et aux postures insupportables, à la vie sentimentale hors norme vécue comme une ‘marche au supplice’ permanente – ne doivent pas empêcher de reconnaître l’intensité de son œuvre et le génie de l’orchestration. Il réussit à fusionner l’argument littéraire et la symphonie (Harold en Italie).
Au-delà des postures mises en scène jusqu’à l’indécence, c’est bien à l’intimité de chacun qu’il s’adresse. C’est sa vérité intime qu’il veut transmettre à la part d’authenticité que chacun possède. Il le fait par la musique mais aussi par l’écrit. Ses remarquables Mémoires ne sont pas un roman feuilleton mais une somme de son siècle. « Tant qu’on perpétuera l’image caricaturale, insiste le musicologue Gérard Condé dans un article ‘Berlioz, héros malgré lui’ on occultera les trois quarts de son œuvre et étouffera sa portée profonde, celle de poète irréductible. »
Enfin : « Berlioz ne répond en rien au cliché traditionnel du compositeur du XIXe siècle. insiste John Eliott Gardiner, chef passionnellement berliozien. J’aimerais convaincre les Français de ne pas mettre d’étiquette sur Berlioz, mais d’être sensibles à son émotion. »

La première intégrale des œuvres de Berlioz s’accompagne d’un essai de David Cairns

La première intégrale des œuvres de Berlioz s’accompagne d’un essai de David Cairns, l’une des meilleures autorités berlioziennes du moment. (27 cd Warner)

De l’émotion, la 1ère intégrale ‘officielle’ Berlioz (Warner) n’en manque pas!

Toujours en avance sur les institutions (voir notre article Debussy, Couperin), le coffret Warner constitue la toute première intégrale des œuvres de Berlioz, puisée dans l’ensemble des catalogues disponibles pour célébrer quasi tous les grands Berloziens de l’histoire.
Les anglo-saxons sont bien évidemment omniprésents et peu manquent à l’appel : John Nelson assure l’essentiel des opéras, de Benvenuto Cellini aux Troyens en passant par Béatrice et Bénédict, et les monumentaux Grande Messe des morts (Requiem) et Te Deum, Sir John Barbirolli dirige l’émouvante Janet Baker dans Les Nuits d’été, Sir John Gardiner avec L’enfance du Christ et la Messe Solennelle, Sir Colin Davis porte Janet Baker dans Herminie.
Coté français, Jean Martinon dirige La Symphonie Fantastique et Lélio. Michel Plasson, Louis Langrée et François Xavier Roth participent à l’intégrale des mélodies. A noter quelques premières mondiales : La Nonne sanglante (opéra inachevé), Le dépit de la bergère et Le temple universel. Nous regrettons tout de même l’absence  de Charles Munch qui  a défendu Berlioz sur tous les continents !
Enfin, il ne faut pas oublier quelques documents historiques de premier plan, dont le tout premier enregistrement de La Symphonie fantastique par Rhenè-Baton en 1924 !
Au fil de ses pépites, la plongée dans ce massif berliozien confirme que mêlant l’opéra et le symphonique, le profane et le sacré, l’intime et l’immense, sa musique ne rentre dans aucune case, ne se range dans aucun genres et les bouscule tous.

Rendez-vous à la Cote Saint André pour célébrer le Roi Hector !

Les principaux évènements de l’année Berlioz

Festival Berlioz de la Côte-Saint-André 2019 dédié au « Roi Hector » jusqu’au 1er septembre.

Depuis plusieurs décennies, la ville natale de Berlioz lui consacre un festival haut en couleurs dirigé par Bruno Messina. Les plus chefs grands berlioziens sont au rendez-vous : Gardiner, Roth, Gergiev, Sokhiev …

Pour la suite du bicentenaire – voir l’agenda Berlioz 2019 officiel 

Le site ‘Hector Berlioz’, passionnant et enrichi en permanence pour connaitre le maïtre

Bibliographie

  • Bruno Messina, Berlioz, Actes Sud, 2018 : ce court récit d’une vie épique prend sous la plume alerte et passionnée du directeur du Festival Berlioz toute sa dimension de sang, de conquêtes en tous genres et de génie.
  • Pierre-René Serna :
    • Berlioz de A à Z, éditions Van de Velde, 2006
    • Café Berlioz, Bleu nuit éditeur,  2019
      Journaliste musical dans le style alerte et musicologue dans la rigueur de l’analyse, Pierre-René Serna n’hésite pas à bousculer les idées reçues sur son musicien préféré et celui qu’il considère comme « l’un des plus grands génies de ‘Histoire de la musique’. « Cette cause à défendre », il l’entreprend à sa manière à travers ses deux guides pertinents et enlevés : le premier avec un dictionnaire reprend toutes les œuvres et les thématiques du compositeur alors que le second en éclaircie toutes les controverses. Il rend justice à Berlioz qui a su créer son propre monde et inventer un nouvel univers musical plus que jamais convaincant, loin des modes.

Discographie sélective pour leur cohérence générale dans leur exploration de l’univers Berlozien

  • Hector Berlioz. The complete works. Warner (27 cd)
  • Berlioz Odyssey. Colins Davis. LSO Live (16 cd)
  • Berlioz Rediscovered. John Eliot Gardiner. Decca (9 cd)
  • Charles Munch conducts Berlioz. RCA (10 cd)

 

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