Culture

Le monde sensuel, festif et céleste de Christina Pluhar, chef de bande de L’Arpeggiata

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 12 octobre 2018 à 12 h 34 min – Mis à jour le 12 octobre 2018 à 16 h 23 min

Depuis la création de son ensemble L’Arpeggiata, il y a bientôt 20 ans, Christina Pluhar détache consciencieusement les étiquettes qui cherchent à l’enfermer. Seuls les chemins buissonniers festifs et sensuels vers de nouveaux territoires sonores l’intéressent. Quitte à bousculer les perruques des compositeurs baroques. Son travail sur les couleurs balaye les frontières entre musiques sacrée et populaire pour révéler magnifiquement des répertoires méconnus.

Christina Pluhar réussit à transporter ses auditeurs dans une salle de musique intemporelle. Photo @ Michal Novak

Toujours à la recherche de nouvelles sonorités

Au concert comme au disque, Christina Pluhar ose tout, et c’est comme cela qu’on la reconnait (dirait Audiard). Depuis presque 20 ans, elle bouscule avec gourmandise les étiquettes et les genres. N’hésitant ni à rapprocher les techniques – les harmonies baroques flirtent avec celles du jazz -, ni à fusionner les rythmes de plusieurs traditions populaires musicales, méditerranéennes, voir sud-américaines. Ainsi dans le programme Music for a while, dédié à Purcell, Leonard Cohen trouve une place naturelle. La volonté est pour Christina Pluhar de « souligner la modernité extraordinaire des compositeurs baroques en maintenant un mouvement constant entre les siècles dans les harmonies et les styles d’improvisations. » Pour toujours plus d’inouï, au sens propre. Aucun des programmes de sa très unique discographie ne se ressemble, à part d’être superbement édité. Si ce n’est la volonté de surprendre nos oreilles… « Le contact intuitif passe par la palette des couleurs instrumentales et la qualité de la voix – le son, comme les couleurs d’un tableau, est le vecteur de l’émotion. »

La magie de Christina Pluhar est d’associer des voix à forte personnalités : Cécile Scheen, Philippe Jaroussky, Jesus Rodil, Dingle Yandell. Photo © Michal Novak

La révolution des couleurs

Après la révolution des matières et des gestes des pères fondateurs (Harnoncourt, Leonhardt) avec le retour aux cordes en boyaux sur instruments d’époque, puis celle des tempis (Minkowski, Rannou, Hantaï),  L’Arpeggiata mène la révolution des couleurs. Grâce au choix d’un instrumentarium soigneusement pensé et agencé, l’ensemble fait appel à toute la palette des cordes pincées (théorbe, harpe, chitarra battente mais aussi contrebasse), frottées (violes mais aussi lyrones) et frappées (psaltérion).
Avec le même soin, les chanteurs sont choisis pour leurs personnalités vocales bien trempées ; la regrettée chanteuse de fado Misia, la napolitaine Lucilla Galeazzi, Marco Beasley, Philippe Jaroussky, Stéphanie d’Oustrac ou pour le dernier programme ‘Himmelsmusik’, Céline Scheen… Mais aussi parce qu’ils sont réceptifs aux passerelles vers d’autres mondes musicaux (musique traditionnelle, du monde ou populaire…), à l’improvisation avec par exemple le jazzman Gianluigi Trovesi dans le programme All’ Improvviso’.

Privilégier la subtilité à la virtuosité

« Ce n’est pas tant sur le plan de la simple virtuosité que l’enjeu se situe, insiste la théorbiste, mais bien plutôt au niveau de la subtilité instrumentale et vocale, où le rythme doit s’adapter au texte. » Son immense érudition qui participe toujours au respect des partitions, nourrit la magie de ses spectacles. « L’’étude intellectuelle du contenu ne se fait pas au détriment du cœur, insiste la harpiste, qui détermine toujours en fin de compte si l’on se sent interpellé. » Rien n’est négligé dans cette recherche tant esthétique que charnelle ; le son est valorisé comme un affect physique avec l’importance de la danse. Pluhar rappelle que la séparation entre la danse et la musique est récente. Avec finesse, L’Arpeggiata aborde et fusionne tous ces aspects (musicologiques bien sûr mais aussi théâtraux ou dansés) pour retrouver l’âme d’un répertoire (de Monteverdi à Bach en passant par Cavalli, Haendel ou Purcell, pour les compositeurs), mais aussi d’un continent européen ou sud-américain, ou les contours de la Méditerranée.

L’Arpeggiata au travail pour le programme Immelsmusik. Photo © Michal Novak

Une troupe entraînée au-delà de sa zone de confort

Sur scène, c’est une troupe soudée qui se jette en toute conscience sur les chemins sonores que Christina leur ouvre. Le spectateur ressent leur confiance, leur jubilation à se laisser entraîner par leur chef et leurs complices. Tout le long de ses presque vingt ans de travail et autant de programmes discographiques, les révélations – souvent arrachées de l’oubli – sont proprement uniques et fascinantes. Le dernier en date : Himmelsmusik (la musique céleste) dédié à la musique luthérienne ne se contente pas de rester dans une zone de confort entre Schütz et Bach. La troupe – avec en tête la soprano Cécile Schenne et le contre-ténor Philippe Jaroussky – explore avec le même engagement des compositeurs luthériens bien moins célèbres comme Crato Butner, Philip Heinrich Erlebach… Le résultat est admirable de profondeur, de sérénité apaisée. Pour mieux nous émerveiller et nous surprendre. A ceux qui pensent qu’on a découvert ce qui compte dans la musique baroque, Christina Pluhar et ses complices démontrent programme après programme que nous sommes loin du compte.

Philippe Jaroussky & Cécile Sheen. Photo © Michal Novak

 

Prochains concerts & Discographie

www.arpeggiata.com

Prochains concerts
Discographie sélective
Prochains concerts
Discographie sélective
  • Himmelsmusik (« musique céleste »). Theile, JS Bach, Bulmer, Ritter, Schütz, Tunder, Ahle (Erato)
  • Monteverdi. Vespro della Beata Vergine (Virgin classics), Teatro d’Amore (Virgin classics)
  • Cavalli. L’Amore innamorato (Warner classics)
  • Emilio De’Cavalieri. La Rappresentatione di Anima e di corpo ‘Alpha)
  • Les Pajaros perdidos (Virgin Classics)
  • Mediterraneo (Virgin Classics)
  • Purcell. Music for a while (Virgin Classics)

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