Culture

Le musicien Singular’s de 2020 : Gautier Capuçon, violoncelliste aux semelles de vent

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 29 décembre 2020

Ce n’est pas pour son omniprésence sur les écrans que Singulars retient Gautier Capuçon comme musicien de 2020. Mais bien davantage pour cette prise de risque aussi humble que généreuse de partager quoiqu’il en coûte la musique sur les routes estivales de France. Cette ténacité à conquérir archet au vent un public mérite un coup de chapeau. Son album Emotions par son éclectisme constitue le précipité émotionnel que chacun a vécu individuellement et collectivement.

Comme chacun, mais plus encore comme artiste qui a vu son agenda s’effacer, puis son métier qualifié de non essentiel, Gautier Capuçon a traversé 2020 par chocs successifs tantôt lucide, tantôt hyperactif, pour garder pied, raison et désir au quotidien. Le violoncelliste n’a cessé de mobiliser et de multiplier les initiatives et les solidarités, ne se contentant pas du manque d’imagination des chaines qui pourtant ne cessèrent de le solliciter. Son fait d’arme 2020 – et notre admiration – restera cette conquête du public au fil de l’archet par une tournée sans filet en réponse à un appel du cœur.

Emotions,  cet album constitué de réminiscences et de projections intimes, restera pour longtemps un précipité au sens chimique du terme des émotions vécues, partagées, et sublimées : le choc, la sidération, la résistance, la solidarité, la force des fondamentaux du métier, la fierté sincère doublée d’une responsabilité assumée et la résilience festive du partage… Et sans cesse se relever.

Le choc ; l’aboutissement d’une vie pour un interprète qui s’évapore après seulement quelques répétitions ; une tournée américaine puis européenne – et la perspective de plusieurs mois de voyages et de triomphes – avec l’un des derniers grands seigneurs de la baguette, Michael Tilson Thomas (né en 1944), à la tête depuis plus de 25 ans du prestigieux San Francisco Symphony Orchestra.

La sidération ; toute une existence minutieusement planifiée au point de créer malgré tout un cocon protecteur qui s’effiloche au fil des reports, puis des annulations, balayant dates, plannings, rencontres sur la planète entière. Tout s’efface implacablement face à un risque dont on ne sait rien.

Mais, il faut se rendre à l’évidence, la seule solution qui vaille est le retour chez soi – in extremis en attrapant le dernier vol pour Paris avant la fermeture des frontières, enfin l’arrivée quasi bredouille dans l’appartement, où l’exercice musical s’est effacé, sans pratiquement de perspective.

 La résistance ; face à cette angoisse qui submerge chacun, et le monde entier, la musique redevient une bouée de sauvetage, au sens propre et figuré ; la première vidéo sur Instagram date du 15 mars ; il y en aura une par jour, soit 56 dans cette parenthèse surréaliste. Si la musique a toujours été un refuge pour lui, elle devient une bouteille à la mer par le jeu des réseaux. « Et cela a été un vrai partage, avec des retours des gens très forts. » confie Gautier.

La solidarité ; en multipliant les initiatives pour celles et ceux qui ont été touchés en première ligne ; la mise aux enchères, fin avril, d’un concert virtuel privé, en vue de lever des fonds pour les musiciens en difficulté et permettre aux étudiants de sa Classe d’Excellence de Violoncelle de recevoir une bourse, l’enregistrement en plein confinement de cet album et concert collectif, Symphonie pour la vie, initié avec le violoniste Hugues Borsarello, et dont les bénéfices sont reversés à la Fondation Hôpitaux de Paris – Hôpitaux de France, sans oublier les concerts dédiés aux soignants.

 La force des fondamentaux du métier ; « C’est à nous d’aller vers les gens, en faisant et se faisant plaisir » Alors que le déconfinement était annoncé, ce fut comme une évidence, il fallait aller au-devant de ceux qui ont tant partagé via leurs écrans ; pendant ces moments de distanciation, revenir au contact direct, à cette expérience partagée in situ, cette dimension millénaire de la musique. Et pour éviter toute polémique, cette tournée baptisée symboliquement « Un été en France », partout où édiles et mélomanes veulent bien l’accueillir sera gratuite. L’élan pour le recevoir, l’écouter est irrésistible.

 Le partage intimiste ; plus de 20 dates sur les routes de France, de Lons-Le-Saunier (le 30 juin) au Mont Saint Michel (le 19 août), loin des salles de concerts habituelles, seul ou accompagné des pianistes Samuel Parent et Jérôme Ducros, qui signe les transcriptions de l’album : « un merveilleux compositeur et arrangeur, mon plus vieux complice, avec lequel je joue depuis que j’ai quinze ans » insiste, fidèle en amitiés, Gautier.

Pas de stratégie préétablie dans leur répertoire, seulement la volonté de servir la musique :  de Brahms à Dvorak, de Chostakovitch à Rachmaninov, et ne rien se refuser grâce à de multiples transcriptions d’airs d’opéras de Puccini, de Bizet ou de Dvorak, …  Le potentiel est immense ; « Emotions » n’en a capté que quelques-unes…

La fierté sincère doublée d’une responsabilité assumée en favorisant l’ouverture de lieux inédits qui vont créer des précédents, et attirer un nouveau public, sans préjugés : « Face à moi, il y a toujours une grande partie du public qui n’a jamais assisté à un concert classique. » ni complaisance ; en première partie, le savoyard joue trois suites de Bach, peu réputées malgré leur nom de danses, pour leur côté facile, ni festif : « Quand je vois des gamins écouter trois suites de Bach pendant une heure et demie sans bouger, je trouve ça magique. » La sérénité du pari gagné !

La résilience de la transmission ; beaucoup de dates de la tournée ont été l’occasion d’un hommage aux soignants et à tous les autres corps de métiers qui nous ont permis de vivre pendant cette période, mais aussi de jouer avec des musiciens en herbe par l’entremise de l’association ‘Orchestre à l’école’, qui leur fournit un instrument pendant trois ans. Cette dynamique de terrain ne fait que compléter à une autre échelle la Classe d’Excellence de Violoncelle que le violoncelliste anime depuis 2014 à la Fondation Louis Vuitton… On est loin du musicien enfermé dans sa tour d’ivoire, au cœur de l’apprentissage auprès de maitres (dont le génial Philippe Muller), et qu’il souhaite à son tour transmettre ; la maitrise de ses émotions, de ses doutes, au service de la musique.

Nul ne pouvait imaginer que ces « émotions », enregistrées en début d’année allaient anticiper, porter puis incarner 2020 ! Inutile de faire le jeu des correspondances, en fonction de votre personnalité, de votre histoire, et de vos souvenirs de 2020 ou d’ailleurs, chaque partition de ce bouquet de couleurs vous parlera différemment. C’est sa force aussi, dépasser les frontières, et ouvrir l’horizon.

Toujours se relever quoiqu’il en coûte 

Même si au 1er janvier 2021, nul ne peut savoir comment la vie culturelle en général et celle du musicien va rebondir. Cette remise en cause de ses agendas fous, fixés deux ans à l’avance aux quatre coins du monde l’oblige au recul et se concentrer sur l’essentiel ; cette passion vitale pour la musique.

On peut seulement se convaincre que quelques soient les incertitudes déliées par la vaccination, Gautier dés que ce sera possible repartira au-devant du public : partager, toujours partager, ses plus intimes convictions, pardon « émotions », loin des artifices et dès qu’en dira-t-on !

Pour suivre Gautier Capuçn

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