Culture

Partage d’un mélomane : Pēteris Vasks, un letton en Normandie

Auteur : Jean de Faultrier
Article publié le 18 mai 2020

En ce nième dimanche confiné, notre mélomane s’apprête à écouter le quatuor (sans nom) de Peteris Vasks pour piano, violon, alto et violoncelle. Lui revient alors en mémoire un moment de l’été 2005 quand, sur les marches de la Cathédrale Saint Pierre de Lisieux, il croisa un amateur dubitatif. Quinze ans plus tard et, plus que jamais, les inspirations baltes sont dans notre paysage musical, il faut s’en nourrir.

Vers les rives contemporaines de la Baltique

Un vieil homme à la longue chevelure rousse s’approchait lentement du porche de Saint Pierre, cathédrale austère mais inspirante en plein cœur de Lisieux. Il ne savait pas ce qu’il faisait là tant son goût musical ne l’avait jamais encore détourné de la musique romantique et infiniment dix-neuvièmiste.

Or le programme de cette soirée allait l’entraîner jusqu’aux rives contemporaines de la Baltique grâce à Christine van Daele, créatrice des Promenades musicales du Pays d’Auge , qui avait invité ce soir-là Olivier Charlier au violon et l’Ensemble de Basse Normandie sous la direction de Dominique Debart sur un thème de « Cordes vagabondes ».

Une lumière distante irisa les vitraux fragiles de la nef grise et minérale, c’est une autre lumière distante qui attendait cet homme.

Distant Light, concerto pour violon de Pēteris Vasks

Car tel est le nom de ce poème longiligne qu’introduisent des notes filées, en suspension dans les hauteurs élancées, susurrées par le violon comme une confidence et qui font frissonner le vieil homme roux. Il ferme les yeux, penche un peu la tête et se recueille. A de lentes phrases sans ponctuation succède un équilibre fragile entre une douleur esquissée et un attendrissement mélodieux. L’orchestre se rallie au chant du violon sans paroxysme, ensemble ils déploient une envergure à portée de regard ou d’écoute. Une intense humanité habite ce qui se révèle alors, un équilibre magique entre une œuvre et ses interprètes.

Au centre du concerto, le violon s’envole à nouveau, peut-être en quête de cette lumière éloignée que porte l’œuvre, irisant de ses longs accords une intensité qui saisit et captive. Cette lumière distante serait celles d’astres inatteignables, ou bien celle qui entoure d’un halo mystérieux des galaxies insoupçonnées. La vaste église s’emplit de ces scintillements à l’atmosphère parfois escarpée, souvent ample, le long et unique mouvement de ce concerto pour violon se déploie en quelques segments habités et s’achève en une suspension infidèle au temps.

Après de bien riches vagabondages sur d’autres rives baltes, le vieil homme repartit heureux et intrigué, ému aussi, ayant hésité à venir écouter des musiques venues d’un si lointain septentrion. Il s’en retournait bouleversé et son regard sur la nuit qui arrivait au dessus de Lisieux s’enivra d’une autre lumière qui prenait aussi sa distance.

Réentendre Peteris Vasks dans l’intimité d’un salon est un privilège

L’impression initiale est confortée, malgré l’absence charnelle de musiciens qui donnent une âme, une autre vie à l’œuvre jouée. Allez plus avant avec le compositeur Letton, c’est écouter « Canti Drammatici », du nom du troisième des six temps de son quatuor pour piano, violon, alto et violoncelle, ou la mélancolie vit une liaison heureuse avec la beauté. C’est également plonger dans une œuvre chorale plus récente avec orchestre et orgue, « Laudate Dominum », intense et mystique, proposant une sorte de vertige horizontal assez fascinant.

Discographie sélective du compositeur letton Pēteris Vasks

  • Concerto pour violon « Distant Light », (Katarina Andreasson, violon), Musica Dolorosa, (Mats Levin, violoncelle), Viatore, Swedish Chamber Orchestra dirigé par Katarina Andreasson, Label : BIS, 2004.
  • Laudate Dominum, Latvian Radio Choir, Sinfonietta Riga, Sigvards Klava, Label : Ondine, 2017.
  • Canti Drammatici, Ensemble Raro : Diana Kettler, Alexander Sitkovetsky, Razvan Popovici, Bernhard Haoki Hedenborg, Label : Solo Musica, 2004. (à noter que ce CD comporte également le Quatuor avec piano op.60 de Brahms).

 

Archives du Festival Les Promenades Musicales du Pays d’Auge (2020)

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