Culture

Une histoire des images, de David Hockney et Martin Gayford (Thames & Hudson)

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 4 décembre 2021

Occultée à sa sortie par le succès de sa rétrospective à Beaubourg en 2017, la passionnante et éclairante Histoire des images de David Hockney est rééditée par Thames & Hudson, augmentée d’un émouvant témoignage d’un artiste octogénaire convaincu de la force des images.  Toujours aussi somptueusement illustré, ce dialogue impertinent et décomplexé avec le critique d’art Martin Gayford reste une invitation à se forger un regard critique face à la puissance omniprésente du visuel et à savourer avec jubilation la force des images. Mettant la main à l’Ipad qui ne le quitte plus, Hockney démontre que son année en Normandie fut à la fois joyeuse, fraiche et inspirante au Musée de l’Orangerie, jusqu’au 14 février 22.

Une invitation à sortir des automatismes

Que son œuvre figurative vous attire ou non, la passion du peintre britannique féru des techniques de reproduction de masse dans son art constitue non seulement un témoignage de première main d’un praticien multimedium (de l’huile au polaroid, de l’imprimante couleur à l’ipad), mais aussi un récit du visuel tous supports confondus, autant sur la façon de créer des images que de les voir. Avec une question tout le long de ce savoureux dialogue avec l’historien d’art Martin Gayford : « L’histoire des images commence dans les grottes et s’achève pour le moment, sur des écrans d’ordinateur« , dit-il. « Mais le défi reste inchangé : comment représenter un monde en trois dimensions sur une surface en deux dimensions? »

Son originalité est de refuser l’opposition (trop souvent dialectique) entre peinture et technique, image manuelle et image mécanisée, image fixe et animée, haute culture et pop culture pour les associer dans leur constante présence, dans notre imaginaire. Convaincu que nous sommes les témoins – et surtout désormais les acteurs tant les outils sont à notre portée – d’un changement fondamental dans la fabrication des images, il nous invite à sortir des automatismes et des catégories pour interroger leur réalité et leur vérité, et le réel du monde qu’elle contribue à (re)produire.

Les machines optiques à l’origine du réalisme pictural européen

Déjà dans son livre enquête « Secrets d’artiste » publié en 2001, Hockney démontrait que les optiques étaient utilisées par les maîtres (Caravage, Vélasquez, et bien sûr Vermeer et sa camera obscura) bien avant l’invention de l’appareil photographique en 1839, qui pour l’artiste « ne fait que rendre possible une transposition optique de la nature. »
Avec « Une Histoire des images, De la grotte à l’écran d’ordinateur« , qui en est la continuité, l’artiste élargit et développe l’impact des différentes techniques de l’image – de l’estampe à la photographie, de l’informatique au smartphone – dans la fabrique de l’art et de la réalité qui nous englobe. A rebours d’une approche par genre, l’image appartient à « une catégorie unique », définie comme « la représentation du monde en trois dimensions sur des surfaces planes » qu’il ne faut cesser d’interroger aussi bien dans le temps que dans l’espace : « Le monde d’aujourd’hui est rempli d’images. Mais la plupart ne sont pas mémorables. Celles qui ont survécu et survivront, seront le produit d’une intense observation, du talent et exigeront la main, le cœur et les yeux de leurs concepteurs. »

Réconcilier Marie-Madeleine et Ingrid Bergman

Richement illustrée, puisant dans l’ensemble de l’iconographie occidentale, ses intuitions créatives comme ses rapprochements très subjectifs vous fascineront – ou vous agaceront – tant ils secouent la rigueur scientifique de l’historien d’art, incarnée ici par Martin Gayford.
Mais elles renversent les perspectives – au sens propre, celle ‘inventée’ par Brunelleschi à Florence en 1420 – et multiplient prosaïquement les liens entre les siècles, les genres et les médiums, comme par exemple le ressemblance faite entre La Marie Madeleine pénitente du Titien et Ingrid Bergman de Casablanca, entre El Greco et Picasso, Orson Wells et Lorenzo Lotto,… Les saillies sont parfois savoureuses comme ce qu’il dit de Pollock défini comme « un peu chinois : avec un point de fuite qui ne cesse de se déplacer »…

Juan Fernández, « El Labrador » Deux grappes de raisin suspendues 1628–30.Huile sur toile. Musée du Prado, Madrid

Le risque d’un « âge des ténèbres numérique »

L’immense culture et pratique visuelle d’Hockney autorise toutes les fulgurances. « Si l’histoire de l’art et celle des images divergent, ce sont les images qui conserveront le pouvoir » comme le prouve d’ores et déjà selon lui la disparition des avant-gardes contemporaines utopistes et autoproclamées. A rebours de la fameuse célébrité éphémère de Warhol, il prophétise que personne ne sera célèbre si ce n’est localement à cause de la fragmentation des mass media. Sans conservation fiable des supports digitaux, il souligne qu’il y a un vrai risque d’un « âge des ténèbres numérique ». Enfin,  si les innovations techniques – du pigment au numérique – ont toujours été un aiguillon et un auxiliaire pour doper l’imagination des artistes et des regardeurs, tout le monde peut désormais s’en emparer … et s’y noyer.

A l’issue de ce dialogue haletant bien évidemment inachevable, le peintre octogénaire confie tout de même avec un humour très british que « les difficultés inhérentes à la représentation du monde en deux dimensions resteront. » Et c’est bien dans ce défi que reste intact le métier d’artiste quelque soit le support final.

David Hockney, Still Life with TV, 1969 © David Hockney. Photo Crédit : Christie’s

Pour suivre David Hockney

David Hockney et Martin Gaydord : Une Histoire des images, de la grotte à l’écran d’ordinateur, Thames & Hudson, 368 p. 29€, Broché 2021 (2 éd)

David Hockney : Savoirs secrets : les techniques perdues des maîtres anciens Seuil, 328 p. 250€, 2006

La cote selon Artsy.net

A voir : David Hockney. A Year in Normandie, Musée de l’Orangerie, jusqu’au 14 février 2022.

Du printemps à l’hiver 2020, David Hockney a peint toute une année de ses pérégrinations en Normandie. Plus de cent images produites par l’artiste à l’iPad, son médium apprécié pour sa rapidité et sa précision sont rapprochées sous la forme d’une longue frise de 90 mètres qui rappelle la tapisserie de Bayeux.

Le procédé permet au visiteur baignée dans une palette acidulée de retrouver la fraicheur des « compositions en aplats juxtaposés aux accents pop » d’un octogénaire totalement libéré.

 

Partager

Articles similaires

Préhistomania, ou l’art du relevé et de sa diffusion (Musée de l’Homme)

Voir l'article

Bernard Réquichot, « Je n’ai jamais commencé à peindre » (Centre Pompidou)

Voir l'article

Bela Bartók & Peter Eötvos, l’esprit Magyar et ses forces telluriques

Voir l'article

Le carnet de lecture de Florentine Mulsant, compositrice

Voir l'article