D’argent et de sang, de Xavier Giannoli, la série choc sur l’escroquerie de la taxe carbone (Canal +)
Une fresque d’un monde de cupidités
Librement adaptée du livre-enquête D’argent et de sang, par Fabrice Arfi, journaliste à Médiapart (Seuil, 2018), la série de Xavier Giannoli reprend – en deux parties de 6 épisodes – l’histoire vraie d’une gigantesque escroquerie financière entre 2008 et 2009 que Guillaume Nicloux avait décrypté les rouages et les protagonistes dans son documentaire « Les rois de l’arnaque » (Netflix, 2021).
Avec la même conclusion dramatique, puisque tous les acteurs ont fini soit morts ou derrière les barreaux.
Retour sur les faits


Les rois de l’arnaque, documentaire de Guillaume Nicloux sur Netflix, 2021
Entrée en vigueur dans les années 2000, une nouvelle loi européenne des quotas carbone permet aux entreprises « propres » de vendre des ‘quotas carbones’ aux plus polluantes. La vente dégage un chiffre d’affaires, taxé à 20% par l’Etat français. Plus le montant est important, plus le potentiel de TVA grossit.
Un duo croquignolesque, Marco Mouly et Grégory Zaoui, tous deux issus de la communauté juive tunisienne de Belleville à Paris vont découvrir le moyen de détourner et empocher la TVA des quotas via des sociétés-écrans. «La taxe carbone, c’était la Banque de France avec les portes ouvertes, il suffisait d’y venir avec des caddies et de les remplir» dit l’un deux dans le documentaire de Nicloux.
Afin de lancer leur évasion fiscale à grande échelle, ils ont besoin d’un investisseur qui va leur permettre d’atteindre leurs ambitions. Ils le trouvent en la personne d’Arnaud Mimran, trader et joueur aux goûts ostentatoires de luxe.
Les sommes récoltées se compteront en centaines de millions d’euros (le montant réel n’a jamais été communiqué par que l’Etat français), de quoi faire des envieux notamment le grand banditisme et les foudres de l’inflexible procureur Patrice Amar, … aventure qui se termine par deux meurtres, une tentative d’assassinat, et de longues peines d’emprisonnement.
Une alliance inattendue et explosive


Ramzy Bedia, « Fitoussi » (alias Marco Mouly) et David Ayala son cousin Bouli (alias Grégory Zaoui)) dans D’argent et de sang, Photo © Curiosa Films
A la fois pédagogique, bien rythmé et haletant, le parti pris de Xavier Giannoli est de saisir de ce matériau en « TVA » massive (comme Olivier Marchal (Carbone) en 2017) pour réaliser une fiction choc, qui tricote faits et personnages réels et fictions bien troussées. Il profite du format long d’une série de 12 épisodes, diffusée en deux temps, – la première partie s’est achevée mi novembre, la suivante est prévue en janvier – pour creuser avec gourmandise le profil de ses personnages – vrais ou fictifs – hauts en couleurs appuyée par un casting cinq étoiles.
Il y a les jeunes loups qui ont faim : Ramzy Bedia incarne « Fitoussi » (alias Marco Mouly), David Ayala, son cousin « Bouli », alias Grégory Zaoui, de l’autre, Niels Schneider est « Jérôme Mattias » (alias Arnaud Mimran),le golden boy du XVIème arrondissement. S’ils sont tous juifs, la différence flagrante de milieu social et de motivations entre les partenaires les distingue, ce qui autorise toutes les manipulations.


Niels Schneider joue Jérôme Mattias (alias Arnaud Mimran), le trader courtisé par Fitoussi dans D’argent et de sang, Photo © Curiosa Films
L’audace et le côté charmeur-flambeur de Ramzy Bedia vont bluffer Niels Schneider, notamment lorsqu’il balance des billets de manière provocante dans un casino de Deauville. Ils aiment le jeu, les belles filles et les belles voitures … sauf que le premier veut faire partie de l’élite, émerveillé par le pouvoir de l’argent, même s’il n’en possède pas les codes, alors que l’autre a déjà tout.
Le beau-père de « Jérôme/Arnaud Mimran » est un milliardaire, inspiré du vrai homme d’affaire Claude Dray. Dans la fiction, il se retrouvera assassiné dans sa villa à Neuilly avec une balle dans le coup et une dans la tête…
La ligne de la justice


Simon Weynatcher (Vincent Lindon) est le chef des douanes judiciaire, enquêtant sur l’escroquerie des taxes carbone, Photo © Curiosa Films
Pour les traquer, Ginnoli dessine une saisissante figure de l’ordre (peu mise en avant dans le documentaire), « Simon Weynatcher« , chef du service des douanes judiciaires incarné magistralement par Vincent Lindon. Son personnage implacable, obsessionnel et lucide est contrasté par son talon d’Achille : sa relation conflictuelle avec sa fille. Cette dernière ne cesse de lui soutirer de l’argent pour se défoncer comme une junkie. Cette situation intime délicate le fragilise alors que l’ enquête difficile exige qu’il ne laisse pas encore éclater sa colère devant son impuissance. Le contraste entre la vie de bamboches des uns et l’austérité affective de l’autre fait partie de la dynamique que Giannoli sait parfaitement distiller pour nous maintenir en haleine.
La grande force de Giannoli est son réalisme.
Au-delà de son côté rocambolesque spectaculaire, le récit captive d’autant qu’il reste encore parsemé de zones d’ombre aujourd’hui, car seuls les auteurs de l’escroquerie connaissent réellement la vérité, notamment sur l’argent mis de côté après le procès. D’argent et de sang illustre une histoire profondément actuelle, où l’appât d’un gain facile sans limite ni violence se nourrit des failles juridiques ou des fragilités technocratiques, sauf que l’on ne provoque pas un Etat sans s’en sortir indemne.
Après « D’argent » accessible dans son intégralité, la seconde partie « le sang » qui porte bien sa promesse d’une chute inéluctable est diffusée à partir de janvier 2024.