Gastronomie

La tête de veau, figure de proue des Produits Tripiers en novembre

Auteur : Blandine Vié
Article publié le 8 novembre 2018 à 13 h 56 min – Mis à jour le 9 novembre 2018 à 17 h 53 min

La tête de veau a longtemps fait partie du bestiaire incontournable des marchés aux viandes parisiens jusqu’aux années 50-60, quand les Halles étaient encore le “ventre” de Paris (puisque sises intra muros). On la trouvait alors à l’étal de tous les tripiers, le cuir blafard et les naseaux inévitablement fleuris de petits bouquets de persil frisé…

À la campagne, c’était aussi un plat rituel que l’on mangeait dans les foires après avoir fait « affaire » entre maquignons. Hélas la corporation des tripiers a presque disparu aujourd’hui mais parmi tous les abats plus ou moins tombés en désuétude, on peut dire qu’elle garde la tête haute car elle continue à faire partie de notre patrimoine culinaire.

Tête de veau, à préparer… Photo

Tête de veau, à préparer… Photo © triperiefrancaise.fr

Plat canaille et bourgeois à la fois

La tête de veau a réussi cette invraisemblable gageure — fait rarissime, et peut-être même unique dans l’histoire de la cuisine — d’être aimé par toutes les classes. En effet, la tête de veau a toujours été populaire à la fois chez les gens du peuple (classe ouvrière ou paysans) pour qui elle était l’un des rares plats de viande de boucherie accessible au niveau du prix — même si presque exclusivement plat du dimanche — mais aussi chez les bourgeois pour qui, a contrario, à l’époque où l’on fréquentait volontiers les guinguettes et les cafés-concerts, elle était un plat particulièrement apprécié pour s’encanailler.
Car même quand ils étaient très populaires, les plats de terroir se consommaient seulement dans une caste bien définie, en fonction d’affinités électives (région, modus vivendi, rites de reconnaissance d’une corporation ou d’une classe sociale), voire purement sélectives (budget). Ainsi, à la campagne où l’on vivait en autarcie et où l’on se nourrissait presque exclusivement de viande de porc (le cochon étant tué en principe une fois l’an pour les besoins de la consommation familiale), la viande de bœuf a toujours été considérée comme une viande de riche… le bœuf sur pied étant destiné quant à lui — et exclusivement — à tirer la charrue ! C’eut donc été un crime de lèse-majesté que d’oser seulement penser à le manger !

Tête de veau roulée.

Tête de veau roulée. Photo © Laurent Rouvre

Toutefois, la tête de veau bénéficiait d’un statut à part.

En effet, elle était souvent considérée comme un morceau privilégié. Et comme tel, à Paris, elle était pour ainsi dire le plat obligé des “Forts” des Halles. En Haute-Bretagne, les fermiers avaient eux aussi coutume, quand ils vendaient un veau de boucherie, d’en garder la tête pour eux, afin de la consommer en famille le dimanche suivant. Mais elle pouvait faire aussi l’objet de casse-croûte matinaux, à la maison ou au café. La tête “coiffée” (c’est-à-dire avec sa peau) était alors préparée en “casse” (du nom du plat en terre cuite servant à sa cuisson au four), toujours accompagnée de la fraise et des pieds, tandis qu’en Basse-Bretagne, on la préférait “décoiffée” (découverte, c’est-à-dire sans le cuir).
Et dans bien d’autres campagnes, notamment sur les marchés et les foires, elle était souvent l’enjeu des loteries et des mâts de cocagne.
Ce qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler l’Antiquité (sous le règne d’Alexandre le Grand notamment), période où les vainqueurs et les héros étaient gratifiés de plats d’abats — considérés comme éminemment virils — en récompense de leurs prouesses. À cette époque, tout festin digne de ce nom ne devait-il pas comporter obligatoirement un plat de langues de mouton ou d’oiseaux ? Et plus près de nous (au Moyen-Âge) un droit féodal n’accordait-il pas au seigneur la langue des bœufs abattus sur son territoire ?

Novembre, mois des produits tripiers

Les abats firent les délices des ripailles rabelaisiennes, de la cuisine de cour de nos rois de France, et de la cuisine populaire des années d’après-guerre. Ils tombèrent hélas en désuétude au moment de la maladie de Creutzfeld-Jakob (maladie de la vache folle).
Aujourd’hui réhabilités et rebaptisés « produits tripiers » par euphémisme, on peut les déguster dans les brasseries ou se les procurer chez les tripiers (il en reste sur les marchés) et bien sûr chez votre-artisan-boucher (sur commande).
L’opération « Novembre, mois des produits tripiers » a maintenant lieu depuis 18 ans afin de montrer aux consommateurs que ce sont des aliments de première qualité dont la diversité de goûts et de textures (craquante, moelleuse, gélatineuse) permet de varier les plaisirs car ils se déclinent selon une infinie variété de recettes épatantes. Alors, n’hésitons pas à les inviter plus souvent sur nos tables. Car, bien souvent, si on les boude, c’est surtout parce qu’on ne sait pas trop comment s’y prendre avec eux et qu’on n’ose pas les cuisiner. Goûteux, très ludiques, et souvent économiques (exception faite des ris et du foie de veau), ils sont pourtant devenus les vedettes de ce qu’il est convenu d’appeler la « bistronomie », ce courant très tendance qui propose une relecture des classiques de la cuisine de bistrot et de la cuisine bourgeoise sans en garder les clichés. Et pas seulement en novembre !

Qu’est-ce qu’elle a ma gueule ?

La tête de veau fait partie des abats blancs, qualificatif que l’on attribue aux abats non en fonction de leur couleur comme on le croit généralement… mais en fonction d’une préparation initiale effectuée par le tripier et qui consiste à échauder, blanchir — d’où l’adjectif blanc — ou même précuire ces abats, par opposition aux abats rouges, vendus tels quels, sans aucune préparation préalable, et qui doivent leur nom à ce qu’effectivement la majorité d’entre eux (foie, cœur, rognons par exemple) — mais pas tous — sont rouges. Ainsi, paradoxalement, la cervelle (tout comme les animelles, la moelle ou les ris de veau) fait donc partie des abats rouges quand elle est vendue à part ! De même la langue. D’une manière générale, les abats — ce que l’on appelle en boucherie le cinquième quartier — sont très fragiles, et doivent donc être cuisinés rapidement.
Autrefois la tête de veau était presque toujours vendue entière mais aujourd’hui on la trouve plus généralement roulée, ce qui correspond à une demi-tête désossée (cuir et joues), enfermant généralement une demi-langue (mais pas toujours). Entière elle est simplement blanchie alors que roulée, elle est très souvent précuite.
Une tête entière pèse de 6 à 9 kg (selon les races et l’âge du veau), cervelle (250 à 300 g), langue (700 g à 1 kg), et os compris. On peut la commander par demi-têtes ou par quartiers. Si on la souhaite désossée, ne pas oublier de préciser au tripier de réserver les os pour le bouillon de cuisson.
Une tête entière convient pour 10 à 12 personnes, mais peut contenter un nombre beaucoup plus grand de convives (jusqu’au double) dans certains cas (terrine par exemple). On compte 250 à 300 g par personne si la tête est désossée, 300 à 500 g si elle ne l’est pas. Une tête ne contenant bien évidemment qu’une seule langue et qu’une seule cervelle, il peut être judicieux d’acheter une langue et une cervelle supplémentaires pour que chaque portion puisse en comporter raisonnablement.

Tête de veau (on ne peut pas se tromper !)

Tête de veau (on ne peut pas se tromper !)

Une demi-tête roulée peut peser de 1 à 1, 600 kg voire plus avec la langue. et convient pour 4 à 6, voire 8 personnes selon qu’elle est destinée à être servie en entrée ou en plat. Il faut compter 150 à 200 g par personne. Soit la demi-tête désossée et largement parée est roulée sur elle-même et ne comporte donc que le cuir (peau) et la chair des joues, voire parfois une oreille, soit elle est roulée autour d’une demi-langue, elle-même partiellement parée (on pèle seulement la première peau épaisse et le cornet, la seconde peau, plus fine, ne pouvant se détacher qu’après cuisson). Elle se présente généralement ficelée comme un rôti.
Si la tête roulée ne contient pas la langue, on peut toujours en acheter une à part, de même qu’une cervelle… car les vrais amateurs ne sauraient manger la tête sans ces deux attributs ! Quant aux passionnés, ils la font forcément cuire entière, d’une part pour profiter du croquant cartilagineux des oreilles (faisant parfois défaut dans la tête roulée) qui apporte une texture supplémentaire — la palette se composant déjà du gélatineux du cuir, du moelleux des joues, du charnu de la langue, et du fondant de la cervelle — mais aussi parce que les os apportent un supplément de sapidité indéniable à n’importe quelle cuisson !
Enfin, il vaut mieux choisir une tête bien blanche car un cuir (peau) marbré de taches noires est moins esthétique dans l’assiette et bien “grasse”… car plus le cuir est épais, plus sa consistance fondra entre langue et palais après cuisson ! Sa fraîcheur doit être évidente, notamment au niveau de la partie tranchée, mais aussi des paupières, qui doivent être mi-closes, et dont les lisières ne doivent pas être desséchées. Elle ne doit évidemment dégager aucune odeur désagréable.
Bref, elle doit inspirer tellement confiance qu’on doit presque avoir envie de la caresser ! Tripiers ou bouchers sont évidemment tenus de pouvoir prouver sa traçabilité (race, abattoir).

Tête de veau sauce ravigote.

Tête de veau sauce ravigote. Photo © Blandine Vié

Une idée de recette derrière la tête ?

Autrefois, elle était toujours présentée entière et le maître de maison la découpait solennellement à table. C’est encore la méthode qui prévaut dans certaines régions (Lyon, Corrèze, Vosges), notamment pour les occasions festives où les tablées sont nombreuses. La cuisson de la tête entière avec les os est parfois dite « à la lyonnaise ».
Autrefois, on cuisinait la tête entière en tortue (sauce aux herbes tomatée) ou « Savetière » (court-bouillon parfumé au vermouth puis mijotage dans un coulis de tomate). Ou bien farcie « à la bourgeoise » ou encore « à la financière », c’est-à-dire coupée en morceaux, cuite en timbale et garnie d’huîtres, de quenelles de veau, d’olives tournées, de lamelles de ris de veau, de crêtes et de rognons de coq, de truffes, le tout mijoté dans une sauce madère. Au moment du dressage, on rajoutait encore des œufs frits, des petits croûtons, des écrevisses en buisson, bref autant de fioritures qui nécessitaient de la domesticité en privé ou une brigade en cuisine.
Plus modestement aujourd’hui, on la sert à toutes les sauces… pourvu qu’elles soient canailles !
Mais la bistronomie lui a redonné ses lettres de noblesse, par exemple le pressé de tête de veau qui se présente en terrine, démoulé ou non, servi avec des sauces et condiments, voire une huile parfumée. Ou encore des salades, des tapas, des recettes qui jouent sur le contraste des textures.
Quant aux restes, ils font de très honorables beignets ou bien l’on peut aussi les déguster avec une sauce poulette (sauce crémée montée aux œufs, façon blanquette).
Mais surtout, servez toujours les recettes chaudes sur des assiettes également chaudes.

La farandole des sauces

  • La vinaigrette qui peut être émoustillées à l’huile de noix ou aux appétits (herbes) comme dans le Berry.
  • La ravigote : vinaigrette où l’on incorpore oignons ou échalotes hachées, câpres et herbes hachées (persil plat, cerfeuil, estragon, ciboulette). En principe, il n’y a ni moutarde, ni cornichons… mais il n’est pas interdit de déroger à l’usage !
  • La gribiche : sorte de mayonnaise à base de jaunes d’œufs durs pilés et montés à l’huile où l’on incorpore (entre autres)les blancs de ces mêmes œufs durs taillés en fine julienne. Comme elle est assez difficile à faire, on triche souvent — même en restauration — n faisant une mayonnaise classique dans laquelle on incorpore les œufs durs entiers hachés après coup… ce qui n’est évidemment pas la même chose !
  • La tartare : on peut la préparer à l’ancienne, c’est-à-dire comme une gribiche dans laquelle on remplacerait les différentes herbes uniquement par de la ciboulette, ou bien, de manière plus courante, comme une mayonnaise additionnée de cornichons, de câpres, et de ciboulette.
  • La rémoulade : mayonnaise corsée en moutarde et additionnée de pâte ou d’essence d’anchois, d’échalotes hachées, de cornichons hachés, de câpres, et d’herbes aromatiques fraîches finement ciselées.
  • La gaillarde : c’est une rémoulade à la moutarde violette de Brive qui sied particulièrement aux veaux fermiers de Corrèze.

De quoi en perdre la tête !

Où la déguster et avec quel vin l’accorder…

Pour un tas de bons tuyaux, d’adresses et de recettes : rendez-vous sur –> Produits Tripiers

Où la déguster ?

Ponctuellement dans toutes les bonnes brasseries et les néo-bistrots dits ‘bistronomiques’ :
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