Cinéma en salles : Jouer avec le feu, de Delphine et Muriel Coulin
La première image nous montre un homme seul qui marche de nuit, entre des rails…
Pierre est cheminot. Son boulot consiste à réparer des voies de chemins de fer. Félix, son fils aîné, aimé, dit Fus, déraille dans l’extrémisme de droite et la violence des identitaires, sous l’œil révolté, perplexe et angoissé du père. Ex-syndicaliste, Pierre est impuissant à le remettre sur les bonnes rails, celles de la paix avec soi ! C’est à cette descente aux enfers que ce film sombre, admirablement joué, nous convie !
Jouer avec le feu, de Delphine et Muriel Coulin avec Vincent Lindon ex-syndicaliste de la SNCF photo 2024 Felicita, Curiosa Films, France 3 Cinema
Ce que le scénario nous montre, c’est ce qui manque ! « Jouer avec le feu » est un film de femmes…sans femmes !
Et cette absence-là, pèse des tonnes !

Jouer avec le feu, de Delphine et Muriel Coulin est un film de femmes sans femmes! photo 2024 Felicita, Curiosa Films, France 3 Cinema
Le trou creusé par la mort de la mère ne sera pas comblé par l’amour du père. Veuf, Pierre restera sans nouvelle compagne ! La mort prématurée restera , elle, un trou béant ! Et ce film, sans avoir l’air d’y toucher nous fait tourner en rond autour de ce trou ! Pierre élève seul ses deux garçons, Félix et Louis.
C’est un univers d’hommes où les corps se chahutent, se bousculent, se vivent au mieux au stade dans l’affrontement populaire et joyeux entre deux équipes de foot locales ou au pire dans des cages de MMA où deux adversaires sous les hurlements des spectateurs, se cognent sans règles jusqu’au KO final dans le sang.
Un univers masculin où le muscle s’affiche, où la parole est maigre !
Cette absence de féminin n’explique pas tout, mais donne l’humeur dans un contexte politique noir et social, désespérant. Félix est en échec scolaire, contrairement à Louis son jeune frère qui monte à Paris pour intégrer la Sorbonne ! L’un est l’intello, l’autre sera le métallo !
L’ascenseur social est resté bloqué au deuxième sous-sol

Jouer avec le feu, avec Benjamin Voisin et Stefan Crepon photo 2024 Felicita, Curiosa Films, France 3 Cinema
Malgré la complicité et l’affection palpable qui lient les deux frères, cette différence-là jouera son rôle. L’attirance, jusqu’à l’irréparable, de Fus pour ceux qui se nomment les identitaires, dit quelque chose de la perte d’identité dramatique d’une classe sociale abandonnée… Nous sommes en Lorraine. La désindustrialisation a fait des ravages qui, électoralement, se sont traduit par un vote massif en faveur de l’extrême droite.
Ce très beau film noir met le doigt là, où ça sa saigne, là où ça fait très mal ! Le rouge n’est plus la couleur de l’espérance politique, mais la couleur du sang !
L’impuissance du père symbolise ici l’impuissance de la société en général et du monde politique en particulier à endiguer la vague noire qui envahie l’Europe entière.
Le double jeu

Jouer avec le feu, avec Benjamin Voisin photo 2024 Felicita, Curiosa Films, France 3 Cinema
Un mot des acteurs. Vincent Lindon est un homme que j’écoute toujours d’une autre oreille…celle que je réserve aux hommes ou aux femmes qui ont quelque chose à dire ! C’est un acteur qui n’est jamais meilleur que dans son propre rôle…lui même !
Vincent Lindon mais aussi Benjamin Voisin font partie de ces acteurs qui ont un double jeu. Un que tu vois à l’écran et que tu aimes, et un que tu ne vois pas et qui te travaille dans tes combles.
Patrice Gree
Jouer avec le feu, réalisation et scénario de Delphine et Muriel Coulin
Adapté de l’ouvrage « Ce qu’il faut de nuit » de Laurent Petitmangin (La Manufacture de Livres)
Dans le roman, un fils fraye avec l’extrême-droite et son père ne sait pas s’il peut le lui pardonner. Nous avons eu envie, à partir de sa lecture, de faire un film à la fois universel et personnel, avec une dimension politique.
Delphine Coulin
avec Vincent Lindon, Benjamin Voisin, Stefan Crepon, Maëlle Poésy, Arnaud Rebotini, Béatrice Pérez, Edouard Sulpice et Sophie Guillemin