Beaux-livres. L’art et le nombre, de Robert Bared (Hazan)

200 p. 29,95€, Hazan

Avec une fabuleuse érudition iconographie et encyclopédique, Robert Bared déploie dans un essai dense sur ‘L’art et le nombre’ le « génie propre de chaque nombre ». Remarquablement écrit et illustré, son parcours jubilatoire dans l’histoire de l’humanité et de ses symboles en révèle le sens, le rythme et les proportions selon les civilisations, pour dessiner une véritable esthétique du nombre à l’unisson du monde.

 

Etablir des analogies entre le visible et l’invisible 

Pour beaucoup, et c’est peut-être ce qui explique qu’un tel livre n’est pas paru plutôt, la relation de l’art est plutôt répulsive qu’inclusive. Au terme de la lecture de Robert Bared, cette relation est plus fructueuse qu’asséchante, plus stimulante qu’aliénante.  Brassant un  savoir encyclopédique – des époques, des lieux et des arts – il nous lance l’invitation de pénétrer « une autre intimité du monde »

« Beaux sont les nombres, alphabet de l’univers – peut- être une de ses clés de lectures. »

On comprendra dès lors qu’il est difficile de résumer un livre aussi dense, bien illustré qui se déguste plus qu’il se dévore, qui invite au vagabondage plus qu’à l’équation du monde, tant il ouvre de multiples pistes de savoirs, de fictions et d’esthétiques.

Pour en donner l’envie de mieux vivre cette « l’aspiration de l’homme à établir des analogies entre le visible et l’invisible », nous ne résistons pas à croquer en quelques mots ce que Bared exhume et exalte de chaque nombre premier, autant de dimensions qui nourrissent plus ou moins secrètement le visuel.

  • le 0 : prélude à un nombre inexistant, trop réduit au vide et à l’absence,  au rien ou néant, ce silence est ‘une mystérieuse forme du temps’ (Borges),
  • Le 1 : au commencement est l’Un, premier et unique, nourri d’absolu, dont la singularité est magique,
  • Le 2 inaugure l’altérité pour le meilleur et le pire, du reflet au double, de la bicéphalité à la gémélité,
  • Le 3 : l’équilibre de trinité, de la triade sacrée, de l’archétype narratif à la tridimensionnalité, des trois règnes de la nature aux trois faces d’une identité,
  • Le 4, assoit la stabilité, le carré est le symbole de la terre, l’ordre de l’univers, étayé sur l’angle droit,
  • Le 5, renvoie aux origines de la connaissance empirique et sensible, de la prise en main du monde, les cinq doigts de la main à a la Divine Proportion (
  • Le 6, est le chiffre de la création, de l’hexagramme ; de l’étoile à six branches à la Bête de l’Apocalypse,
  • Le 7, le nombre de la perfection universelle, de la sacralité biblique, à la bête à sept têtes, aux sept samouraïs & mercenaires.
  • Le 8 rayonne en étoile ou se déploie en octogone, le nombre de l’équilibre cosmique (rose des vents à la roue de Dharma, .
  • Le 9 : « le nombre de la hiérarchie sous toutes ses formes » des sphères célestes aux profondeurs souterraines,  permet d’embrasser les idéaux tant des muses grecques, de la chevalerie (Les Neuf Preux) que des nymphes et dragons de l’art asiatique.

Et les correspondances ne s’arrêtent pas à 9

Du 10 au mille e tre de Leporello, il y a beaucoup d’autres propositions insoupçonnées au fil des pages.

« Je ne suis pas un numéro » Le Prisonnier

Malevitch Carre noir sur fond blanc Le Quarangle (1915)

Au terme de ce voyage fascinant au cœur de l’esthétique, cet espace symbolique infini, des nombres, Bared réussit à réconcilier les forts en math et les passionnés de lettres et d’images. Même si pour chacun, « les nombres réveillent des images obsédantes, reconnait l’auteur, qui font partie de la mémoire collective ou du blason personnel. »

Lucide, il lance en conclusion un appel à résister par l’art à notre civilisation des algorithmes « aux antipodes du règne froid des valeurs quantitatives, l’art du nombre est un antidote contre la loi du nombre »

#OlivierOlgan