[Cinéma en salle] Les Indes Galantes, documentaire de Philippe Béziat (2021)

avec le plasticien Clément Cogitore, le chef Leonardo Garcia Alarcón et la chorégraphe Bintou Dembélé (108 mn)

Ce documentaire de haut vol n’est pas un paradoxe prés. Il suit la création du spectacle Les Indes Galantes à l’opéra de Paris qui souligne la richesse de l’apport de l’immigration, avec des ballets revisité par la danse urbaine. 

L’incroyable pari de l’Opéra de Paris

Quelles étaient les intentions de l’Opéra Bastille en confiant la mise en scène des Indes Galantes l’opéra ballet de Jean-Philippe Rameau à un créateur tel que Clément Cogitore (voir Singulars) ? Réalisateur de plusieurs court-métrages récompensés et montrés dans de nombreuses expositions d’art contemporain, il est l’auteur d’un unique long-métrage remarqué. Ni le ciel ni la terre raconte la disparition mystérieuse de soldats français postés en Afghanistan alors qu’ils s’apprêtent à un retrait. Traité à la façon d’un huis clos confiné dans un désert rocailleux, la mise en scène déploie un propos fantastique allié aux technologies modernes de détection, en particulier la vision nocturne.

Nous pouvons légitimement penser qu’il était audacieux  de la part des commanditaires de l’Opéra Bastille de faire appel pour mettre en scène un opéra baroque à un plasticien qui revendique un mode opératoire plutôt personnel : « établir des règles très précises et, au milieu, laisser des éléments incontrôlables, pariant sur le fait que cela produira du sens et de la forme. »

Oeuvre moderne en son temps à laquelle il fallait sans doute redonner un gage de modernité.

Ce pari a fait l’objet d’un documentaire qui raconte la gestation et l’aboutissement du spectacle. Réalisé par Philippe Béziat, cinéaste rompu à ce genre d’exercice (Pelléas et Mélisande, le Chant des Aveugles ou encore Traviata et Nous), nous pouvons d’entrée à tous points de vue affirmer que le résultat est admirable. Des premières répétitions à la représentation finale tout en suivant le parcours de certains danseurs de la troupe, nous assistons à une mise en abyme du spectacle.

Que raconte l’opéra Les Indes Galantes ?

Entre un prologue et quatre tableaux, sous-titré Ballet héroïque, il s’agit d’un somptueux spectacle qui déploie des décors mirifiques et des costumes idoines. L’intrigue, quant à elle en son temps prétexte au divertissement, sert aujourd’hui un à-propos tout à fait contemporain. Une défense de l’universalisme soulignée par une prise de position en faveur de l’intégration dans nos contrées d’une immigration de toute origine. En bousculant la matière originelle, Cogitore illustre les tentatives désespérées de gagner des terres plus florissantes de gens issus de pays où règnent le chaos et la misère.

En regardant dans les yeux les insupportables dérives de nos obsessions face à ce qu’un grand nombre d’entre nous juge inadmissible.

Afin d’apporter un sursaut de force à sa mise en scène, Clément Cogitore a convoqué la chorégraphe Bintou Dembélé et sa compagnie Rualité consacrée à la danse urbaine, en particulier le hip hop. En mélangeant les styles du krump au waacking, en passant par le voguing ou encore le bboying et le break, la force du propos est décuplée. La troupe de 30 danseurs, pour la très grande majorité d’entre eux issus de l’immigration apporte une fraîcheur et une puissance saisissante au spectacle. Le public ne s’y d’ailleurs pas trompé en lui faisant à chacune des 20 représentations un triomphe. Ceci malgré quelques critiques dont une douteuse qui perd son sens de la mesure, citée par l’impeccable et très mécontent à ce sujet directeur musical Leonardo García Alarcón. “Pourquoi payer 200€ pour voir des danseurs à qui on ne donnerait que quelques centimes dans la rue?” Emblématique du chemin qu’il reste à parcourir dans ce pays pour ouvrir ses écoutilles.

Cette réflexion d’une bêtise abyssale donne d’autant plus de poids à l’apport du documentaire. Par un effet miroir il recueille le témoignage des danseurs qui tous racontent la même histoire, je suis issu d’un ailleurs mais je suis français et fier d’appartenir à cette communauté.

En s’appropriant les codes d’un opéra tel que Les Indes Galantes, en s’extasiant devant sa beauté musicale et harmonique, ils parcourent un chemin d’autant plus étendu que celui que nous devrions faire pour aller à leur rencontre.
Ce n’est pas la moindre des leçons à tirer de ce film revigorant.

 

#Calisto Dobson