Essai : Histoires des médias, par Jacques Attali (Fayard)

Des signaux de fumée aux réseaux de sociaux, et après, Fayard, 524 p. 23€

Fidèle à sa démarche, Jacques Attali s’appuie sur l’histoire pour prévoir l’avenir. Sauf que sa vision très apocalyptique de ‘L’ Histoires des médias’ ne donne guère de raisons d’espérer. Au verre à moitié vide, l’essayiste préfère brosser un modèle quasiment vide, épuisé entre pouvoir (censure), profit (instrumentalisation) et distraction (addiction), le Cassandre médiatique ne se contente toutefois pas de dénoncer. Et appelle quelque soit le média, à distinguer le vrai du faux, et se battre pour la vérité.

De -3000 à 2100, Une passionnante épopée humaine

« On passera de l’hyper-surveillance, où nous sommes, à l’autosurveillance, où chacun, pour être protégé, se résignera à fournir volontairement à ces pouvoirs de plus en plus d’informations sur lui-même ; où chacun fuira la mort par la distraction, plus encore que par une croyance ou un rituel. La démocratie, avec ses compromis, sera de moins en moins prisée et défendue ? L’Etat lui-même ne sera plus qu’un prête nom de ces firmes planétaires. » Son Histoire des médias, Des signaux de fumée aux réseaux sociaux, et après’ (Fayard) poursuit une vision d’un monde proche son anéantissement comme en témoignait déjà son Économie de l’apocalypse (en 1994) ou son ‘prophétique’ (sic) Tous ruinés dans dix ans? (2010).

Un souffle épique portée par une vaste érudition

Comme à son habitude (après l’alimentation, la mer, le nomadisme, la dette publique… entre autres), l’essayiste prolifique brosse avec talent, et une puissante érudition (pas moins de 45 pages de bibliographies !), une passionnante épopée historique, à la très vaste amplitude : de -3000 à 2100 ;  des signaux de fumée … aux robots halographiques, qui prévoit-il seront les ‘anchorman’ de demain.

Son écriture accessible aux formules qui font mouches accroche la lecture d’une somme de 400 pages (hors illustrations et graphiques). Dès l’introduction, sa définition des médias concentre une dynamique de rapports de force qu’il ne cessera de décrire :  « un outil de communication est avant tout une source de pouvoir pour le politique, de profit pour ses propriétaires, et de distraction pour ses clients »

De Cassandre au résistant planétaire

Malgré son « émerveillement devant l’ampleur de toutes ces aventures » humaines, qu’il sait nous transmettre, le ressort de l’analyse est sombre :  « La massification de l’information, elle-même censée être démocratique, ne sera à la fin qu’une ruse de la prolétarisation des classes moyennes, un moyen de les ternir en dépendance. » Toujours pour mieux en souligner la finalité mortelle : « La transmission de l’information aura atteint son but ultime. Et l’artificialisation du vivant, principal moteur de l’Histoire, aura réalisé son utopie : créer l’immortel artefact de soi, ayant conscience de soi. »

Plus l’histoire s’efface pour le présent, plus le déclin des médias (journaux, radio, télévision) s’accélère face aux réseaux sociaux, la vraie plaie addictive, plus le constat se noircit, alors même qu’ « au total jamais les moyens de bien s’informer n’ont été aussi importants ».
Tel est le futur prédictible selon Attali …. sauf si nos contemporains en général et le lecteur en particulier – ne font rien.

Le dernier chapitre s’intitule : «  que faire ? ».

Au-dela des gadgets (IA, 3D, immersif) le modèle de la presse ne peut devenir qu »intenable », pris entre les tenails étouffantes voir mortelles du pouvoir (censure), du profit (instrumentalisation) et de la distraction (addiction). Le Cassandre médiatique ne se contente toutefois pas de dénoncer : « Cette alliance de la digitalisation et de la démocratisation emporte les médias dans un maelström dont peu sortiront vivants, à moins que des réglementations globales viennent limiter les pouvoirs des maîtres des réseaux sociaux, devenus des services publics par nature, et qu’on ne donne aux autres médias les moyens de combattre les fake news, avec l’aide, en particulier, de l’école et de l’université. »

Des combats collectifs à entreprendre pour la vérité

Jacques Attali appelle, fidéle à sa réthorique éprouvée, au sursaut même si à le lire, la marche semble tellement haute qu’elle paraît quasi impossible pour que « des humains, assez nombreux, se battent et réussissent à ce que l’humanité tout entière obtienne les moyens de s’informer, de se cultiver, de critiquer, de chercher, de penser et d’être libre ».

Non sans ambition, l’historien distingue les réponses « globales » planétaires – le démantèlement des réseaux sociaux, la fin de l’appropriation des données personnelles, le dévoilement des algorithmes utilisés par les Gafa, … –  et des démarches sociétales et personnelles ; apprendre dès le plus jeune âge à s’informer, revaloriser le journalisme, à trouver un financement autonome des productions éditoriale,  … Il voit dans les « avvisi numériques » une piste « pour échapper aux griffes des réseaux sociaux et de leurs successeurs (en pire). Le projet de Singulars ne le démentira pas !

Quelque soit le média, le format ou l' »informateur », l’urgence reste hier comme aujourd’hui, à distinguer le vrai du faux, et à se battre pour la vérité. Gérald Bronner dans son Apocalypse cognitive rappele lui aussi la même nécessité.
Jacques Attali invite aussi à se déconnecter : « ne pas s’informer, parfois la meilleure façon de se préparer à bien s’informer, pour mieux agir », ce qui constitue le véritable enjeu de l’attention, devenu le cœur de l’économie des médias.