Littérature : Billy Wilder et moi, de Jonathan Coe (Gallimard)

Traduit de l’anglais par Marguerite Capelle. Gallimard. 292p. 22€

Quand on évoque le nom de Billy Wilder (1906-2002), viennent instantanément quelques titres inoubliables de ses films, Certains l’aiment chaud, Sept ans de réflexion ou Sunset Boulevard… Pourtant, moins connue est la vie de ce scénariste, réalisateur et producteur. Dans son roman Billy Wilder et moi, l’écrivain anglais Jonathan Coe lève un coin du voile, en se servant du tournage en Grèce de son dernier film Fedora en 1977 comme prétexte pour brosser toute son admiration pour le cinéaste. 

Une tragédie sur quelqu’un pour qui tout est fini

Calista, une jeune grecque, part en voyage avec une amie aux États-Unis. Alors qu’elles sont toutes les deux invitées à un dîner, son amie part pour rejoindre son amoureux, la laissant seule avec Billy Wilder, son scénariste I. A. L. Diamond (1920-1988) et leurs épouses respectives. Nous sommes en 1977. En Grèce sévit encore la dictature des colonels et Calista ne connait absolument rien au cinéma. Pourtant, cette rencontre va bouleverser sa vie.
Quelques années plus tard, elle est en effet embauchée pour être l’interprète sur le film Fedora qui se tourne sur une île grecque. Ce film sonne comme un écho à la réalité du réalisateur du mythique Certains l’aiment chaud, qui se sent sur une pente descendante de la célébrité alors que la jeune génération se tourne vers les  « barbus » auteurs de Taxi Driver (Scorcese), Amercan Graffiti (Lucas) ou Les Dents de la mer (Spielberg).
Ce qui fait dire à sa femme : « Billy voit ce film comme une tragédie. C’est une tragédie sur quelqu’un qui a connu les sommets, mais pour qui tout est fini désormais. Ce n’est pas un film sur Barry Detweiler. Lui, c’est le personnage secondaire. C’est un film sur Fedora. C’est elle l’héroïne tragique. Et c’est à elle que Billy s’identifie. Voilà pourquoi il veut faire ce film. »

Un roman d’admiration

Fedora, Affiche, version restaurée

Prix Médicis pour La Maison du sommeil, 1998 Jonathan Coe nous offre un récit envoutant et lumineux. Le réel se mélange à la fiction avec naturel. Le romancier anglais a déclaré :  « Paradoxalement, je pense qu’il est plus simple de dresser un portrait fidèle de quelqu’un à travers un roman qu’à travers une biographie. Le livre qui m’en a absolument convaincu est Ravelde Jean Echenoz, que je tiens pour un chef-d’œuvre ». Pour bien cerner son sujet plusieurs procédés narratifs sont croisés dont une soixantaine de pages de scénario pour raconter les blessures du réalisateur d’origine autrichienne. Au moment où une partie du film est tournée en Allemagne, il se remémore ses années de jeunesse sous le joug du nazisme et la disparition de sa mère qui reste un traumatisme.
Le roman nous donne aussi l’occasion de découvrir ici la nature de Diamond, son co-scénariste, moins connu que Wilder, homme peu expansif et pourtant charmant.

Une chose est sûre, après la lecture du roman de Jonathan Coe, nous n’avons plus qu’une envie ; revoir sous un jour nouveau l’œuvre entière de Wilder.

#PatriciadeFigueiredo

Pour aller plus loin

 A lire

Amis Américains : Entretiens avec les grands Auteurs d’Hollywood, Bertrand Tavernier, Actes Sudn 2020

Conversations avec Billy Wilder, Cameron Crowe, Actes Sud / Institut Lumière, 2004. « (…) Un autre dimanche, un mois plus tard. Le livre est terminé. La saison du base-ball a repris. J’appelle Wilder chez lui. Quand il me répond, j’entends sa radio qui diffuse le match à plein volume. « Qui est à l’appareil? » demande-t-il. Je le lui dis. « Qui? » Je dis mon nom un peu plus fort. « Qui est-ce? » Maintenant je hurle. « Ne quittez pas », dit-il avec entrain. Il va baisser la radio à l’autre bout de la pièce. Pendant un moment, je n’entends que le bruit de sa canne frappant le sol. Il reprend l’appareil. « Excusez-moi pour le retard. Qui est à l’appareil? » Je le lui dis à nouveau. Il est heureux de m’entendre, dit-il, et content du match des Dodgers aussi. Son ton est extrêmement chaleureux. À l’époque de nos premières conversations, Wilder avait demandé s’il pourrait vérifier ses propos plus tard. Ignorant si cette requête est toujours valable, je lui propose de relire tout le manuscrit. Billy Wilder refuse immédiatement. Après toutes nos discussions sur tous ces films aux intrigues finement agencées, sur les personnages et les comédiens, après les explications de circonstances importantes ou mineures, les détails d’une vie bien remplie, et ses refus insistants d’accorder à tout cela une importance exagérée, il me laisse avec précisément ce qu’il a laissé au monde: un sens de l’humour doux-amer et très authentique. La Wilder touch. « Non, répond-il aimablement. Je ne veux pas relire. » Une pause. « Comme ça, je pourrai toujours dire: «C’est n’importe quoi, ce truc!» »

A écouter