Littérature : Mon frère ce zéro (Thibert) - Alice, disparue (Paravel) - L’Anomalie (Le Tellier)

En ces temps de morosité, notre sélection associe plusieurs nuances du temps, interroge le sens et la morsure de l’ histoire, avec une intense jubilation : Mon frère, ce zéro de Colin Thibert brosse le destin de paumés avec une drôlerie mordante ; Alice, disparue de Dominique Paravel joue entre joie mélancolique et joie de l’accompli ; enfin le dernier Prix Goncourt, L’anomalie d’ Hervé Le Tellier balaie avec brio les frontières entre fiction et réalité.

Mon frère ce zéro, Colin Thibert – Éditions Héloïse d’Ormesson, 235, 18€

Trois paumés de l’existence se réunissent pour faire un coup fumant : kidnapper le frère jumeau – simple d’esprit – d’un très riche homme d’affaires, le conduire en Suisse et faire main basse sur les comptes grâce à sa signature de l’otage. L’affaire parait facile mais rien ne se passera comme prévu… La victime ne cède en rien aux désirs du trio… alors que se greffent un médecin pas net, un détective privé du même acabit, un duo de flics moyennement efficace…

Colin Thibert, écrivain, graveur et scénariste, brosse avec délectation ces hommes façon Pieds-Nickelés. Rebondissements en chaînes, équipées loufoques qui virent au cauchemar, personnages sans scrupules, c’est aussi le rapport à l’argent qui est évoqué et les dégâts que sa quête peut provoquer. Mais Mon frère, ce zéro est avant tout un roman d’une drôlerie mordante et en ces temps de morosité, à lire d’urgence.

Alice, disparue, Dominique Paravel – Serge Safran éditeur, 224p. 17,90€

Dans les années 70, Aude faisait partie avec sa meilleure amie, Alice d’un groupe de jeunes artistes, idéalistes et sans le sou, partageant un appartement à Venise. Entre fous rires et l’effluve de joints, du partage de rien et de la lutte contre le fascisme dans l’Italie de l’époque. Entre performances artistiques, cours et dolce vita. Jusqu’à la disparition d’Alice sans laisser de traces ni d’explications…  Jamais remise de cet abandon, de cette déchirure, 40 ans plus tard Aude veut retrouver sa trace en se rapprochant de ses anciens camarades…

Dominique Paravel, qui connait bien la sérénissime pour y avoir vécu 20 ans, nous entraîne dans les venelles hors du temps et les Palais secrets, loin de la ville touristique. D’une écriture nostalgique et superbe, « nous éprouvons une joie mélancolique, une joie de l’accompli et du jamais plus » à lire ce roman sur la morsure du temps qui passe et des choix à jamais perdus. Mélancolique et réconfortant.

L’anomalie, Hervé Le Tellier, Gallimard, 327p. 20 €.

En mars 2021, un avion de ligne Paris-New-York malgré une horrible tempête au-dessus de l’océan, se pose sans dommages. Nous suivons alors la vie de quelques passagers et du commandant de bord. Le mystère viendra en juin 2021 où ce même avion, avec son même commandant de bord et ses mêmes passagers, se pose une seconde fois aux États-Unis. Les meilleurs scientifiques sont réunis pour (tenter) d’éclaircir l’événement : faille dans l’espace-temps ? simulation ? manipulation ?….

Hervé Le Tellier mérite ce Prix Goncourt et le succès de librairie qui court depuis son attribution. Tant l’auteur navigue avec aisance entre philosophie et science-fiction, œuvres fictionnelles et scientifiques. Il brasse œuvres prophétiques dont Le guide du voyageur galactique avec son protocole 42, mais cinématographiques comme Interstellar et Tenet de Christopher Nolan (dont l’auteur donne le nom à l’un de ses personnages). Jouissif et captivant, L’anomalie interroge le sens de nos vies, sur la seconde chance donnée aux êtres, sur les nouveaux départs. Tout à fait dans l’air du temps.

#PatriciadeFigueiredo