Netflix : White Tiger (Bahrani), I care a lot (Blakeson), Les coming out (Reiné)

Trois pépites plutôt truculentes venues d’Inde, d’Espagne et des US ont été grattées sur le vif de l’histoire contemporaine ; entre le chauffeur de maitre indien qui réussit à s’extirper de sa condition d’intouchables (White Tiger), l’immorale gestionnaire de tutelles qui fait son beurre sur le dos des frappées d’incapacité (I care a lot) et ce tonitruant couple de septuagénaires espagnoles qui souhaitent se marier contre vent et famille (Les coming out), les points communs sont la fraicheur du ton, une énergie décomplexée et le dépaysement du regard. Des atouts convaincants par ces temps immobiles.

White Tiger de Ramin Bahrani (2h 07min)

Avec Adarsh Gourav, Priyanka Chopra Jonas, Rajkummar Rao

Le destin de Balram Halwai (Adarsh Gourav) , dont la naissance pauvre l’arrime à la caste des Intouchables, ne devait souffrir que du mépris de classe et d’une exploitation sans vergogne de ses maitres. Pourtant ce chauffeur de taxi se met au service d’un couple fortuné, Ashok (Rajkummar Rao) et sa femme Pinky (Priyanka Chopra Jonas), et se rend compte qu’une solide audace peut bousculer son chemin trop tracé.

Ce film – tiré d’un roman d’Aravind Adiga, Booker Prize de 2008 – constitue une édifiante radiographie de l’Inde contemporaine, avec son lot d’inégalités vertigineuses et de corruptions politiques institutionnalisées. D’autant plus pénétrante qu’elle constitue la toile de fond d’un génial caméléon qui s’y fond pour mieux en échapper. A la différence de Slumdog Millionaire dont le happy end jubilatoire dissout la violence du contexte social, le film de Ramin Bahrani refuse le ressort du conte fédérateur. Sans complaisance, avec une ironie exacerbée, Il souligne que seuls ceux qui renforcent ou se jouent d’un système politique corrompu réussissent à survivre.

Toute la force du récit moralement très cru repose sur la stupéfiante résilience du personnage principal – inconditionnel optimiste – plongé dans les vertiges de l’extrême pauvreté comme de l’extrême pouvoir que concède la richesse. Le parti pris de la photographie au raz du sol sans oublier les no-man land du parking aux valises de billets – loin des brochures touristiques. Surfant sur les crêtes du drame et du surnaturel,

I Care A Lot, de J Blakeson

Avec Rosamund Pike, Eiza Gonzalez, Dianne Wiest,  Peter Dinklage

Le même cynisme dynamite aussi le récit de I care a lot. Baignant dans les couleurs acidulées d’un succes-story sans faille, rien ne semble arrêter la mécanique bien huilée de l’ambitieuse Marla Grayson (Rosamund Pike) et de son associée et compagne Fran (Eiza González Reyna). Leur juteux business de gestion de tutelles se développe au rythme des ‘rentrées’ de personnes âgées vulnérables, isolées et surtout fortunées.  Rien de plus facile de cibler, et d’obtenir la tutelle sans leur consentement quand on bénéficie de la complicité de tiers soit corrompus (médecin, EHPAD) soit manipulés (juge). Cette arnaque immorale mais légale bien rodée n’aurait pas de limites si Marla n’avait été alléchée par les biens d’une retraitée apriori bien tranquille Jennifer Peterson (Dianne Wiest)… qui va se révéler plutôt coriace à dépouiller….

Amateur de films à l’eau de rose passez votre chemin ! Sous des airs aseptisés de brochures institutionnelles pour vanter la rentabilité d’un business, se cache le portrait d’un redoutable lionne qui n’a de respectables que ses tenues acidulées et la décoration de son luxueux bureau. Après Gone Girl, de David Fincher et Radioactive, ou elle donnait ses traits à la soif de vaincre de Marie Curie, Rosamund Pike incarne une femme aussi garce que machiavélique, incapable de céder ses prérogatives et furieuse pour défendre par tous les moyens ses biens mal acquis… Il y a du Trump dans cette femme d’affaires, sans morale, sans affect, obnubilée par l’argent et ultra confiante dans son art du deal pour retourner ses adversaires. Le rythme est haletant, d’un cynisme grinçant quasi jubilatoire, surtout qu’en entre en scène un adversaire enfin à la hauteur. Pour un final « Trumpien » la fois vénéneux, cynique et imaginatif.

Les coming out,  de Ángeles Reiné (1h 34min)

Avec Rosa María Sardà, Verónica Forqué, Ingrid García-Jonsson, David Verdaguer, Candela Peña, Mónica López, Alex O’Dogherty, Pol Monen, …

Si le pitch est ultra simple ; quand Sofia (Veronica Forqué) la grand-mère d’Eva annonce son désir de mariage avec Celia (Rosa María Sardá), sa meilleure amie, Eva (Ingrid García Jonsson), elle-même sur le point d’épouser un riche héritier issu d’une famille très conservatrice, n’a qu’une idée en tête, en débarquant chez elle sur l’île de Lanzarote ; arrêter le mariage de deux septuagénaires… Elle n’est pas au bout de ses peines.

Ce premier film est certes alourdi par trop de bonnes intentions.  Mais on se laisse volontiers emporté par la bienveillance générale communicative nourri d’une succession de personnages aussi inattendus les uns que les autres, et des situations parfois irrésistibles ; citons, Jorge (David Verdaguer), le provincial de l’étape qui en pince pour la sculpturale Eva, plus à l’aise avec les primates qu’avec les femmes, le prêtre progressiste qui doit gérer les appels du Pape, la famille du fiancée qui débarque ruinée, les télévisions et paparazzis qui reniflent le scoop, … L’emballement général est un peu bâclé voir foutraque, mais le rythme échevelée et la beauté sauvage des paysages de l’Ile de Lanzote finissent par emporter l’adhésion. Même si sur ce sujet, le potentiel comique reste à dynamiter.