Théâtre : Là-bas de l’autre côté de l’eau, de Pierre-Oliver Scotto et Xavier Lemaire (La Bruyère)

Mise en scène par Xavier Lemaire avec Isabelle Andréani, Hugo Lebreton, Kamel Isker, Noémie Bianco, Maud Forget, Karina Testa, Teddy Melis, Franck Jouglas, Patrick Chayriguès, Julien Urrutia, Laurent Letellier, Xavier Kutalian
Jusqu’au 27 novembre, du mardi au samedi à 20h45 et en matinée le samedi à 15h30. Théâtre de La Bruyère, 5 rue La Bruyère, 75009 Paris – Réservation

Sur un sujet toujours explosif dans la mémoire nationale, Là-bas de l’autre côté de l’eau de Pierre-Oliver Scotto et Xavier Lemaire brosse une fresque historique ambitieuse sur la guerre d’Algérie au Théâtre de La Bruyère jusqu’au 27 novembre. Cette véritable saga feuilletonesque jouée par 12 acteurs plonge le spectateur dans le tissu humain ce qu’on appelait ‘les événements’, au cœur du déchirement du couple France-Algérie aux cicatrices toujours non refermées.

Une fresque épique et humaine

Les incompréhensions entre le politique et les désirs des habitants Là-bas de l’autre côté de l’eau Photo Fabienne Rappeneau.

12 comédiens sur scène dans un théâtre privé ! Le pari est osé et audacieux. D’autant plus que la pièce, qui dure deux heures vingt, s’attaque à un sujet sensible, la guerre d’Algérie. Sans faire durer le suspense, disons-le d’emblée, le pari est amplement réussi !
Pierre-Olivier Scotto, lui-même né en Algérie pendant la guerre, revendique « une fresque épique autour d’une histoire familiale ». Le metteur en scène Xavier Lemaire, à l’origine du projet a su orchestrer et nous plonger dans le maelstrom intime et émotionnel de cette déchirure historique.

Histoire d’amour dans la grande Histoire

France et Jean-Louis à son arrivée à Alger dans Là-bas de l’autre côté de l’eau. Photo Fabienne Rappeneau

1956 – Alger. France, jeune fille pied-noir (Noémie Bianco), coincée dans l’huilerie familiale, rêve de théâtre et de Paris. Moktar (Kamel Isker) algérien, amoureux depuis l’enfance de France, prend conscience des enjeux politiques et va se battre pour une Algérie indépendante. Jean-Louis (Hugo Lebreton) banlieusard, féru de rock, part pour l’incorporation qu’il vit comme une aventure en laissant sa petite amie à Montrouge. Il déchantera mais tombera amoureux de France.
Derrière ce quatuor amoureux, excellemment joué par les quatre comédiens, nous suivons le destin des personnages, tous imbriqués à leur corps défendant dans une même Histoire, de 1956 jusqu’à l’indépendance.

Un drame historique vécue au niveau du cœur

Moktar et ses compagnons algériens Là-bas de l’autre côté de l’eau Photo Fabienne Rappeneau

Facile à suivre, même pour ceux qui ne connaissent pas précisément les événements, la pièce montre toutes les facettes, lumineuses et sanglantes, de ce que fut la fin de l’Algérie française. De la vie quotidienne des habitants aux entrelacs de la politique à Paris qui loin de la réalité semble sourd aux déchirements sur le terrain.
Avec justesse et émotion, la mise en scène Xavier Lemaire éclaire la complexité des situations et des sentiments, tisse l’imbrication des vies, dénonce la violence qui détruit, distille le poison de la méfiance … qui brouillent et éclatent les relations intimes.
Le personnage de la mère, joué avec puissance par Isabelle Andréani, montre à elle seule les contradictions des protagonistes :  aigrie, blessée par la mort de son mari par les résistants algériens, elle rêve de vengeance, mais n’hésite pas à aider une de ses employées algériennes qui accouche difficilement.

La magie du théatre

France et Moktar où l’imbrication de l’amour et du combat. Là-bas de l’autre côté de l’eau Photo Fabienne Rappeneau

Grace à l’utilisation habile d’un écran, jouant sur les espaces et les lieux, Xavier Lemaire embarque le spectateur dans un tissu humain et historique sans le perdre. Les comédiens jouant parfois plusieurs personnages enchaînent les tableaux avec fluidité pour une véritable plongée dans le temps.

Sans prendre parti, Là-bas de l’autre côté de l’eau fait réfléchir. Courez-y pour la qualité de la pièce et le pari – artistique, historique et économique – que cette ambition incarne. Au-delà des polémiques instrumentalisées et stériles.

#PatriciadeFiguieredo