Culture
Parcours des Mondes 2024 souffle le vent surréaliste de l’éventuel (St Germain des Près)
Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 12 septembre 2024
Comme chaque année, Parcours des Mondes donne à voir jusqu’au 15 septembre les plus beaux objets d’arts dit « premiers » d’une soixantaine de galeries dans une déambulation à ciel ouvert au cœur de St Germain des Près. Il y deux façons de s’y plonger. En connaisseur (ou collectionneur), en identifiant avec méthode la provenance et les cultures des œuvres exposées. En curieux à la manière des Surréalistes en quête de « l’objet magique », pour « subvertir le réel sans le nier ». Cette 23e édition constitue pour Olivier Olgan un magnifique rebond ou préalable à l’injonction « Surréalisme, d’abord et toujours » du Centre Pompidou jusqu’au 13 janvier 25 – pour stimuler notre imaginaire poétique. Quelques coups de cœur pour se jeter dans cette fête d’un œil libre.
Art « extra-européen », « tribal », « chamanique » « du monde »…
A défaut de trouver une définition simple pour remplacer l’obsolète « Art Premier », chaque édition du Parcours des Mondes ouvre de nouveaux fenêtres pour mieux souligner la diversité de ce que les Surréalistes nommaient les « arts sauvages », où ils fourguaient avec gourmandise tout objet « sert de paradis » (Breton) tout en cassant codes et carcans occidentaux.
A la traque d’’objets magiques’
Les marchands profitent du 100e anniversaire du Manifeste du surréalisme d’André Breton pour proposer une réflexion tout en objets sur ce tournant de l’art moderne. D’autres poursuivent leur association entre la statuaire africaine et le design post-war tandis que certains, comme chaque année, ont rassemblé un panel suffisamment large d’œuvres pour être représentatif de l’art de cette région du monde qui l’a vu naître.
Yves-Bernard Debie, Directeur général Parcours des mondes
Faire son miel d’imaginaires
Tout connaisseur, collectionneur ou seulement curieux trouvent son miel d’imaginaires dans les trésors exposés dans ce quartier de St Germain des près ; soit dans l’ accumulation de chefs d’œuvres de toute provenance et de toute époque à la manière de « cabinets de curiosités » comme le propose nombreuses galeries, soit plus orienté par certaines thématiques géographiques ciblées, comme Arts chamaniques de l’Inde et de l’himalaya (Galerie Frédéric Rond), Arts des populations du grand nord (Franck Marcelin, Galerie Meyer), Peuples de l’arctique (Olivier Laroque), …
L’aiguillon de l’ombre surréaliste
Sans oublier les galeries qui furent proches du mouvement surréalistes (Les Yeux fertiles, Galerie Berthet-Aittouarès, la mythique librairie surréaliste Le Minotaure ) multiplient les rapprochement entre objets de ou collectionnés par les artistes surréalistes pour y prendre, comme eux, « le vent de l’éventuel » avec ou sans carte (tant le réseau de galeries est dense du coté de St Germain des près).
Quelques coups de cœur d’une pérégrination les semelles au vent
Surréalisme : zone de contact : L’Afrique, l’Océanie et l’Amérique du Nord comme lieux de dialogue et de friction, Charles -Weskey Hourdé + Nicolaes Rolland, 4 rue de Seine, jusqu’au 20 septembre.
A partir d’œuvres ayant appartenus à des artistes surréalistes, l’approche est double. Tout d’abord, souligner l’existence d’un ensemble de capillarités, d’engagements concrets des membres du mouvement surréaliste avec ces arts– actions, faits, documents, collectionnisme– qui contribuent à établir et enraciner une relation profonde et longue de plusieurs décennies, une rencontre avec le merveilleux. Dans une seconde partie, l’exposition inverse l’approche par le biais d’un groupe d’œuvres réalisées par des artistes anonymes d’Afrique, d’Océanie et d’Amérique du Nord, la moitié d’entre elles ayant appartenu à des artistes surréalistes, ainsi que des documents d’archives. Par un jeu de miroirs, cette approche offre une lecture nuancée de la relation des surréalistes à ces arts, tout en plaçant ces œuvres davantage au centre du récit sur le modernisme– dans le corps du texte plutôt que dans les notes de bas de page.
Aux sources de la beauté convulsive, Les yeux fertiles, 27 rue de Seine, 6e Jusqu’au 19 octobre
La galerie montre contextualisées et documentées, deux œuvres majeures du surréalisme, Le Grand transparent de Jacques Herold (1910-1987) et le costume de l’exécution du testament du Marquis de Sade, une performance réalisée en 1959 par Jean Benoît (1922-2010).
Deux expositions suivantes montreront la permanence de l’influence surréaliste dans d’autres mouvements artistiques, par exemple
- 24 octobre- 20 novembre : au sein du mouvement international Phases d’Edouard Jaguer (1924-2006), ou de la pataphysique de Jacques Carelman (1929-2012).
- 5 décembre 2024- 11 Janvier 2025 : Les Machines anthropomorphiques de Fabian Sanchez (1934-2020) qui rendent hommage à l’influence de Lautréamont sur les surréalistes, et au vers fameux du poète : “Beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie ».
Surréel. Trois petites histoires surréalistes, Galerie Kaléidoscope 19 rue Mazarine, 6e et Galerie Le Minotaure 2 rue des Beaux-Arts et 23 rue de Seine jusqu’au 30 novembre
Elles s’associent avec la Collection Jacques et Thessa Herold et nous proposent un surprenant voyage à remonter le temps, de nos jours à 1924, fait de rapprochements inattendus : des psychédéliques chaussures de Yayoi Kusama aux compositions biomorphiques de Jean Arp ; du portrait d’Apollinaire d’Antonio Recalcati, façon De Chirico, aux contrées énigmatiques de Kandinsky ; des agencements douloureux de Louise Bourgeois à l’érotisme fruité d’Ervand Kotchar.
Provenance André Breton, Galerie 1900-2000, 8 Rue Bonaparte, 6e , jusqu’au 20 septembre.
Consacrée à la figure consubstantielle au mouvement surréaliste, qu’il fonde et accompagne jusqu’à sa mort, non seulement théoricien, critique et animateur du groupe, Breton est aussi un bibliophile et un collectionneur d’art, qui expose ses œuvres dans son appartement-atelier du 42, rue Fontaine (dans le 18e arrondissement) : l’exposition présente œuvres et de livres ayant appartenu à Breton, dont certains n’ont jamais été montrés au public, ainsi que d’œuvres réalisées par Breton lui-même ; elle rend hommage à son « œil » de collectionneur et d’artiste, et à son influence sur l’art du XXe siècle.
Georges Goldfayn, Une Passion Surréaliste, Galerie Berthet-Aittouarès, 14 rue de Seine, 6e jusqu’au 16 novembre.
Georges Goldfayn (1933-2019), écrivain proche du mouvement surréaliste devient « secrétaire » de la galerie A l’Etoile scellée, animée par Breton, entre 1952 et 1956. Cette exposition, en reconstitue son espace de vie et rend hommage à son regard averti de collectionneur et de fin connaisseur du mouvement surréaliste.
L’Appel des Kachinas, Galerie Flak, 8 rue des Beaux Arts, 6e
Séduits par la gaieté et l’humour qui en émane C’est une véritable histoire d’amour, sur fond de surréalisme, qui lie la galerie Flak aux poupées kachinas des Indiens Hopi et Zuni.
En témoigne l’ exposition aux allures de ballet féerique, et le catalogue sous la direction de Julien Flak, Editions L’Enfance de l’Art. L’intérêt des Surréalistes pour les Kachina est ancien. Captivé par leur richesse joyeuse et leur extrême inventivité, André Breton disait à Jean Duché, en parlant des pièces de sa collection personnelle » Voyez quelle justification ces objets apportent à la vision surréaliste, quelle nouvel essor même ils peuvent lui prêter […..] Cette poupée Hopi évoque la déesse du maïs, dans l’encadrement crénelé de la tête, vous découvrirez les nuages sur la montagne, dans ce petit damier, au centre du front, l’épi, autour de la bouche , l’arc en ciel, dans les stries verticales de la robe, la pluie descendant dans la vallée « .
José Pierre, auteur de l’ouvrage ‘’Le Hopi, la poupée et le poète ‘’ évoquant les rapports qu’entretenait André Breton avec ses Kachina déclarait » André Breton s’il aimait s’entourer de masques Eskimo et de poupées Hopi, avouait bien volontiers que c’était parce qu’il les estimait bénéfiques, tournés vers le côté favorable des êtres et des choses, somme toute du côté du bonheur « .
François Avril, Voyages immobiles – Huberty & Breyne, 8bis rue Jacques Callot, 75006
« Je souhaitais donner à ces objets remarquables une échelle différente en les réinterprétant par le filtre de ma mémoire et en les intégrant à mon univers. » À travers ce prisme personnel, il offre ainsi une nouvelle lecture, libérée des contraintes de la fidélité visuelle. Les formes prennent alors vie dans le monde d’Avril où les villes et les paysages, ses thèmes de prédilection, continuent d’occuper une place centrale.
Son approche se distingue par une réinvention graphique où l’esthétique et la forme sont réinterprétées pour créer des compositions délicates et puissantes. « En choisissant de ne pas représenter l’objet tel qu’il est, cela me donne une latitude et une grande liberté de création».
Mikimando, Legado (héritage à l’art Lega) Galerie Vallois, 41 rue de Seine 6e, jusqu’au 28 septembre
Le premier solo show de l’artiste cubain contemporain Mikimando reconnait sa dette à l’art traditionnel lega pour un dialogue visuel et esthétique entre objets anciens et création actuelle, entre Afrique et afro-descendants. Bien qu’originaires d’une région différente, les objets lega présentent de grandes similitudes avec ceux qui sont employés dans le vaudou.
Avec Legado, l’artiste devenu Babalawo (prêtre d’Ifá, système de divination originaire d’Afrique de l’Ouest) a voulu “
Créer un pont entre les deux coutumes et non seulement visualiser une culture merveilleuse, mais aussi montrer comment elle a transcendé le temps jusqu’à nos jours
Dans ses œuvres sur toile ou sur papier, Mikimando déploie une iconographie complexe associant symboles religieux et numérologie. Au-delà des objets statiques que sont les masques et figures cultuels, l’artiste donne à voir un univers à l’imaginaire foisonnant et d’une présence saisissante qu’il trace avec méticulosité au crayon, au fusain, à l’encre de Chine ou à l’acrylique.
Deux mondes qui communiquent par l’art de la divination, par la transe, les chants, les danses, par les objets, afin de favoriser l’épanouissement des divinités, des ancêtres et des êtres humains.
Onirismes, Jean Messagier et l’art tribal, Galerie Lucas Ratton, rue Bonaparte, 6e
Dès ses premiers travaux au début des années 40, Jean Messagier n’a cessé de confronter sa peinture à l’art tribal, cette fascination se retrouve d’ailleurs dans les titres de ses toiles comme par exemple « Afrique Météorologique », « Les porteurs d’Afrique » ou encore « Aimez-vous la Nouvelle-Guinée ? ». En 1953, sa rencontre avec André Breton à l’occasion d’une exposition de groupe à la galerie l’Étoile Scellée avec Jean Degottex, Marcelle Loubchansky et René Duvillier est déterminante. Admiratif du travail de Picasso et de sa proximité avec l’art africain, Jean Messagier s’invente un bestiaire fantasmé où se croisent brochets, chevaux, faisans et martins pêcheurs.
« L’oeil existe à l’état sauvage » nous rappelle André Breton.
Prendre le Parcours des mondes, c’est adopter l’encouragement du surréalisme à chercher la magie là où elle se cache, et nous convaincre que l’imaginaire tend à devenir réel. Le merveilleux peut advenir et se concrétiser.
« C’est l’idée de déchirer le voile du réel pour provoquer l’intrusion du surnaturel par l’imagination. On peut parler de poèmes-objets quand il concilie l’appel au rêve, le soucis du réel et la psychanalyse »
Pour aller plus loin
« Paris surréaliste » : une quarantaine de galeries et librairies parisiennes pour des expositions qui accompagnent et complètent l’exposition événement « Surréalisme » du Centre Pompidou.
Les visiteurs sont à redécouvrir les artistes et les lieux emblématiques du surréalisme parisien tels que l’Hôtel de Bérulle ou le Studio 28.
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