Photographie : Zanele Muholi, activiste visuel·le (MEP Paris - Delpire & co)

jusqu’au 21 mai  2023. Maison Européenne de la Photographie (MEP), 5 rue de Fourcy, Paris 4.
Tlj sauf lundi et mardi, de 11h à 20 h. Plein tarif 10 €

« Activiste visuel·le », et non pas simple photographe, l’artiste sud-africaine Zanele Muholi s’est emparée de la cause queer pour défendre les femmes noires, et questionner sa propre identité. Une magistrale exposition et catalogue (Delpire & co) à la Maison Européenne de la Photographie (MEP) jusqu’au 21 mai retrace son parcours de combattante, que Thierry Dussard croque comme une « véritable photothérapie ».

Zanele Muholi au vernissage de la MEP, 31 janvier 2023 Photo Thierry Dussard

Salut à toi, Lionne noire, Zanele Muholi

L’apartheid, c’était le blanc ou le noir ; nettement séparés, avec une préférence pour le premier. Et ce n’est pas un hasard si Zanele Muholi photographie en noir et blanc, même si elle a parfois recours à couleur. Née en 1972 dans un township de Durban, à l’est de l’Afrique du sud, elle se découvre différente : non binaire. Elle est queer, et veut devenir quelqu’un. Muholi saisit alors la photographie, comme une planche de salut. Dans ce pays enfin libéré de la ségrégation en 1990, où la constitution exclut toute discrimination à l’égard de « la couleur de peau, de l’orientation sexuelle », tout reste à conquérir. 

Nolwazi, fait référence au test du crayon, utilisé par les autorités de l’apartheid qui glissaient un crayon dans les cheveux pour distinguer les races. Si le crayon tombait, des cheveux raides, la personne était blanche, sinon… © Zanele Muholi

Heterosexual white south african gentleman

L’appareil photo est un outil, et une arme, pour tirer de l’ombre une communauté doublement occultée, et ostracisée. Elle commence en 2000 par prendre des photos pour « Behind the mask », un magazine en ligne dédié aux questions LGBT, et milite pour l’émancipation des femmes. Tout en se formant au Market Photo Workshop de Johannesburg, elle contacte David Goldblatt (1930-2018), le photographe qui s’interdisait la couleur, pour son « côté joyeux et indécent », durant l’apartheid. « J’apprécie beaucoup son regard, dit-elle, en parlant toujours au présent de son mentor, qu’elle qualifie de heterosexual white south african gentleman. Parmi les Blancs, on a souvent besoin de réfléchir à ce que l’on va dire, note-t-elle, avec lui c’était différent ».

Autoportrait, qui rappelle sa série Only half the picture, mais aussi le Picasso au sombrero d’Irving Penn © Zanele Muholi

L’ignorance est une forme de violence 

Quand Zanele Muholi part terminer ses études à l’université Ryerson de Toronto, en 2007, elle a déjà participé au livre « Tommy Boys, Lesbian Men and Ancestral Wives », et fondé Inkanyiso (« lumière » en zoulou, sa langue maternelle), une association combinant art et défense des droits. Car Muholi ne se définit pas comme photographe, mais comme « activiste visuel ». Artiste et militante, savoir-faire et faire savoir, sont indissociables à ses yeux. « La communauté homosexuelle ne demande pas à être tolérée, mais respectée », déclare l’artiste sud-africaine, pour qui « l’ignorance est une forme de violence ».

« L’autoportrait, une échappatoire à mon activisme »

Bester I, Mayotte, 2015, en hommage à sa mère, femme de ménage, © Zanele Muholi

Dans le monde de l’art, il y a aussi beaucoup de haine, et de coups de couteau dans le dos.
J’ai dû apprendre à m’aimer moi-même,
et la pratique de l’autoportrait a servi d’échappatoire à mon activisme.
Zanele Muholi

La photographe sud-africaine reprend ainsi une longue tradition de la mise en scène de soi dans l’histoire de la photo. Steichen et Lartigue posaient tels des peintres, Krull et Brassaï préféraient leur appareil, tandis que Gilbert & George transforment leur apparition en œuvre d’art, et Cindy Sherman ajoute maquillage et déguisement à la métamorphose. Muholi, à l’opposé d’un Molinier qui avait choisi de se montrer en travesti, opte pour un regard frontal. « Sans maquillage, ni trucage », assure-t-elle.

Chaque personne photographiée a une histoire à raconter,
mais beaucoup d’entre nous viennent d’endroits où la plupart des Noir·es n’ont jamais eu cette opportunité.
Et lorsque cela est arrivé, leurs voix ont été portées par d’autres personnes.
Nul ne peut raconter notre propre histoire mieux que nous-mêmes.
Zanele Muholi

Queerer l’espace, reconquérir sa blackness

Bester V, Mayotte, 2015, ou comment passer l’Afrique du sud à la paille de fer, © Zanele Muholi

Les contrastes sont cependant poussés à fond au tirage pour amplifier et magnifier la noirceur de sa peau. Seules ses lèvres sont blanchies au dentifrice dans Bester I, photo faite à Mayotte en 2015, les cheveux hérissés de pinces à linge. Dans Bester V, elle apparaît en majesté, coiffée de pailles de fer. Bester est un hommage à sa mère, longtemps employée de maison, dans cette série baptisée Somnyama Ngonyama (« Salut à toi, Lionne noire » en zoulou), toujours en cours. Tout comme sa première série Faces and Phases, initiée en 2006. Faces se réfèrant aux individus, et Phases aux différents stades de la vie de ses modèles.

« Nous queerons l’espace afin d’y accéder », clame-t-elle, fière de « reconquérir ma blackness ».

Des autoportraits, pas des selfies !

Pas question de baisser le ton, ni la garde. Photos, expos, livres sont des moyens de diffuser le message dans le monde entier, et de démultiplier l’action collective contre la transphobie et en faveur des minorités. Que Muholi se montre de face, seins nus et casquée, dans Thulani (« Tais-toi » en zoulou), afin de commémorer le massacre de mineurs par la police, à Marikana en 2012 ; ou de profil, avec dans les cheveux une vague de peignes afro telle une tiare, dans Qiniso (« Vérité » en zoulou), ce sont « des autoportraits, pas des selfies », souligne l’artiste, lors du vernissage de la MEP, tout de noir vêtue sous un blouson laqué argent.

Zanele Muholi. Autoportrait aux appareils photo, clin d’œil lointain à Germaine Krull et Brassaï posant avec leur appareil © Zanele Muholi

La photographie peut sauver des vies

« Je suis une messagère de Dieu », lance-t-elle soudain, persuadée que « les photographies peuvent sauver des vies ». Vingt ans plus  tôt, elle photographiait les victimes, notamment de viols « correctifs » visant les lesbiennes, où elle ne montrait que la moitié de l’image, Only half the picture, pour préserver leur anonymat et leur intimité bafouée.
Aujourd’hui soucieuse que « chacun puisse écrire son histoire », elle a créé des bourses, des cours, organise des visites d’expo, et rêve « d’avoir un musée qui contiendra de l’art qui compte ».
Mais prévient :  « je ne peux pas sauver tout le monde ». La petite dernière de huit enfants, Zanele veut dire dernier en zoulou, prend soin d’ajouter que Muholi signifie leader.

#Thierry Dussard

« Ce n’est pas un catalogue, mais un livre », tient à préciser l’artiste. « La photographie m’a sauvé la vie. C’est la seule chose qui a du sens pour moi. »
Grand format, joliment relié, superbement imprimé en 3 tons, les 90 autoportraits de Zanele Muholi s’y montrent en majesté.
Editions Delpire & Co, 212 pages, 75 €