No Limit, de Robin Goupil (Le Splendid)

Faut-il s’ inquiéter ou plutôt rire quand la fiction apocalyptique devient un risque réel comme jamais ? De cette éco-anxiété débridée, No Limit, de (par et avec) Robin Goupil tire tout son miel comique. Son ironie mordante donne raison et corps au parti pris de l’ absurde. Depuis sa création au Off d’Avignon en 2021, cette fable dystopique connait un succès mérité ininterrompu. Après la saison dernière au Théâtre de la Tour Eiffel, stratèges et militaires reprennent du service au Splendid jusqu’au 21 juillet 2024. Si la sécurité de notre planète n’est pas placée dans les meilleures de mains pour Patricia de Figueiredo, le rire (du pire) est lui garanti, dopé par une troupe de jeunes acteurs parfaitement dirigée et décapante. Vous êtes averti!

Retour vers le futur

No Limit, de Robin Goupil, Théâtre des Béliers parisiens Photo Oscar Chevillard

Avant le début de la pièce, un message prévient : « La pièce a été écrite il y a deux ans et tout ressemblance avec l’actualité est purement fortuite. » Et pourtant, comment ne pas penser à la dramatique actualité d’un risque nucléaire face à l’irruption de ses politiques déjantés ? Même si l’action se situe le vendredi 13 mai 1964. Nous sommes en pleine guerre froide. Avec des clins d’œil appuyés aux films de la guerre froide – de Point limite (Lumet) et Docteur Folamour (Kubrick) le même année 64  à USS Alabama (Scott, 1995), l’intrigue renoue avec les fragiles équilibres de la dissuasion nucléaire, surtout quand une bourde précipite un bombardement américain sur Moscou.

Il faut le rappeler. Il n’y a pas beaucoup de temps… Mais un peu. Mais pas beaucoup. Mais un peu. Mais soyez calmes.

Sur un thème on ne peut plus sérieux, terrifiant et chaque jour qui passe depuis le début du conflit ukrainien actuel, Robin Goupil lance sa troupe d’acteurs dans une mécanique aussi maitrisée que totalement… déjantée.

De l’étoffe des héros à celle des zéros

No Limit, de Robin Goupil, Théâtre des Béliers parisiens Photo Oscar Chevillard

De toute l’absurdité de toute guerre, à la mégalomanie des puissants, tous les ressorts d’une nature humaine sans attache ni sens de l’humanité se mêlent : du vendeur d’armes interprété avec brio par Augustin Passard, au Général dépassé par la situation – très bon Martin Karmann – en passant par les politiques ; la secrétaire d’État « tripolaire » Laurène Thomas, et surtout le président des États-Unis, Théo Kerfridin, tous ces zéros oscillent entre le funambulisme et le fantasmagorique égotiste.
En effet, dyslexie sévère, le président des États-Unis n’arrive pas, entre autres choses, à prononcer correctement le nom de la capitale de l’Union Soviétique qui devient « Mocsou » ! ….

Dynamiter les cadres et les références

No Limit, de Robin Goupil, Théâtre des Béliers parisiens Photo Oscar Chevillard

Tout le génie de la mise en scène est de dynamiter tout sérieux en se jouant des contraintes spatiales et de situations. Trois bureaux symbolisant trois centres de pouvoirs différents se réunissent par exemple à l’occasion d’un bol de chips qui passe de main en main… Dégoupillés par une distribution épatante – rajoutons aux honneurs avec mention Thomas Gendronneau, Maïka Louakairim, Tom Wozniczka, Victoire Goupil et Stanislas Perrin – les archétypes sont plus loufoques les uns que les autres, complétement imbus d’eux-mêmes ou paranoïaques.
Quand certains se rebellent face au destin tragique, c’est mieux bousculer les codes entre possibles et probables. La situation reste toujours instable, avec la « dissuasive » perspective d’ogive(s) nucléaire(s) au-dessus de nos têtes !

La mécanique du détournement

Avec ce détournement explosif jusqu’à l’absurde, Robin Goupil – ancien du Cours Florent et de la Comédie Française – se revendique autant de Monty Python que de Kubrick s’affirme comme un véritable auteur de comédies burlesque et un metteur en scène avec un sens aigu de dramaturgie comique et de la direction d’acteurs survoltés. Avec une éthique de haut vol : « L’humour d’accord, mais l’exigence d’abord. »
Une pièce qui sert d’exutoire et qui fait du bien en ces temps troublés, avec un coup de théâtre final. Qui fait Boum !

#Patricia de Figueiredo

jusqu’au 21 juillet 2024, Mercredi au samedi 21h, Samedi 16h30, Dimanche 17h, Le Splendid, 48 rue du Faubourg Saint-Martin, 75010 Paris – Réservations

avec : Arthur Cordier ou Thomas Gendronneau, Robin Goupil ou Théo Kerfridin, Martin Karmann ou Adrien Urso, Victoire Goupil ou Alice Allwright, Maïka Louakairim ou Gabrielle Cohen, Augustin Passard ou Théo Comby Lemaitre, Stanislas Perrin ou Maël Besnard, Laurène Thomas, Tom Wozniczka ou Axel Mandron ou Basile Alaïmalaïs