Vins & spirits

Chez les Marionnet, le goût des vins d’autrefois

Auteur : ISABELLE BACHELARD
Article publié le 26 mars 2019 à 15 h 07 min – Mis à jour le 3 avril 2020 à 19 h 33 min

Le Domaine des Marionnet, caché derrière ses haies de conifères, à deux pas du Château de Cheverny, recèle des vignes et des vins qui ne ressemblent à aucun autre. Les plus anciennes ont résisté au phylloxéra. Des vins de soif et des cuvées rarissimes sortent des chais de la Charmoise.
Fin de journée au domaine de la Charmoise, à la veille des vendanges.

Fin de journée au domaine de la Charmoise, à la veille des vendanges. Photo © Isabelle Bachelard

Deux histoires très différentes se racontent chez les Marionnet. Celle du terroir et de ses vignes ancrées dans un improbable coin de Sologne où des ceps de près de deux cents ans produisent encore des nectars quasi-introuvables ailleurs. Celle du vin lui-même, intemporel et parfaitement délocalisable, celui qu’on consomme aux quatre coins du monde, celui qu’on apprécie spontanément parce qu’il est fait le plus naturellement possible.

Pied de romorantin pré-phylloxérique.

Pied de romorantin pré-phylloxérique. Photo © Isabelle Bachelard

De génération en génération

Henry Marionnet, qui a passé la main à son fils Jean-Sébastien, mais reste très actif au domaine qu’il a créé, n’a rien perdu de son enthousiasme. Il vit ses 49è vendanges à la Charmoise comme les 1ères lorsque son père lui a enfin laissé la bride sur le cou en 1969. « Une période difficile » se rappelle-t-il, car il y avait un monde entre les cépages hybrides qui donnaient un honnête vin de table et l’ambition que lui avait pour son vignoble. Il a appris avec ce père, pioche en main puis seul dans les livres d’oenologie. Pour rien au monde il ne reviendrait au travail du sol avec un cheval, qui est pourtant revenu à la mode chez certains grands vignerons qui n’ont pas connu la binette à 16 ans.

Au 1er plan (à droite) un complant obtenu par marcottage (ou provignage) à partir d’un sarment enterré provenant d’un ancien pied

Au 1er plan (à droite) un complant obtenu par marcottage (ou provignage) à partir d’un sarment enterré provenant d’un ancien pied. Photo © Pierre d’Ornano

Une vigne sauvée par le gel de 1956

Quand on découvre ses énormes ceps noueux, on comprend qu’Henry soit fier de montrer sa plus vieille vigne, celle qu’il a sauvée et qui a apporté du sang neuf à sa carrière. Alors qu’il s’était fait connaître pour ses vins de soif, des rouges légers et digestes issus de gamay et des blancs parfumés par le cépage sauvignon qu’il livrait par 600 bouteilles tous les samedis au Petit Zinc (NDLR brasserie jadis très active de la rue de Buci, Paris 6è), il s’est passionné pour cette antiquité.

Paradoxalement, c’est le gel de 1956 qui a sauvé cette vigne une première fois. « Tout l’ouest de la France a gelé, avec des températures aussi basses que -22 °C. Du coup, le vigneron, un de mes voisins, qui avait prévu d’arracher cette vieille vigne, a décidé de la garder, car il avait besoin d’avoir du vin à vendre » (NDLR, si on replante, il n’y a pas de récolte les premières années) » explique Henry Marionnet. Quand ce vigneron est arrivé à l’âge de la retraite, il s’est adressé à son voisin, qui n’a pas hésité une seconde en découvrant ce vestige d’une autre époque, encore si plein de vie.

L’Histoire du romorantin…

La vigne est du cépage romorantin, une rareté qui fait aujourd’hui la minuscule appellation voisine de Cour-Cheverny. « Il avait été importé en 1517 de Bourgogne par François 1er, qui les fit planter là ou il avait grandi, où vivait sa mère, à Romorantin, ce qui lui a donné son nom » précise celui qui fait également revivre le cépage autour du château de Chambord (Une autre histoire sur laquelle Singular’s reviendra bientôt, ainsi que sur ses chênes et les barriques qu’on en tire). La vigne a été expertisée par le fameux agronome Denis Boubals (1926-2007) comme ayant été plantée autour de 1820. « Le vigneron du Beaujolais Jean-Charles Pivot m’a un jour montré la vigne qui est considérée comme la 1ère greffée en France, en 1890, après le phylloxéra. Une jeunette » conclut Henry en faisant déguster le fruit de cette Jeanne Calment du végétal, le « Provignage » 2015, au fruité extrême, à la bouche qui s’ouvre sur une forte acidité avant de s’épanouir sur des notes de fleurs et de confit, dans un style très intense, qui ne ressemble à rien de connu. Henry recommande de l’apprécier d’abord seul, avec attention, avant de le savourer à table.

Le Provignage et La pucelle de Romorantin, des vins rarissimes

Le Provignage et La pucelle de Romorantin, des vins rarissimes. Photo © Pierre d’Ornano

… et de la pucelle

Les Marionnet préservent donc cette vigne, en remplaçant les pieds qui meurent de vieillesse par un système de marcottage (ou « provignage »), c’est à dire en glissant sous la terre un rameau qui va s’enraciner et donner un nouveau cep. Mais ce qui est incroyable, c’est qu’ils ont aussi osé créer à côté un nouveau vignoble franc de pied. C’était un risque car le phylloxéra est partout. Ils ont pris des bois de cette parcelle historique pour faire de nouveaux ceps, qu’ils ont implantés francs de pieds, sans être greffés sur des porte-greffes, faisant fi de la crainte du fameux phylloxéra. La parcelle a maintenant plus de vingt ans et résiste. La cuvée est nommée « La Pucelle de Romoratin » parce que les plants sont vierges et n’ont pas été accouplés à un porte-greffe américain, comme leur mère d’ailleurs, qui était restée pure et avait résisté à l’invasion des insectes venus d’Outre Atlantique. Le vin de la Pucelle est différent du Provignage, il n’a pas la même profondeur de saveur, mais séduit par ses parfums et sa sveltesse.

Gamay de Bouze, à jus rouge, d’origine bourguignonne. Comme tous les cépages teinturiers, il est interdit dans les vins d’appellation, car il apporterait facilement de la couleur à un vin qui ne l’aurait pas obtenue par la maturité de ses raisins

Gamay de Bouze, à jus rouge, d’origine bourguignonne. Comme tous les cépages teinturiers, il est interdit dans les vins d’appellation, car il apporterait facilement de la couleur à un vin qui ne l’aurait pas obtenue par la maturité de ses raisins. Photo © Pierre d’Ornano

Des gamays légers et digestes, et plus encore (*)

Le domaine de la Charmoise compte une soixantaine d’hectares, dont les trois-quarts sont plantés de gamay, le gamay rouge à jus blanc du Beaujolais, sauf quelques parcelles d’un rare gamay dit « teinturier », le gamay de Bouze, qui donne un vin original, un peu plus rustique mais à la bouche joyeuse et charnue. Après des années de recherche pour faire le vin le plus naturel et le plus digeste possible, Henry et Jean-Sébastien Marionnet proposent aujourd’hui leur « Première Vendange », vinifiée entièrement sans soufre ou autre produit oenologique non plus en quantité expérimentale mais en vrai volume professionnel (100 000 bouteille cette année). Henry avait manqué la première cuve qui est partie à l’égout.  Il a réussi l’année suivante et vinifié une cuve de plus chaque année de cette façon. C’est un vin gourmand et parfumé, typique de ce que le gamay peut faire de mieux comme vin de soif pur, frais et désaltérant.

Gamay de Bouze.

Gamay de Bouze. Photo © Pierre d’Ornano

Aujourd’hui l’ultime démarche que personne au monde n’avait jamais réalisée apporte une dimension supplémentaire au gamay de la Charmoise. La cuvée Renaissance est un vin vinifié comme le « Première Vendange » d’une façon complètement naturelle sans soufre ou autres produits œnologiques, mais avec des raisins de gamay provenant d’une vigne non greffée. Le vin est magnifique, ample, avec un grain particulier. Imaginé par Henry. Concrétisé par Jean-Sébastien.

Photo

Photo © Isabelle Bachelard

(*) Extrait d’un journal des années 1980, à lire avec la plus grande modération, pour consommer de même…

Notre sélection des vins du Domaine de la Charmoise

Vente au Domaine de la Charmoise – Henry et Jean-Sébastien Marionnet

41230 Soings-en-Sologne – Tél. : 02 54 987 073
Les Touraine Primeur de 2018 sortiront le Jeudi 15 novembre.

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