Vins & spirits

Les hérauts de la renaissance du viognier de la vallée du Rhône

Auteur : Mohamed Najim et Etienne Gingembre
Article publié le 21 janvier 2022

[Les pépites de la révolution viticole]  Presque disparu dans les années 1960, le viognier est un cépage français en pleine renaissance comme le constatent Mohamed Najim & Etienne Gingembre. Avec comme point de rebond les somptueux Condrieu. Parmi ces délicieux et élégants vins blancs, les auteurs de Quand le vin sa révolution ont sélectionné quatre terroirs de la vallée du Rhône fièrement représentés par le Domaine de Saint-Amant, le Vignoble Hervé et Nathalie Avallet, Les vins de Philippe Nusswitz, et de Vienne sans oublier des adresses de Condrieu abordables.

L’origine du viognier est très obscure.

Le Domaine Rémi Niero à Condrieu.

Descend-il, comme la syrah, d’une lambrusque arrachée aux forêts rhodaniennes par les Allobroges, peuple celte de la Gaule antique ? A-t-il plutôt été importé de Dalmatie, autrement dit de Croatie, comme le croit une légende, sur ordre de l’empereur Probus (232-282) ? L’ampélographie, science des cépages, rappelle que l’Université de Californie, après s’être penchée sur son ADN, lui trouve une origine alpine et même piémontaise, du fait d’une ressemblance avec le freisa ou avec le nebbiolo. Bref, on ne sait pas grand-chose sauf que le viognier – comme son étymologie en témoigne – a fait son apparition dans la vallée du Rhône.

Son berceau ou son fief, comme on voudra, c’est Condrieu.

Les vins de Vienne, produisent les nouveaux « viogniers romains » de Seyssuel

Ce bourg de près de 4 000 habitants accroché à la rive droite du Rhône, à 11 kilomètres au sud de Vienne est très présent dans nos chroniques. Au début du XXe siècle, on le cultivait sur les pentes abruptes de cette commune pour en faire un petit blanc sec qu’on servait dans les bistrots de Saint-Etienne. Dans l’après-guerre la viticulture locale a du plomb dans l’aile : les abricotiers sont beaucoup plus rentables. Avec 4 hectares dans les années 1950, le viognier est près de disparaître.

Georges Vernay, « le pape de Condrieu »

Heureusement, un petit gars, ouvrier dans l’industrie chimique et vignerons à ses heures y croit encore. Georges Vernay le vend à la bouteille au bord de la Nationale 7, quand Jacques Pic, le tri-étoilé mythique de Valence, et Fernand Point, le non moins fameux restaurateur de Vienne, viennent le goûter, le redécouvrent et le mettent à la mode. Si, aujourd’hui, Condrieu aligne 168 hectares de Viognier, plus 3,5 hectares au Château Grillet, son grand cru, c’est grâce à Georges Vernay (1925-2017), surnommé « le pape de Condrieu ».

La renaissance de ce cépage l’a exporté de son fief.

Les Vignobles Roland Grangier, à Chavanay

D’abord à quelques encâblures puisque la Côte-Rôtie est un assemblage rouge et blanc qui en ajoute jusqu’à 20 % à de la syrah. Mais depuis une trentaine d’années, on en plante surtout pour faire des blancs secs dans toute la vallée du Rhône. On en cultive aussi dans le Languedoc, en Corse, dans la Loire et même le Beaujolais, si bien que la France en compte désormais 5 500 hectares.

Mieux : son succès est devenu planétaire avec près de 12 000 hectares de vignes en production, dont 1 400 en Australie, 1 200 aux États-Unis, 850 au Chili et en Afrique du Sud…

L’époque des petits blancs secs de comptoir est bel et bien révolue.

Le viognier donne aujourd’hui des vins d’une grande finesse, très élégants, avec un beau gras, des vins onctueux, très parfumés, aux notes florales – notamment de violette – au goût de mangue et d’abricot. En vieillissant, on lui trouve des notes de pain d’épices et de tabac. Nous avons choisi de vous en sélectionner une poignée, issus de quatre terroirs de la vallée du Rhône.

Quelques beaux Condrieu encore abordables

Cave Christophe Blanc, Imp. de la Maraze, 42410 Saint-Michel-sur-Rhône

N’y allons pas par quatre chemins : Condrieu est une star. L’émulation aidant, ce sont des vins d’une qualité exceptionnelle que s’arrachent les aficionados. Les sommeliers les mettent souvent en concurrence avec les grands bourgognes, de Chablis, Meursault, Chassagne-Montrachet, Puligny-Montrachet… et il n’est pas rares de voir les bouteilles des cuvées les plus recherchées dépasser les 100 euros.

Fort heureusement, il y a aussi les aventuriers, qui cassent les conventions les mieux établies, et réussissent des pépites sublimes en se payant le luxe effronté de les proposer à des tarifs abordables. N’ayez crainte, vous aurez cette longueur en bouche, cette souplesse, cette onctuosité qui a fait l’appellation, des violettes, des pêches blanches, des abricots et des bouquets champêtres pour accompagner idéalement les sandres, les brochets, les ombles chevaliers, les anguilles grillées et même les carpes des Dombes que cuisinent en saison les bouchons lyonnais, les recettes aristo, les homards thermidor et à l’armoricaine, voire les plats canailles comme les andouillettes déglacées au vin blanc, la blanquette de veau et le boudin blanc…

La belle aventure familiale emmenée par Christophe Pichon Photo E. Perrin

Voici donc quelques cuvées généralement entre 25 et 30 euros, parfois un peu plus mais pas beaucoup plus : Les Vallins, de Christophe Blanc, et Chays, du Domaine Chirat, à Saint-Michel-sur-Rhône, La Petite Côte, d’Yves Cuilleron, Les Terrasses, du Domaine Grangier, et le Domaine Christophe Pichon (lire plus), à Chavanay, Les Ravines, du Domaine Rémi Niero, à Condrieu.

Deux côtes-du-rhône blancs sous les Dentelles de Montmirail

Camille la vigneronne du Domaine de Saint Amant créé par Jacques Wallut

Suzette est l’une des quatre communes de l’appellation Beaumes-de-Venise, dans le Vaucluse. Au flanc des Dentelles de Montmirail, Suzette est située à une altitude comprise entre 224 et 722 mètres. La fraicheur nocturne et le mistral tempèrent le climat méditerranéen. C’est à Suzette que Jacques Wallut (1926-2021), ancien PDG fondateur de la SSII Unilog possède sa résidence secondaire. Arrivé à la retraite, il y crée le Domaine de Saint-Amant. Il plante en viognier et roussanne deux parcelles, La Tabardonne et La Borry, et comme l’AOC Beaumes-de-Venise ne reconnaît pas les blancs secs, Jacques va produire des côtes-du-rhône blancs, avec 90 % de viognier et 10 % de roussanne.

D’emblée, les deux cuvées font référence à Condrieu : on retrouve ses arômes caractéristiques de violette, de pêche blanche, d’abricot. On y ajoute cependant un zeste de citron, du jasmin et du chèvrefeuille. La Borry est un blanc frais, délicat sans la moindre lourdeur, explorant un registre tirant sur les agrumes. Doté d’une très belle finale saline, c’est un vin qui fait saliver, transparent et frais comme de l’eau de roche. La Tabardonne est une cuvée plus ambitieuse par son volume et son élevage, qui offre une matière plus charnue tout en conservant une grande élégance. Les deux font merveille avec les homards, toujours, mais aussi avec les cuisines épicées, tajines ou currys. « La Tabardonne a tout d’un grand cru, sauf le prix », s’amuse Camille, la fille de Jacques qui a pris sa succession à la tête du domaine : celle-là est vendue 18 euros, et La Borry 12 euros.

Les vins de Vienne, les tout nouveaux « viogniers romains » de Seyssuel

Yves Cuilleron, François Villard et Pierre Gaillard se sont associés pour ressusciter les cuvées Héluicum, Sotanum, Taburnum à travers Les vins de Vienne

L’histoire commence en 1996, un jour où Yves Cuilleron, l’un des trois élèves d’Etienne Guigal, le vieux pape de la Côte-Rôtie, remonte l’autoroute A7 en direction de Lyon. A la sortie de Vienne, il repère sur sa droite un coteau exposé au sud qui serait épatant pour planter de la vigne. Il en parle à ses acolytes Pierre Gaillard et François Villard qui découvrent, en se plongeant dans les archives, que cette colline couverte de broussailles était encépagée jusqu’au phylloxéra. C’est ainsi que les compères ont relancé la vigne à Seyssuel. D’emblée, ils ont mis la barre très haut, faisant des blancs et des rouges de grande qualité. Ils ont également fait du marketing, laissant croire que Seyssuel était le coteau que les légions romaines avaient planté, un siècle avant notre ère, pour vinifier le célèbre vin de Vienne…

Un quart de siècle a passé et le succès est au rendez-vous 

Une cinquantaine d’hectares, pour un potentiel trois fois supérieur, ont été plantés par 23 propriétaires sur les communes de Seyssuel, Chasse-sur-Rhône et Vienne. Des vignes ont même ressuscité, en 2020, près du vaste théâtre gallo-romain de la ville. Reste la question de l’appellation d’origine qui, au vu de la notoriété du terroir, attestée par les prix des bouteilles, est somme toute assez secondaire.

A la recherche d’une AOC en cru.

Une cinquantaine d’hectares sont plantés sur les communes de Seyssuel, Chasse-sur-Rhône et Vienne à la recherche d’une AOC

En IGP Collines rhodaniennes depuis plus de vingt ans, les vignerons espéraient passer assez vite en AOC Côtes-du-Rhône, puis en côtes-du-rhône villages, puis en côtes-du-rhône villages suivi d’une indication géographique, par exemple Seyssuel ou carrément Vienne, pour finir par obtenir l’AOC en cru (le dix-huitième des Côtes-du-Rhône), c’est à dire s’appeler simplement Seyssuel ou Vienne, à l’horizon 2025. Mais la bureaucratie administrative étant difficile à bouger, les viticulteurs de Seyssuel sont toujours en IGP.

Nonobstant, Yves Cuilleron, François Villard et Pierre Gaillard se sont associés (au sein Les vins de Vienne) pour ressusciter les cuvées Héluicum, Sotanum, Taburnum qui faisaient la gloire de Vienne sous l’Empire romain.

Hervé Avallet avec sa femme Nathalie proposent un Sole Occidente 100 % viognier

Si les deux premières sont en syrah, Taburnum est un viognier qui n’a rien à envier à ceux de Condrieu, sur l’autre rive du Rhône, pas même le prix (35 euros). « Le viognier s’y exprime à merveille, sans lourdeur, avec des notes de caramel, de fleurs blanches ; la bouche légèrement saline s’épanouit sur des touches d’amertume élégante, qui signe là un très beau vin de gastronomie », disent les connaisseurs. S’ils n’ont pas la notoriété du trio, d’autres vignerons de Seyssuel font de très beaux vins blancs à des tarifs plus accessibles. Hervé et Nathalie Avallet qui sacrifient eux aussi à la mode latine proposent leur Sole Occidente 100 % viognier à 17 euros.

Les deux viogniers Philippe Nusswitz assemblés dans le Piémont cévenol.

Cap au sud. Durfort, dans le Gard, est à la latitude de Suzette et du Domaine de Saint-Amant. C’est ici, sur les contreforts des Cévennes, que Philippe Nusswitz, meilleur sommelier de France 1986 et président des sommeliers du Languedoc-Roussillon et de la Vallée du Rhône méridionale, a créé son domaine éponyme au début des années 2000.

Philippe Nusswitz, meilleur sommelier de France 1986 a créé son domaine éponyme pour produire deux viogniers.

Après avoir longuement réfléchi, il lui est apparu que c’était dans les merveilleux terroirs du Languedoc qu’il pourrait réussir ses expériences. Voilà comment le maitre sommelier en est venu depuis vingt ans à cultiver 15 hectares de vignes bio, qu’il vendange à la maturité idéale – ses viogniers pendant la nuit pour en garder la fraicheur – et qu’il vinifie à Durfort une douzaine de cuvées dans les trois couleurs.

Ce vignoble situé à une altitude comprise entre 100 et 170 mètres produit des vins fins et équilibrés sur des parcelles à la géologie très variée – villafranchien de Durfort, dolomies de Fressac, argilo-calcaires de Saint-Nazaire, des Gardies et de Villesèque. Son viognier (50 %), ce spécialiste des blancs originaire de Ribeauvillé, en Alsace, l’assemble avec un peu de grenache, de marsanne et de roussanne pour obtenir un blanc aromatique et sec.

Appelées Orenia (« classique » à 10 euros et « réserve » à 13 euros), les cuvées de Philippe Nusswitz mêlent harmonieusement les notes d’abricot typique du viognier, à des parfums de menthe, de fleurs sauvages, avec une fin de bouche rappelant la réglisse, caractéristique de la roussanne. Le sommelier les recommande à l’apéritif, mais aussi sur des poissons grillés aux herbes ou ces petits fromages de chèvres caractéristiques des Cévennes.

Où trouver notre sélection de viogniers de la vallée du Rhône

Lire : Quand le vin fait sa révolution, Etienne Gingembre et Mohamed Najim, Ed. du Cerf, 2021, 288 p., 20€, et sa « constellation de vins d’exception, de vins de gourmandise, de vins de saveurs, de vins d’émotion »

Notre sélection

Et des adresses de Condrieu abordables

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