15 soloswhows pépites visuelles de Paris Photo 2024 (Grand Palais)
August Sandler, People of the 20th Century (Julian Sander, Cologne)
« Une photo réussie n’est qu’une étape préliminaire vers une utilisation intelligente de la photographie. […] J’aimerais beaucoup montrer à nouveau mon travail, mais je ne peux pas le montrer en une seule photo, ni en deux ou trois, après tout, ce pourraient aussi bien être des instantanés. La photographie est comme une mosaïque qui ne devient synthèse que lorsqu’elle est présentée en masse […] »,
August Sander en 1951.
Plus de 660 photos pour une fascinante collection de portraits et une entrée monumentale !
Considéré comme l’un des photographes les plus importants du XXe siècle, August Sander (1876 – 1964) a travaillé du milieu des années 1920 jusqu’à sa mort sur son ambition de représenter de manière exhaustive la structure de la société de l’époque au moyen de centaines de portraits individuels et de groupe. Toutes les classes sociales et groupes professionnels – des sans-abri au Grand-Duc – ont été photographiés par lui dans son studio ou dans leur environnement naturel, dans un style photographique sobre et neutre.
Ce faisant, il a réussi à saisir l’individualité des personnes représentées d’une manière aussi précise que sensible, tout en élaborant les traits typiques qui les identifient comme représentants d’une classe sociale particulière. Son « travail culturel en photographies », comme il l’appelait – la première photographie date de 1892, la dernière de 1954 – était de créer par cette méthode un « miroir du temps », « de donner une véritable psychologie de notre époque et de notre peuple ».
« Ce que vous avez devant vous, c’est une sorte d’histoire culturelle, ou plutôt de sociologie, des trente dernières années. Avec sa vision, son esprit, sa faculté d’observation, ses connaissances et, surtout, son immense talent photographique, Sander a réussi à écrire de la sociologie non pas en écrivant, mais en produisant des photographies – des photographies de visages et non de simples costumes. De même que l’on ne peut comprendre la nature ou l’histoire des organes physiques qu’en étudiant l’anatomie comparée, ce photographe a pratiqué une sorte de photographie comparative et a atteint un point de vue scientifique au-delà de celui du photographe de détail. Nous sommes libres d’interpréter ses photographies comme nous le souhaitons et, prises dans leur ensemble, elles constituent un matériau formidable pour l’histoire culturelle, sociale et économique des trente dernières années. »
Alfred Döblin
Marc De Blieck (Annie Gentils Gallery, Anvers)
« En regardant ensemble, naît un point commun indirect, libre de toute hiérarchie »
Marc de Blieck.
Ces dernières années, le photographe a expérimenté l’encre de couleur sur papier Awagami avec des photos représentant des fleurs ou des objets domestiques. Les images de cascades sont nouvelles, ce qui indique une nouvelle direction dans son travail. Il prouve qu’il est toujours resté peintre tout au long de son œuvre photographique.
Ses photos sont bien plus des pièces de démonstration que des inscriptions.
Eric Antoine (Dolby Chadwick Gallery)
Le photographe français crée des ambrotypes fascinants, à la frontière entre image et sculpture, réalisés selon un procédé développé à l’aube de la photographie. Ces œuvres calmes et parfois sombres, mais toujours sublimes, sont des réservoirs de sentiments et de symbolisme qui se déroulent généralement dans et autour de sa maison dans la forêt du nord-est de la France.
Ces « cartes mentales » fonctionnent comme des portraits, avec des composants disparates se combinant pour raconter la vie d’un individu spécifique. Ici, nous voyons les strates historiques non pas comme des cernes d’arbres mais comme du bois dans sa forme finale.
Une grande attention a été portée à l’utilisation par Antoine du procédé archaïque du collodion humide, l’une des premières formes de photographie. Cependant, ses images sont loin d’être nostalgiques.
« Je n’utilise pas ce médium parce que c’est quelque chose d’ancien. Je l’utilise parce que c’est le procédé le plus net et le plus organique. Ce qui compte pour moi, c’est le noir profond et l’argent chatoyant. »
De plus, le médium fluide permet à Antoine de rendre ses œuvres les plus abstraites de la même manière que ses peintures. Alors que le spectateur recherche instinctivement la figuration, le « rien » devient peu à peu tout. On voit la lune, le soleil, la lumière en général. On voit la vie et les forces qui la donnent.
Alia Ali (Loft art gallery)
Transcendant la photographie traditionnelle, présentant des pièces sculpturales et mixtes, les recherches et la pratique multimédia – du tissu au verre – d’Alia Ali s’inspirent également des discours sur la criminalité, du futurisme yéménite et de la théorie féministe, autant d’outils qui permettent de décrypter les pratiques de refus et de rupture. Ali fait appel à des histoires orales pour conceptualiser ces récits, tout en réfléchissant aux circonstances contemporaines, dans son pays natal, le Yémen, son pays d’adoption, les États-Unis, et aux innombrables lieux et peuples qui continuent de l’inspirer.
Utiliser le mot « couvrir » me pose problème. Je dirais davantage que ces gens vivent dans ces tissus. J’interroge la notion de pouvoir : peut-être d’ailleurs que nous sommes les gens couverts de ces tissus et que ce sont eux qui nous rendent visite. Ou peut-être que nous sommes cachés derrière ces tissus et que ce sont eux qui ne peuvent pas nous voir. Vous savez, une photographie peut tantôt être un miroir, tantôt être une fenêtre. Ici, il n’y a pas de miroir. Je ne veux pas que les gens se reflètent dans mes œuvres mais qu’ils prennent conscience qu’un autre monde existe. Ces photos interrogent la réalité. Qui est inclus et qui est exclu dans cet échange ?
Ali élargit actuellement sa pratique en s’inspirant d’histoires du Yémen, notamment du passé nostalgique de la reine Belquis de Saba (également connue sous le nom de reine de Saba). En enquêtant sur les histoires du passé lointain, elle aborde les réalités du présent dystopique afin de créer des espaces pour des possibilités radicalement imaginées pour l’avenir dans ce qui est devenu le futurisme yéménite.
Ramon Masats (galeria Alta)
Véritable révélation due la Foire, c’est l’un des pionniers méconnus du photojournalisme espagnol des années 60. Les photographies de Ramón Masats (1931-2024) constituent un récit profond, complexe et élégant de l’Espagne et de son peuple en transition culturelle et politique. Sa discrétion vient qu’il a travaillé seulement onze ans, entre 1953 et 1964 pour ensuite être embauché par la télévision espagnole pour faire des documentaires, pourtant son humaniste vous saute aux yeux.
« Doux, empathique et doté d’un sens pour les compositions vraiment remarquables, il a trouvé dans la photographie un moyen d’équilibrer l’éphémère et l’éternel. En tant que poète de la condition humaine, il a réalisé des images susceptibles de résonner bien au-delà des frontières de son pays. » David Campany
Aglaia Konrad, Projekt Skulptur (Nadja Vilenne)
Surprise, l’installation photographique n’est pas accrochée, mais propose une circulation labyrinthique captivante. D’autant que ses photographies, prises entre 2010 et 2017 dans des musées à travers l’Europe, partagent un intérêt pour « l’architecture sculpturale ». Son intérêt pour la présentation spatiale de la sculpture lui a permis un choix subjectif sans restriction. La géométrie monumentale de ses montages, grilles et interventions spatiales amplifie en outre la nature abstraite de ses images fixes.
Sa pratique, qui repose sur des recherches approfondies sur le terrain et sur une archive de matériel visuel en constante expansion, déploie principalement la photographie, la vidéo, la projection de diapositives et des installations photographiques à grande échelle de photocopies agrandies ou de sérigraphies, ainsi que la publication de livres d’artistes sous forme d’essais visuels photographiques.
Une grande partie de son œuvre consiste en des installations in situ de tirages photographiques à grande échelle collés directement sur du verre ou des murs, créant ainsi une tension entre les espaces représentés dans ses images photographiques et l’espace physique de l’architecture d’exposition – une stratégie qui est au cœur de sa pratique artistique.
J.D ‘Okhai Ojeikere, Hairstyle (Magnin A)
À l’âge de dix-neuf ans, J.D. ‘Okhai Ojeikere (1930 – 2014) achète un modeste appareil Brownie D sur les conseils d’un voisin qui lui apprend les rudiments de la photographie. Son talent lui vaut d’être sollicité par la West Africa Publicity pour laquelle il travaillera à plein temps de 1963 à 1975, date à laquelle il installe son studio « Foto Ojeikere « . Lors d’un festival en 1968, il prend ses premières photographies consacrées à la culture nigériane, toujours en noir et blanc, au Rolleiflex 6×6. Dès lors, et pendant quarante ans, il poursuit dans tout le pays ses recherches organisées par thème.
Hairstyle, riche de près de mille clichés, est le plus considérable et le plus abouti. Ojeikere photographie les coiffures des femmes nigérianes chaque jour dans la rue, au bureau, dans les fêtes, de façon systématique, de dos, parfois de profil et plus rarement de face. Son œuvre constitue par-delà le projet esthétique, un patrimoine unique à la fois anthropologique, ethnographique et documentaire. Les Africains de l’Ouest, et les autres Africains en général, apprécient son travail parce qu’il a documenté les coiffures traditionnelles d’une manière qui va au-delà d’une nécessité anthropologique, documenter magnifiquement une partie du patrimoine culturel qui disparaissait en raison de l’afflux de styles et d’influences nouveaux et étrangers.
Ses images ont capturé les coiffures d’une manière artistique inégalée par ses pairs, dont le travail principal à l’époque était le portrait en studio et dans une certaine mesure la photographie de rue.
Miguel Rio Branco (Paci contemporary)
Si frappe d’emblée dans ses images, c’est le sens du détail qui met en forme les émotions de leur auteur. « Je traque les cicatrices, au sens littéral ou figuratif du terme… et quelque chose d’indéfini entre la peau et l’âme, un fluide qui transparaît dans l’image. »Photographe indépendant et directeur de la photographie pour le cinéma lorsqu’il se lança dans la photographie documentaire, il se fit rapidement remarquer par la qualité dramatique de son travail en couleur. En 1980, il devint associé de Magnum Photos. Fasciné par les lieux aux contrastes forts, la puissance des couleurs et de la lumière tropicales, il fit du Brésil son principal terrain d’exploration. En 1985, il publia Dulce Sudor Amargo, un livre dans lequel il dressa un parallèle entre le côté sensuel et vital de Salvador de Bahia et le côté historique de la ville, qui à l’époque (1919) était habitée par des prostituées et des éléments marginaux de la société. Il s’agit d’un essai sur la vie et la mort, sur les cicatrices laissées par le temps et par la vie.
« Toute photographie est par nature un document, mais mon intention n’a jamais été de documenter. Je capture par la photographie des fragments de réel dissociés, épars, en essayant de répondre viscéralement à une question : pourquoi la vie doit-elle être cela ? »
On ne ressent devant ces photos aucune fascination pour la misère, mais plutôt une attention à l’usure du temps et aux blessures, qui hantent cette œuvre vécue d’abord comme une expérience poétique.
Elisa Montessori (1932) Tropismi, 1977 – 2024 (Monitor, Roma)
Artiste raffinée dans son signe et sa composition, dans les recherches et les œuvres d’Elisa Montessori – des peintures sur toile aux dessins sur papier jusqu’aux installations – on peut retracer l’influence de deux mondes : la fécondité culturelle de l’Occident et celui, plus symbolique et caché celui de l’est. Chaque œuvre est une condensation d’espace et de temps : le temps du dessin-écriture et celui du visionnage-lecture. L’espace vide du papier vécu comme un lieu de probabilités infinies.
Gilles Caron, Un monde imparfait (Galerie Anne-Laure Buffard, Paris)
Cet immense photographe de guerre (1939-1970) est pour sa galeriste Anne Buffard, « la quintessence de la juste distance », quelque soit le terrain, en guerre, du Biafra à Israël, de l’Irlande, aux rues de Paris en mai 68…
Un monde imparfait, le titre de cet accrochage (et d’un catalogue) vient d’une lettre que Gilles Caron adresse à sa mère en 1960.
« Il n’y a aucune raison pour que ce monde imparfait et ennuyeux qui m’a été donné à la naissance, je sois obligé de l’assumer et de l’améliorer dans la mesure de mes moyens. On subit toujours, mais de diverses façons. Ne rien faire, c’est désolant. Jouer un rôle, c’est prendre son siècle en main, en être imprégné tout entier. »
Anne-Laure Buffard nous explique son choix : « On est dans un monde imparfait. Qui est aussi perçu dans sa beauté par Gilles Caron. Il y a cette libération, ces émancipations, ces énergies des lanceurs de cailloux, cette chorégraphie de la révolte. Cette grande liberté qu’on ressent. Et donc, c’est vrai que ce que j’aime chez Gilles Caron, c’est cette conscience du tragique, de l’existence et, en même temps, de la beauté du monde et de nos vies. »
Mark Ruwedel (Large Glass, Londres)
Quelques images du projet en cours de Mark Ruwedel « Los Angeles : Paysages de quatre écologies » dont le titre fait référence au livre de 1971 du critique d’architecture britannique Reyner Banham, « Los Angeles : L’architecture des quatre écologies ».
Pendant trois décennies, Mark Ruwedel a photographié les déserts américains et les espaces sauvages qui portent des traces d’intervention humaine : vestiges abandonnés d’anciennes lignes de chemin de fer, sites d’essais nucléaires sinistres, maisons en ruine dans le désert à l’extérieur de Los Angeles.
« J’en suis venu à considérer la terre comme une énorme archive historique », écrivait-il en 1996. « Je m’intéresse à révéler les récits contenus dans le paysage, en particulier les endroits où la terre se révèle être à la fois un agent de changement et le champ de l’effort humain. »
Pour le projet, Ruwedel a identifié quatre « systèmes » de paysage qui se chevauchent : les rivières, la bordure orientale, les collines et les canyons et la bordure occidentale. Son travail capture les paysages dynamiques de la grande région métropolitaine de Los Angeles, façonnés par les inondations, les incendies, les tremblements de terre et les glissements de terrain ; un lieu écrasé par l’industrie, l’irrigation, l’urbanisme et les fantasmes persistants sur la nature sauvage authentique.
Misha De Ridder, Creative by nature (Galerie Caroline O’breen)
De loin la vision naturaliste de misha de ridder (NL, 1971) ressemble aux drippings de la maturité de Pollock, un all over immersif qui quand on se rapproche est constitué des couleurs changeantes du paysage du Stille Kern, une zone réensauvagée dans une forêt artificielle dans un polder aux Pays-Bas, du jaune-brun à la fin de l’hiver au vert vif et frais au printemps.. Jouant de nos perceptions, ses images calmes évoquent la contemplation et l’intimité, invitent à regarder d’un œil neuf ce que nous considérons comme connu et à repenser notre environnement. Selon misha de ridder, la réalité est un acte d’imagination profonde. ‘generative by nature’
Dans la série « generative by nature » présentée, misha de ridder est fascinée par les systèmes naturels qui agissent de manière auto-organisée et indépendante. Les organismes présents dans la nature représentent une grande variété de nouvelles solutions formelles qui dépassent de loin l’imagination des êtres humains les plus prolifiques. Chacun de ces organismes uniques est également adapté de manière unique aux exigences fonctionnelles de son environnement. La nature peut produire une variété infinie de formes à la fois nouvelles et performantes, toujours différentes, en constante évolution.
Erik Madigan Heck, The Tapestry (Christophe Guye, Zurich)
Passionnante entrée dans un univers à la fois visuellement somptueux et d’une imagination débridée, la sélection d’œuvres de l’artiste américain Erik Madigan Heck (*1983) provienne de sa récente monographie « The Tapestry » (Thames & Hudson, 2024). Elle cristallise une exploration méditative de la fusion unique de la photographie et de la peinture à la fois exploration de la couleur et de la forme et déclaration artistique éblouissante. Créateur inlassable, Madigan Heck a utilisé la pause forcée par la pandémie mondiale, comme un espace contemplatif pour revisiter une décennie de son travail de photographe et d’artiste, caractérisée par une audacieuse adoption de la lumière naturelle, résultant en une gamme étonnante d’images d’une beauté sans faille et aux couleurs vives.
« Quand on regarde l’histoire de l’art, tout ce qui est arrivé après la fin des années 1800 a eu une durée de vie limitée. La peinture et la sculpture sont les seuls médiums qui ne s’arrêteront jamais ; ils sont en constante évolution et sont tout aussi pertinents qu’il y a 400 ans. Tout le reste a une chronologie très limitée. La photographie en noir et blanc a pris fin dans les années 60. La photographie argentique en couleur a pris fin à la fin des années 90. La photographie numérique a pris fin il y a un an avec l’IA. C’est juste une reconnaissance du fait que lorsque vous commencez à utiliser un médium qui est mort, votre travail ne peut être basé que sur la nostalgie. À ce stade, je m’intéresse davantage à ce qui vient après plutôt qu’à regarder en arrière. Je suis super fasciné par l’IA et par ce qu’elle va faire à la photographie numérique. (…) La culture visuelle a été diluée parce que nous sommes tellement surexposés aux choses. Le monde d’aujourd’hui est très différent. Mais j’espère que les gens connaissent toujours mon travail et l’apprécient – c’est tout ce que je peux demander. »
Erik Madigan Heck, ArtfulLiving, 09 13, 23
Bien qu’il reste à voir comment Heck entrera dans l’histoire de l’art, il y a de fortes chances que ses créations éthérées et durables résistent à l’épreuve du temps.
Mustapha Azeroual, The Green Ray (programme BMW Art Makers)
Qui n’a jamais rêvé de voir ce que l’œil est incapable de saisir ? C’est l’ambition de The Green Ray. La couleur du ciel au lever et au coucher du soleil est enregistrée en haute mer. Les images abstraites produites offrent une existence tangible à la lumière et à la couleur. La couleur céleste étant liée à notre présence sur terre, elle évoque de manière subtile une suractivité humaine, dans la mesure où la couleur du ciel, même dans l’océan, est intrinsèquement liée à notre présence sur terre.
The Green Ray propose ainsi une œuvre tout à la fois abstraite et inscrite dans les problématiques et enjeux de notre société.
Michael Najjar, Cool Earth (BANK MAB society)
Interrogeant la relation entre réalité et simulation, Michael Najjar traite de manière complexe et critique des développements technologiques qui définissent et modifient radicalement le début du 21e siècle. Najjar développe ses œuvres photographiques et vidéo à partir d’une compréhension interdisciplinaire de l’art. Il combine la science, l’art et la technologie pour créer des visions artistiques et des utopies d’ordres sociaux futurs émergeant sous l’influence des nouvelles technologies.