Exposition : Hippolyte, Paul, Auguste : Les Flandrin, artistes et frères [Musée des Beaux-Arts de Lyon]
Catalogue : Stéphane Paccoud et Elena Marchetti. Éd. In Fine, 352 pages, 39€.
Pour sa réouverture, le Musée des Beaux-Arts de Lyon réhabilite des enfants de la ville, les frères Flandrin, Auguste (1804-1842), Hippolyte (1809-1864) et Paul (1811-1902) jusqu’au 5 septembre. Célèbres en leur temps pour avoir été élèves et fidèles apôtres de Jean Auguste Dominique Ingres (1780-1867). Tentant de renouveler le regard sur ces peintres académiques assumés, l’originalité de l’exposition est de mettre en exergue le processus créateur, croisé et individuel, de ceux qu’Ingres surnommait le « triumvirat», désignant ainsi une alliance égalitaire, sans ombres. Mais sans héritiers.
Extirper trois frères artistes du purgatoire académique
« Si les trois artistes, tout spécialement Hippolyte, comptèrent au nombre des acteurs majeurs de la scène artistique de leur temps, leur étoile pâlit progressivement, victime du désintérêt frappant de larges pans de la création du XIXe siècle. » : les deux commissaires, Stéphane Paccoud et Elena Marchetti de cette imposante exposition et catalogue – riche d’environ trois cents œuvres et objets – peintures, dessins, photos, pièces d’archives – conscient du défi souhaitent sortir des polémiques autour de l’académisme pour porter le regard sur les Flandrin vers d’autres pistes : de leur rapport au corps, à l’étude d’après nature, le sentiment de la nature à l’influence de la photographie. La catalogue superbement édité plonge dans les recherches des peintres, fournit les détails techniques et facile les rapprochements entre les dessins préparatoires et les œuvres finales, d’autant que prés de la moitié sont inédits.
Trois mousquetaires du XIXe siècle
De leurs portraits croisés qui ouvrent le parcours aux grands décors partagés, la constante collaboration et proximité des frères Flandrin, Auguste (1804-1842), Hippolyte (1809-1864) et Paul (1811-1902) constitue la première originalité de cette trinité que seule la mort sépara, de l’atelier d’Ingres à la Villa Médicis (Hippolyte fut Prix de Rome non sans mal).
Leur intimité – qui s’appuie sur l’enseignement – du primat du dessin sur la couleur – d’Ingres totalement absorbé – saute aux yeux au rapprochement de leurs œuvres – des portraits et paysages à leurs dessins préparatoires. Au point que seuls les cartels permettent de vraiment distinguer les attributions. « Ils travaillaient encore à la manière d’un atelier médiéval, mais leur histoire faite de talent et de vertus, d’union familiale, d’amitié et de liens fraternels appartient tout entière au XIXe siècle » souligne Elena Marchetti même si dans son éclairant article du catalogue, elle n’hésite pas à reconnaitre qu’ avec Polytès, fils de Priam Hippolyte va dépasser le maitre. « Rien ne les séparait, ni leurs tempéraments distincts, ni leurs dispositions artistiques propres pour des genres différents. Ils ne se ressemblaient pas, mais étaient unis par un lien solide, fondé sur leur détermination à vivre en peintres. »
Une segmentation du marché
Pour mieux conquérir un marché très concurrentiel, chacun affiche une spécialité Hippolyte, la peinture d’histoire, Paul, le paysage idéal et Auguste, le portrait, mais il est difficile de les départager. Le décès prématuré d’Auguste en 1842 brouille davantage les pistes. Les paysages léchés sur toiles gagnent en vivacité dans les études. Et l’exposition montre la machine à lisser que fut l’Atelier alors que les carnets regorgent d’une sensibilité certaine.
Retour au médiéval
La grande œuvre d’Hyppolite – qui sauve Paul aussi de l’oubli malgré la diversité de ses portraits, mais toujours à l’aulne figée ingréenne – s’impose au sens propre et figurée dans l’exécution de décors monumentaux – d’églises, de palais publics, de temples de la justice – au point qu’il s’impose comme « le plus grand peintre religieux depuis Lesueur.»
Avec en point d’orgue : l’église Saint-Germain-des-Prés, un chantier de 1842 jusqu’en 1864. « Au fil de trois campagnes différentes, parfois entrecoupées d’autres commandes monumentales, il accompagna l’évolution artistique et technique des deux frères pendant plus de vingt-deux ans » précisent Emilie Checroun et Louise Delbarre. Une projection immersive permet aux visiteurs de constater l’ampleur de la tache initiale et la qualité de la restauration achevée en 2020 après quatre ans de travaux.
L’intermédiation de la photographie
Nulle surprise que la précision photographique des portraits livrant l’image d’une société rigoriste et bourgeoise trouve dans l’outil photographie un suppléant technique pratique pour documenter ou préparer certains travaux, et fidèle pour saisir sans fard les traits de leur modèle. Pour mieux les reproduire. Avec le regret qu’aucune recherche de capter la vie ne transparait.
Multipliant les rapprochements entre les photos et les portraits, les commissaires en soulignent le caractère utilitaire loin d’une dimension artistique : « L’intérêt d’Hippolyte et de Paul pour ce nouveau médium apparaît aussitôt après sa naissance, en 1839, et s’exprime par de multiples portraits, tout comme par une volonté de transcrire leurs œuvres, sujets ici simplement esquissés à travers les pièces réunies, dans l’attente d’en prolonger l’étude. »
Interroger leur héritage
Si l’exposition tente d’évoquer un héritage, elle rapproche des poses, notamment celle de la pose du Jeune Homme replié sur lui-même revue par Wilhelm von Gloeden, Caïn, ou Robert Mapplethorpe pour Ajitto. Sans véritable valeur ajoutée au-delà de l’anecdote.
Et convainc encore moins en montrant un portrait de Degas, certes élève de Louis Lamothe, lui-même disciple de Flandrin, ici la touche l’éloigne si radicalement des Flandrin qu’elle en balaie à elle seule toute tentative d’en faire des maitres….
Aussi au fil de cette ambition (démesurée), les commissaires espèrent avoir brisé la chappe de plomb qui pesait sur les Flandrins. « Nous consignons au public et au lecteur la richesse et l’imperfection de ce matériau, dans l’optique de tenter de resituer les Flandrin en tant que trois frères artistes protagonistes d’un XIXe siècle aux mille facettes. »
Las, le visiteur retient que la chappe vient moins de la postérité que d’un zèle pratique et lucratif pour les portraits à la chaine et » la plus grande et nécessaire des peintures, la peinture religieuse » aux canons médiévistes, et des principes de perfection soutenus il est vrai par leur succès institutionnel et public.