Cinéma en salle : L’homme de la cave, de Philippe Le Guay
Sortie en salle le 13 octobre 21.
Philippe Le Guay, l’auteur-réalisateur de comédies alertes comme Alceste à Bicyclette, Les femmes du sixième ou Normandie Nue, change de tonalité. Avec L’homme de la Cave, il entraine Jérémie Renier et Bérénice Béjo dans une spirale implacable de l’impuissance face au très toxique François Clusel, qui met en doute de toute vérité pour mieux distiller le chaos. Une toxicité autant dérangeante et acide qu’une alerte très actuelle
De la comédie humaine … à la réalité toxique
Philippe Le Guay nous a habitué à des sujets plus légers, à des comédies enlevées. Il sait y faire pour nous raconter, avec fraicheur, la jalousie recuite d’un acteur misanthrope contre un autre qui lui est devenu célèbre (Alceste à Bicyclette). Il sait nous montrer le craquement d’un bonheur sur papier glacé de bourgeois des beaux quartiers, avec l’irruption d’une « bonne espagnole » (Les femmes du sixième). N’oublions pas son Normandie Nue, où, pour un prétexte un peu farfelu (à savoir la performance d’un photographe américain de fixer sur la pellicule tous les habitants nus d’un village du Perche) les vieilles rancœurs de familles craquent, le village se divise, les jalousies se réveillent.
Ne pas se fier aux apparences.
Dans la confiture des comédies, la légèreté des amusements, sont glissées quelques gouttes de l’acidité humaine. Dans tous ses films, Philippe Le Guay corrode le factice de la vie sociale pour la révéler telle qu’elle est. Et souvent, au bout, un appel d’air pour une autre vie. Derrière les sourires, des larmes. Derrière la comédie, de tristes vérités sur la nature humaine.
L’homme de la cave, son dernier film fait l’économie de la frivolité, du recours à la comédie. Il ne joue plus, ne s’amuse plus, ne mise plus sur l’humour. Non. Il s’attaque directement à ces mêmes tristes vérités, sans les enrober. Il les expose d’emblée. Le sujet est plus noir. La tension plus dramatique. Le prétexte moins anodin. De quoi s’agit-il ? Un homme, un délabré de la vie, au bout du rouleau, se porte acquéreur d’une cave dans un immeuble. Rien que de plus banal.
Ceux qui la lui vendent (M et Mme Sandberg – lui étant d’origine juive) découvrent, un peu tard, alors qu’il est indélogeable qu’il vit dans leur cave. Et surtout que c’est un activiste sur la toile qui passe son temps à nier la réalité des chambres à gaz. Ce négationniste assumé (Monsieur Fonzic, admirablement joué par François Clusel) refuse de partir malgré toutes les propositions faites. Tout le drame du film est là. Comme une araignée mortelle qui fait son nid, et tisse sa toile piégeuse, l’homme de la cave attend avec patience les réactions de ses proies.
Le virus du doute à l’oeuvre
Apprécié des copropriétaires, Monsieur Fonzic, d’une voix tranquille, invite chacun, et même l’adolescente du couple, à « penser par soi-même », à « se poser des questions », « ne pas se contenter des vérités officielles ». Derrière cette revendication légitime, et la loi qui le protège, quels vont être les effets de cette sidérante cohabitation ? Comment réagir face au virus haineux déguisé ?
Le film installe, à partir d’un geste bienveillant, un climat de tension psychique qui devient vite oppressant. Centré sur quelques personnages qui subissent les ondes méphitiques de l’Homme de la cave, Philippe Le Guay sait capter la « précipitation », au sens chimique du terme, d’énergies toxiques de proximité. Toutes viennent coloniser les cœurs puis les corps de la famille Sandberg. Autant Simon (Jérémie Renier) que son épouse Hélène, d’origine catholique (Bérénice Béjo) sans oublier, donc, leur fille unique, en pleine crise d’adolescence (Victoria Eber)…
Une mécanique étouffante, imparable
La photographie, comme la musique de Bruno Coulais – celui qui avait fait la musique des Choristes – participe de la réussite du film. Réussite que cette « inquiétante étrangeté » d’un voisin des sous-terrains qui provoque une atmosphère délétère. Réussite que cette pollution psychique qui, par lents cercles concentriques, asphyxie l’esprit de chacun. Réussite que cette remontée, à la surface des mémoires, de ce goudron de Vichy, de ce « passé qui ne passe pas » – selon l’expression d’Henry Rousso.
Toutes les évidences sont cachées – ce qui les rend encore plus dangereuses. Le spectateur se laisse prendre dans les filets d’un douloureux enfermement. Loin des caricatures, le film nous alerte. Le mal est insidieux. Derrière les apparences, la haine est tapie dans l’ombre. Restons vigilent sur nous-mêmes et sur les ravages des toxicités psychiques.
#YolandedePoncins.