Théâtre : Au bonheur des dames, d’après Zola, de Pascale Bouillon (Le Guichet Montparnasse)
Jeudi. 20h45, Dimanche. 18h.
Mise en scène et interprétation : Pascale Bouillon
Comme Virgil Tanase réussissant à condenser La Recherche du Temps perdu, en one man show délicat (jusqu’au 28 à la Contrescarpe), Pascale Bouillon signe et interprète une épopée réussie du roman de Zola, Au bonheur des Dames au Théâtre Le Guichet Montparnasse jusqu’au 27 mars. Avec un astucieux jeu scénique et de chapeaux, la comédienne incarne plus d’une vingtaine de personnages qui nous entraine dans l’ascension irrésistible du commerce moderne.
Vu à travers une femme de caractère
L’angle choisi par Pascal Bouillon est de suivre le choc d’une jeune provinciale, nièce d’un petit commerçant, devant les conséquences humaines de l’ascension du Grand Magasin et subissant des luttes de pouvoir à tous les étages. Très vite, son patron Octave Mouret devient le pivot du spectacle ; il déploie des méthodes aussi innovantes pour créer le désir de la consommatrice que radicales pour s’agrandir sans cesse, mangeant bâtiments après bâtiments, et pour gérer un personnel à disposition, dont le licenciement massif devient la soupape des variations saisonnières.
Un espace de renouvellement
La force du spectacle tient au dispositif que Pascale Bouillon manie avec dextérité et présence plus de 90 minutes pour faire vivre un véritable labyrinthe initiatique. A la fois périlleux et halenant. Avec quelques accessoires pour changer de lieux, elle s’appuie surtout sur un jeu de chapeaux, pour incarner plus d’une vingtaine de personnages : des petits commerçants écrasés par la puissance émergente de nouveau commerce jusqu’au personnel et clientes du magasin. Elle anime un théâtre de maintes rencontres entre le privé et le public, la riche et la pauvre, l’habillement et le dénuement, le désir et la résistance…
Aussi n’attendez pas des personnages dessinés à la pointe sèche, il s’agit ici de nous plonger dans le bouillonnement d’une société en mutation, souvent injuste mais aussi créative…
« On vend ce qu’on veut, lorsqu’on sait vendre ! Notre triomphe est là » Zola
Si la comédienne brosse la fabrication d’un univers certes impitoyable, entre rivalités et soumission à des petits chefs serviles, elle ne tombe ni dans une caricature ou ni dans l’excès de critiques d’un modèle qui balayera le commerce à façon. Au contraire, le spectacle apprend beaucoup de l’incroyable dynamique de succès de la grande distribution avec une connaissance innée des ressorts profonds des désirs des consommatrices. Rien n’est trop risqué pour le stimuler, innovations permanentes sur l’offre (prix cassés, produits en quantité fascinante) et surtout soigner une mise en scène spectaculaire permanente…)…
Par touche précise, se dessine l’ascension d’un entrepreneur audacieux et créatif, qui a aussi ses faiblesses sentimentales….
Une héroïne de metoo avant l’heure
L’autre ressort de la pièce qui file vite tant la comédienne sait tenir ses rôles et son public, s’appuie sur la manière dont l’héroïne préserve son intégrité, ne cèdant en rien sur les multiples rapports de pouvoir – sociaux, hiérarchiques ou physiques – qui tente de la réduire à son statut de vendeuse.
La mécanique de séduction entre celui qui fait tout pour arriver à ses fins et celle qui veut humaniser l’ambition personnelle et l’épopée commerciale donne une autre modernité au récit : ici et c’est un des rares romans des Rougont Maquart, la dignité connait non seulement une fin heureuse, mais devient la revendication de nombreux progrès sociaux qui font du Bonheur des Dames un manifeste politique passionnant. La conviction d’actions que Zola fait dire à Mouret convient aussi pour l’émancipation de la femme qu’il convoite : «C’est de vouloir et d’agir, c’est de créer enfin… Tu as une idée, tu te bats pour elle, tu l’enfonces à coups de marteau dans la tête des gens, tu la vois grandir et triompher.»
Pascale Bouillon l’a saisi elle aussi pour la faire prospérer dans un formidable spectacle !
#Olivier Olgan