Exposition Si le fleuve sous tes paupières, de Didier Boussarie (Galerie Maria Lund)
- jusqu’au 7 mai 22, Galerie Maria Lund, 48 rue de Turenne, 3e – ouvert du mardi au samedi de 12h à 19h.
- jusqu’au 26 mars 22, Surpopulation, IMMIX galerie, 116 quai de Jemmapes, 11e
Ne soyez pas dupes de l’humilité des vues que peint Didier Boussarie. La nuance est puissance. Son œuvre fait comme de l’eau, trembler les reflets au bord des paupières confirmant l’hypothèse qu’un fleuve coule « sous tes paupières… », thème d’une nouvelle exploration, que divulgue la Galerie Maria Lund jusqu’au 7 mai 22, entre humble extériorité et intériorité tremblée.
La galerie la plus authentiquement singulière de Paris
Faut-il être danoise pour l’être ?… On dirait du Hamlet, fameux Danois. Maria Lund heureusement n’a pas ses atermoiements. Elle a ses choix, audacieux et subtils, hyperbranchés sans l’être, qui n’ont rien à voir avec ce que vous voyez dans les autres galeries.
Depuis qu’elle a ouvert celle-ci, dont la haute vitrine happe le regard au 48 rue de Turenne, vous pouvez être sûr d’y voir un/e artiste à qui vous ne vous attendiez pas. Peinture, céramique, dessins, objets, maillages, laques, venus d’Asie, d’Europe du Nord et même… de France : c’est tout ce qu’il y a de contemporain parce que ce n’est pas obsédé de l’être.
Parce que Maria Lund prospecte, partout de par le monde, les ateliers autant que les foires internationales et leurs niches – résultat : quelle que soit votre sensibilité cultivée (définition du « goût », en passant), vous êtes heureux d’au moins deux expositions sur trois, ce qui, en jauge de goût, fait un fort taux, vous en conviendrez.
Commencez d’ailleurs par jeter un œil sur le panorama du site internet de la Galerie.
« Un peintre, qui n’est que peintre »…
Antonin Artaud disait cela, lyriquement, de Van Gogh, le suicidé de la société, un de ses plus forts textes. Dans un registre autrement « zen » que l’exacerbation lyrique de Vincent, Didier Boussarie est aussi peintre jusqu’au bout des ongles et des ondes.
Dès le début des années 90, ses œuvres étaient déjà des reflets, comme dans cette nouvelle série de bord de fleuve, mais pour dépasser les conquêtes du monochrome dont il héritait. Ce jeune peintre tendait alors vers cet au-delà de Rothko que celui-ci chercha jusqu’au suicide puisque dépasser son au-delà spatial était impossible pour un seul homme et pour sa génération : par-là me paraît s’expliquer que Nicolas de Staël (1913-1955), Jackson Pollock (1912-1956) et Mark Rothko (1903-1970), ces trois géants du XXème siècle, se sont tués, en l’intervalle de quelques années, désespérés par leur tentative prométhéenne mais pertinente de sortir de l’abstraction dont ils avaient puissamment fait le tour. On retrouve cet enjeu dans le dernier territoire conquis, comme il le fait régulièrement, par Didier Boussarie.
Entre humble extériorité et intériorité tremblée
Dans la présente exposition il y a un simili monochrome fidèle à ce qu’il explorait voici trente ans, en plus modulé encore, si subtil qu’on inventera pour cet artiste un nouveau sens, très figuré pour le coup, du verbe : « il subtilise », rend plus subtil. Ce tableau s’intitule Tout est possible, c’est dire… le tout au bord du rien d’où tout naît.
De là à voir trembler les reflets au bord des paupières comme de l’eau : c’est tout l’enjeu de cette exposition, entre humble extériorité et intériorité tremblée.
L’humain est cet être qui se passionne pour les reflets de l’eau…
Au fil de notre voyage vital dans l’histoire de la peinture, on a tous vu des peintres travailler comme des fous pour restituer l’effet optique que nous fait l’eau. Tel bord d’étang sombre de Nicolas Poussin ourle l’eau d’incroyable vérité et elle est plus vue que quand nous la voyons directement ; Claude Monet s’est brûlé les yeux en voulant fixer l’infixable, les impressions de lumière sur la mer ; Edouard Vuillard explique très sérieusement qu’il va consacrer des mois à vraiment observer et peindre les gouttes de l’eau…
L’aura de l’autre rive
Et Boussarie poursuit, au bord du Loiret comme du monde, où il a trouvé un modeste espace ouvert comme il pressentait en chercher un depuis longtemps. La barque est une grande toile où la réfraction de lumière fait lignes de partition qu’unissent en continu la barque et l’eau – ainsi « nous sommes tous embarqués », nous rappelle Pascal avec sa géniale économie de moyens qui dit tant.
Boussarie peint l’autre rive depuis celle-ci, et dans ces simples mots coule notre destinée, dont il rend la familière étrangeté (oui, je dis cela de la vie) avec une simplicité qui nous fait regarder autour de nous pour nous assurer que nous sommes bien là, encore là. Ne soyez donc pas dupes de l’humilité des vues que peint Didier Boussarie ; cela n’a l’air de rien, et tout d’un coup cela vous regarde.
Le corps et l’eau
Nul n’est nu s’il n’est vu. D’où tout l’insolite, fugace comme le quotidien, du corps de la compagne qui respire sans apprêts mais se vêt et se dévêt tout bonnement de bottes, culottes ou robe à motifs sur fond du cours d’eau ou en émergeant. A ceci près que les motifs sont plus vifs que ceux de la rive, pour le miracle d’un seul monde où passe l’eau et le regard avec. Cette rive est tellement là, évidente, que c’est le rêve. « Un homme, du moment qu’il est né, tombe dans la vie comme il tombe dans un rêve » (Joseph Conrad).