Théâtre Le Chaperon rouge de la rue Pigalle, de et avec Florence Hebbelynck (Manufacture des Abbesses)
De Florence Hebbelynck, Mise en scène de Stéphane Arcas, avec Florence Hebbelynck et Nicolas Luçon
Si Le petit chaperon rouge de la rue Pigalle est le récit fragmentaire d’une prostituée, la pièce mise en scène par Stéphane Arcas constitue un subtil portrait croisé de femmes. L’autrice et comédienne Florence Hebbelynck enquête sur la vie et le mystère de Cathy, femme de tête et de chair qui a su plus 60 ans durant tenir tête au « loup des villes » pour assumer une ambivalente liberté. Florence Hebbelynck et Nicolas Luçon son complice caméléon réussissent à croquer sans fard et par touches poétiques un destin riche de vies gatées.
Recréer les chainons manquants d’une vie gâtée
D’emblée, c’est un récit riche en vertiges émotionnels dans lequel vous plonge Florence Hebbelynck. Dés les premières minutes, le son qu’elle lance sur un magnétophone fait vivre la troublante voix de Cathy, prostituée qui tapinait à Pigalle à quelques mètres de son domicile parisien dont elle s’était prise d’amitié au point de l’enregistrer pour en savoir plus sa vie.
Obligé de quitter le quartier, quand des années plus tard, la comédienne souhaite retrouver Cathy, celle-ci est décédée seule et oubliée. Pour recréer les chainons manquants de cette vie gâtée – avec son lot d’injustices et malheurs (abandonnée par ses parents et violée à 17 ans par son tuteur) mais aussi d’indépendance, de revanche sociale – se lance dans une série d’interviews de celles et ceux qui ont fréquentée cette étoile filante au manteau rouge.
Aussi « Parce que ce Pigalle-là a changé et que les témoins disparaissent. Et parce que dans cette période « metoo » où la parole de la femme s’est enfin libérée face à la domination masculine, le parcours de Cathy, qui a toujours refusé cette domination, est très singulier » écrit l’autrice dans sa note d’intention » .
Interroger autant notre regard que les clichés
Pour réussir sa quête, Florence Hebbelynck fait face à tous les regards même le plus directs sur la prostitution, et ne recule devant aucun enjeu intime, notamment les nombreux parallèles entre le métier de comédienne et de prostituée. Pour aller plus loin dans ce défi de brosser cette vie meurtrie, elle peut compter sur le miroir porté par Nicolas Luçon, qui sans cesse va lui renvoyer ses questionnements et incarner les différents témoins à la fois interviewés ou intervieweurs a même de compléter ce portrait kaléidoscopique.
Se libérer de tout tentation moralisatrice
Dans cette quête d’identité, qui nous interpelle tous, Nicolas Luçon est tour à tour : le fils désormais adulte de Florence Hebbelynck qui jeune surnommait Cathy « Le Petit Chaperon rouge »., un peu incrédule du projet de sa mère, puis un producteur d’émissions haut en gouaille qui a jadis fait un reportage sur cette figure atypique de Pigalle. Il y a aussi Simone la très rigoriste visiteuse de prostituées assisté de son mari, qui se lance dans une description hilarante d’un pèlerinage à Lourdes. Sans oublier la nièce de Cathy, qui raconte la fin sordide de sa tante tout en lui vouant une très ambivalente admiration pour la liberté dont elle a su jouir…. Comme chacun sait, il est difficile de savoir ce qui vrai de ces témoignages très subjectifs parfois irrésistiblement décalés ou outrés.
Capter une tranche de vie fière, drôle et dramatique
L’effet de ce portrait façon puzzle de femmes de caractère « construit dominante plutôt que dominée » est renforcée par le décor constitué d’une multitude de marche-pieds en PVC de toute taille, empilés ou isolés, comme une métaphore d’une vie de tapin et de moments distincts qui peuvent cacher des objets accessoires d’une vie ou du récit.
Tout participe à la force théâtrale de cette démarche captivante pour croquer une réalité qui nous échappe, à mi-chemin entre une époque de tapin révolue et une prostitution omniprésence sur les réseaux sociaux, entre le documentaire sensible et l’introspection intime, le drame et l’humour, le plaisir et la gêne de regarder l’incarnation en face.
Dernière émotion, en quittant la Manufacture des Abbesses située à quelques mètres de la Place Pigalle, l’ombre de Cathy semble pouvoir surgir au coin de ces rues désormais si calmes, elle qui a tant marqué de sa présence haute en couleurs et verbe un quartier qu’il n’est plus que l’ombre de lui-même en tenant de capter les touristes sur la nostalgie d’un passé révolu.
#Olivier Olgan