Théâtre La ligne Rose, d’ Odile Blanchet, Bérénice Boccara & Sana Puis (Théâtre Lepic)
Du mercredi au vendredi à 19h le samedi à 21h, le dimanche, à 17h30
Tél. : +33 1 42 54 15 12
Si l’été a permis de lancer cette jolie pépite théâtrale, La ligne Rose des trois auteures et comédiennes, Odile Blanchet, Bérénice Boccara, Sana a gardé son rythme de conquête d’un public sensible et curieux. Il faut dire qu’elles abordent avec beaucoup de subtilité la naissance et les ambivalences du téléphone rose. La mise en scène astucieuse de Jean-Laurent Silvi valorise un spectacle bien troussé, stimulante disgression sur les frontières floues entre érotisme et manipulation. Et désormais fait partie des oubliettes de l’histoire, comme pas mal de pratiques à Montmartre !
Le téléphone comme point de départ
Elles viennent de trois milieux différents, elles se retrouvent à travailler comme opératrice aux PTT. Marthe a peur de finir vieille fille, Denise issue d’un milieu plutôt aisé veut profiter de la vie et Jeanne souhaite se refaire une nouvelle vie après les débuts difficiles. À force de passer les conversations, d’entendre la voix des hommes, elles finissent par répondre à leurs attentes et leurs désirs au téléphone contre des petites attentions. Sauf qu’elles se laissent embarquer dans une aventure qui finit par les dépasser. D’autant que les dangers pointent sur la ligne, entre le « bon copain » qui se transforme en souteneur, ou la police des mœurs qui veille au grain.
Un précipité d’histoire(s)
« Notre pièce a pour vocation d’interroger par le biais de l’humour et de la comédie, des sujets universels comme l’érotisme ou la prostitution. Notre volonté est de le faire sans détour, mais avec charme et finesse. Un jargon désuet nous permet ces sujets avec drôlerie mais sans vulgarité. » déclarent les auteures et comédiennes, Odile Blanchet, Bérénice Boccara et Sana Puis dans leur note d’intention.
Pari largement tenu ! On rit beaucoup. Le texte est écrit avec beaucoup de nuances, évite la vulgarité et autorise toutes les nuances de tendresse.
Sans que rien ne soit téléphoné
Sous couvert du détournement d’un medium technologique à des fins sensuelles, c’est aussi les marges d’émancipation des femmes qui sont dessinées avec finesse non sans problématiques. Nous sommes dans les années 1920, après la 1ere guerre. Les femmes ont été mises à contribution, si elles peuvent désormais travailler, l’indépendance reste une lutte ici haute en couleurs car le pouvoir reste l’apanage des hommes.
L’époque marque aussi un tournant dans l’expression d’une sexualité plus assumée où la bisexualité, l’homosexualité se découvrent et s’affichent …. et dans le même temps, elle reste figée dans un ordre moral prégnant.
La mise en scène de Jean Laurent Silvi (qui avait mis en scène La Conversation de Jean d’Ormesson) contribue à faire de La Ligne Rose un spectacle de haute tenue, tout comme le décor astucieux signé Olivier Prost qui nous transporte du central téléphonique à l’appartement des jeunes filles.
Autre force théâtrale : les hommes – omniprésents – interviennent seulement en voix off, créant une distance nécessaire au sujet mais signifiante pour mieux se concentrer sur les trois héroïnes, et leurs rapports avec le masculin. Ce spectacle de qualité, intelligent et drôle ne peut être réduit à sa seule programmation estivale.