Incursions sauvages : sept street-artistes au Musée de la chasse & de la nature
La biche et le Faucon nous ont à l’œil
Dès l’ entrée rue des Archives, les animaux sont omniprésents : une biche en plein course se confond entre le mur et la grille de l’entrée, comme s’il était chassé comme Bambi.
Dans la cour du musée, derrière le chevreuil traqué, un faucon gigantesque jette sa silhouette sur la façade du très classique hôtel de Guénégaud.
Il nous surplombe, nous regardant de haut comme s’il était prêt à venir bondir sur nous pour nous tailler en pièce, image digne du film Les oiseaux d’Alfred Hitchcock. Le Faucon crécerelle créé par Bordalo II est fait de plastique recyclé, rehauts à la bombe aérosol et date de 2022. Le visiteur est avertit d’emblée; Incursions sauvages est à prendre au pied de la lettre, mais le plus sauvage des animaux reste celui qui bousille la planète.
Au-delà de son puissant contraste esthétique, recherché par le commissaire Cyrille Gouyette, qui nous a habitué à la création de la rue, l’œuvre se veut aussi symbolique en nous alertant sur la pollution plastique à l’échelle mondiale, contaminant une bonne partie de la faune. Ce faucon se trouve menacé par un ennemi invisible : les particules de nos emballages plastiques, des débris et des résidus. Au fil du temps, l’oiseau en a suffisamment ingéré pour en être génétiquement modifié et devient argenté, voir métallisé.
Une volonté d’interpeller
« Le propos est aussi de s’emparer du genre du bestiaire, l’iconographie animalière étant très prisée par les street artistes. insiste Cyrille Gouyette. Nombreux sont ceux qui, dans des techniques et des registres divers et variés, convoquent les animaux dans la ville pour y « réintroduire» de la nature. (…)s. Cet accueil du street art au Musée de la Chasse et de la Nature est à la fois inattendu et très pertinent. (…) « Incursions sauvages » n’est pas un manifeste : ni démonstrative, ni chronologique, mais bien résolument artistique. Ce sont des artistes qui sont concernés par ces thèmes sans être pour autant des dénonciateurs. Ils interpellent. »
Trouver sa place et son territoire
Au rez-de-chaussée, dans la salle d’exposition temporaire, une fresque murale peinte à l’acrylique par WAR ! montre toutes sortes d’animaux sauvages traverser une ville. A la manière du film Jumanji où les animaux attaquent la ville, chevaux, girafes, éléphants, buffles chargent le visiteur, capable de tout écraser sur leur passage. Cette arche de Noé court mais ne semble pas avoir de destination en particulier, si ce n’est pour bousculer voir déloger les humains qui se sont appropriés leur habitat naturel et les repoussent sans cesse au-delà de tout territoire viable.
Sur le mur d’en face se trouve Bird of Prey, réalisé au pochoir et peinture acrylique par Jussi TwoSeven. Cette composition s’inspire d’une capture chronophotographique, où le rapace s’apprête à se saisir d’une proie pendant son envol, le mouvement de l’épervier est décomposé en 5 instantanés ou l’intensité de la peinture s’estompe au fur et à mesure de droite à gauche. De par sa nature sérielle, la technique du pochoir permet la répétition du motif de l’oiseau en simulant son mouvement.
En plein milieu des deux fresques se trouve une installation sonore nommée Urbanozoo ! faite par Sébastien Jouan. Faisant écho aux deux œuvres qui l’entourent, le monde de son évoque des voix humaines qui sont submergés par des cris d’animaux par la suite.
Le sanglier est rentré dans la ville
En montant au premier étage, un renard et un loup peint en papier se trouvent sur le chemin dans l’escalier. Arrivé en haut, le sanglier empaillé du musée se trouve dans un environnement incongru : un décor hyper urbain. Sabots sur l’asphalte, à côté d’une bouche d’égout et entouré de graffitis sur les murs. Une installation réalisée par Nadège Dauvergne.
Le triomphe d’une faune urbaine
En plein paysage urbain, un renard nous fait face avec un doudou rose en forme de lapin dans la gueule. Cette peinture acrylique faite par Ruben Carrasco suggère que les animaux sauvages peuvent cohabiter avec les humains, et que le renard ramène le doudou de l’enfant sans menace, mais plutôt comme un chien fidèle. L’esthétique de la peinture en noir et blanc fait d’autant plus ressortir le doudou rose bonbon.
Des rapprochements audacieux presque sauvages
Au deuxième étage se trouve une œuvre faite à la bombe aérosol qui confère le côté graff et l’aspect « classique » d’une peinture du XVIIe, reprise du peintre Pierre Paul Rubens. Qui de mieux pour représenter la fusion entre bête et homme qu’un centaure ? L’artiste Andrea Ravo Mattoni reprend cette image des deux centaures s’enlaçant dans une forêt, mais cette fois avec un aspect encore plus brut, marqué par l’effet de la bombe et d’un fond rouge derrière les centaures.
Soulignons d’ailleurs l’audace du Musée dans la scénographie comme des œuvres qu’il nous propose : pas de tableaux de chevalet comme ce que l’on voit habituellement dans les expositions de street art mais de véritables peintures. Le choc des cultures est total, mais gommé par la proximité et les points communs de la peinture animalière, omniprésente, rapprochements qui trouvent dans ces incursions sauvages, un stimulant devenir…
#Baptiste Le Guay