Beaux-Livres : Le vent, cela qui ne peut être peint (MuMA Le Havre - Editions Octopus)
Tous les jours sauf lundi, de 11 heures à 18 heures, les samedis et les dimanches jusqu’à 19 heures?
Catalogue : Editions Octopus, 256 p. 35 €
Si le vent ne cesse de fasciner scientifiques et artistes, « cette histoire de la sensibilité météorologique » si bien écrite par Alain Corbin (La Raphale et le zéphyr) n’avait pas fait l’objet d’une exposition aussi exhaustive au MuMa Le Havre jusqu’au 2 octobre 22. Dépassant les enjeux iconographiques des tempêtes, des arbres, ou du feuillage, tenter de le représenter reste toujours un paradoxe. « Cela qui ne peut être peint », sous-titre inspiré de Pline l’Ancien, tente de les englober toutes pour « un portrait du vent dans lequel celui-ci est tour à tour sujet social, objet d’étude scientifique et thème d’inspiration artistique. »
Le désir de vent
Autant dire que l’ambition est immense, l’iconographie somptueuse et les perspectives esthétiques fascinantes. Pour tenter de « cerner » ce qui ne s’attrape pas, le MUMA a joué la carte du rapprochement des sensibilités. Trois commissaires – Annette Haudiquet, directrice du MuMa, la photographe Jacqueline Salmon (voir infra exposition à Arles) et le critique d’art Jean-Christian Fleury – ont été à la manœuvre pour tendre les voiles, ausculter l’invisible, et trouver les mots, les images et le sens de cette histoire de l’invisible mouvant : « Elle chemine entre des artistes aux prises depuis plusieurs siècles avec le désir de vent, avec l’aspiration à en exprimer les puissances expressives. insistent-ils. Aujourd’hui encore, chacun de ces artistes trouve une manière qui lui est propre de relever le défi de l’invisible, en explorant en toute liberté les possibilités de son médium, l’histoire de la représentation ou sa propre perception sensorielle et émotive, en laissant ou en faisant agir celui qui n’a jamais cessé d’être un acteur, redouté ou bienfaisant, mais toujours fascinant. »
Près de 190 objets (du dessin au film, des objets de mesure aux cartes météos) et de nombreux techniques sont imbriquées et associées en quête d’un idéal fuyant. Le résultat est époustouflant, léger par la scénographie, profond par le savoir embarqué, tant par les pistes multidisciplinaires ouvertes, croisées et stimulées que les étincelles poétiques, scientifiques et esthétiques que les remarquables catalogue et parcours rassemblent. « Rien ne se fige, le vent s’oppose à la pensée arrêtée écrit Daniel Kunth dans son essai « Des ventes et merveilles ». Rappelons que le pneuma des Grecs est à la fois souffle et esprit. Il est aussi, dit Alain Corbin, une figure de l’oubli: oubli de l’immémorial des origines du monde et « prémonition de la mort ». Le premier souffle désigne la vie qui s’installe dans notre corps, mais, en l’effaçant, le dernier l’achève. »
Capter le vent ?
Après l’art « figé », ne croyez pas, avertissent les commissaires que le cinéma a eu raison du vent ! « L’illusion de solution technique apportée par le cinéma à l’impossibilité de représenter le vent ne tarit pas pour autant le désir des artistes visuels de se confronter à ce phénomène pour en explorer les puissances expressives et poétiques, tant il est vrai, pour reprendre les propos de Pascale Dubus, qu’« en peinture, le vent apparaît miraculeusement, telle une épiphanie figurative, pour prouver la souveraineté absolue de l’art ».
Laissons la dernière envolée à Gilles A Tiberghien, dans son essai « A tous vents » : « Le vent, ce n’est rien et c’est tout, il grave de profonds sillons dans le visage des hommes mais il en efface en même temps les traces, il est la rumeur du monde et le silence qui entoure nos nuits.»
#Olivier Olgan