Zola, l’infréquentable, de Didier Caron (Théâtre de la Contrescarpe)
Texte et mise en scène : Didier Caron – Avec : Pierre Azéma & Bruno Paviot
Créateur lumières : Denis Schlepp – Costumes : Mélisande de Serres
Après Fausse note qui mettait face à face un chef d’orchestre et un admirateur ambivalent, Didier Caron hausse d’un cran son nouveau huis clos, en confrontant Zola à l’un de ses pires contempteurs, Léon Daudet, pour son engagement pour capitaine Louis Dreyfus. La pièce tirée au cordeau tient sa force d’un verbe haut et ciselé et d’une mise en scène rythmée jusqu’à l’article « J’accuse’’. Le talent des deux comédiens Pierre Azéma et Bruno Paviot en incarnant brillamment les deux protagonistes rend très actuelle cette joute vitale entre le courage humaniste et l’antisémitisme viscéral, au Théâtre de la Contrescarpe jusqu’au 5 mai 23.
Le précipité d’une relation véridique et conflictuelle
L’occasion est trop belle et dramatiquement efficace pour Didier Caron auteur d’une pièce roborative et documenté de débuter la confrontation entre deux hommes que tout oppose le jour de l’infamie assumée par la droite nationaliste : Emile Zola est alors au fait de sa réputation d’écrivain populaire, même s’il a déjà essuyé plus d’une dizaine d’échecs pour entrer à l’Académie Française (il en totalisera 25 !). Léon Daudet, écrivain médiocre, pamphlétaire nationaliste obtus, fils d’Alphonse Daudet (celui des Lettres de mon moulin) est un antisémite notoire et fière de l’être.
Leur querelle aurait pu rester intellectuelle, s’il ne s’agissait pas de défendre l’honneur d’un homme injustement brisé, d’une plaie raciste profondément ancrée dans le corps social français et du destin d’un écrivain qui va tout jouer (honneur et fortune) et perdre (obligé de s’exiler) pour faire triompher la vérité.
J’étais hanté, je n’en dormais plus, il a fallu que je me soulage.
Je trouvais lâche de me taire.
Tant pis pour les conséquences, je suis assez fort, je brave tout !
Emile Zola
Une image moins consensuelle de l’auteur de Germinal
Des raisons (et des faits) qui l’engagent avec tous les risques judiciaires encourus (qu’il ne mesure pas assez) à la rédaction de la fameuse lettre J’accuse, paru dans le journal George Clémenceau, la pièce de Didier Caron expose les dénis de « l’Affaire Dreyfus » à travers la foi et la mauvaise foi des deux protagonistes. D’autant qu’ au fil des échanges aux positions de plus en plus irréconciliables, remontent à la surface des haines recuites, les Charcot père (le médecin, qui soigne Alphonse Daudet) et fils (l’explorateur, qui enlève Jeanne Hugo-Daudet à Léon, son mari) ou Anatole France, la détestation du naturalisme considéré comme triviale par une bourgeoisie hors sol, … C’est surtout l’occasion pour l’auteur à travers le réactif chimique que distille Daudet fils de présenter une « image d’un Zola peut-être moins lisse, moins grandiose et plus humaine, avec ses qualités et ses défauts, que celle traditionnellement véhiculée. »
Ce révélateur s’opère grâce à des dialogues remarquablement écrits et portés à incandescence par les deux acteurs Pierre Azéma (Zola) et Bruno Paviot (Daudet) ; ils tendent le récit comme un corde, où se joue l’honneur d’un homme au nom de tous les autres ! La qualité des échanges plutôt musclés leur donne aussi une dimension très actuelle où l’hydre du racisme n’est jamais très loin. « L’autre motivation pour écrire « Zola l’infréquentable » était, hélas, souligne Didier Caron dans sa note d’intention, l’extraordinaire similitude avec ce que notre époque traverse toujours maintenant, cet antisémitisme virulent qui n’a jamais disparu et qui était toléré, admis au grand jour en cette fin de XIXème siècle et auquel Zola s’est courageusement opposé. »
Cet engagement humaniste reste vital
L’écrivain y joua sa réputation, voir sa vie, les conditions de sa disparition ‘accidentelle » restent non élucidées. Didier Caron le revitalise avec subtilité en brossant « un homme avec ses failles, ses parts d’ombre et la complexité humaine qui anime chacun d’entre nous. »
Mais debout quand il s’agit de défendre la vérité.
Quant aux gens que j’accuse, je ne les connais pas, je ne les ai jamais vus, je n’ai contre eux ni rancune ni haine.
Ils ne sont pour moi que des entités, des esprits de malfaisance sociale.
Et l’acte que j’accomplis ici n’est qu’un moyen révolutionnaire pour hâter l’explosion de la vérité et de la justice.
Je n’ai qu’une passion, celle de la lumière, au nom de l’humanité qui a tant souffert et qui a droit au bonheur.
Ma protestation enflammée n’est que le cri de mon âme.
Qu’on ose donc me traduire en cour d’assises et que l’enquête ait lieu au grand jour !
J’attends
Emile Zola, J’accuse. L’Aurore 13 Janvier 1898.
#Olivier Olgan
A écouter : Émile Zola, mort pour ses idées ? (France Culture Le Cours de l’histoire, de Xavier Mauduit)