Variétés Coups de cœur de 2022 : Aurora, Julien Granel, Shygirl.
Aurora, The Gods We Can’t Touch (Decca, Universal)
On dit souvent que la plus grande musique sort du silence. C’est de ce matériau que semble émaner le son de la voix d’Aurora.
Repérée puis rapidement signée en 2015, son single Runaway rencontre un succès mondial. Son dernier album, The Gods We Can’t Touch est sorti au début de cette année. Les harmonies travaillées et les effets sur cette voix d’une tessiture remarquablement variée offre le spectacle d’une intériorité transcendée par la création artistique, du guitare voix au chant quasi-guerrier. Un voyage dans l’espace et l’infini des nuances, les milles contraste d’un paysage changeant à l’approche de la tempête. Une oscillation entre la nature tantôt protectrice, tantôt menaçante, à la manière de sa personnification grecque, Artemis.
A potion for love, parmi les derniers singles sortis, présente une balade nocturne, théâtre gracieux des vocalises de l’artiste norvégienne.
Julien Granel, Cooleur (Cinq7, Wagram)
Longtemps méprisé par les adeptes de musique – tout audiophile étant généralement versé dans le jazz, le classique ou le rock –, mais plébiscité dans les boîtes, le disco a eu la vie dure de la fin des années 70 au début des années 90. Puis à décliner, la faute au punk, qui n’a eu de cesse d’en pourfendre la dérive commerciale, sa récupération quasi-systématique par les maisons de disque, en un slogan choc mais efficace : Disco sucks.
Depuis le début des années 2000, quelques productions s’y apparentent ou s’en référent non sans arrière-pensée, mais se gardent de prononcer le mot tragique sans lui rajouter un suffixe échappatoire. On parle de disco-funk chez Jamiroquai (Little L), de disco-soul, de nu-disco. Une résurgence récente achève pourtant de redonner au style ses lettres de noblesse jusqu’à aller taquiner le haut des charts (The Weeknd, Dua Lipa, Julie Armanet, …).
Julien Granel renoue avec la formule magique du disco : des couleurs, des paroles légères sur le rythme dansant du four to the floor. Déjà consacré par la tournée des zéniths d’Angèle sur laquelle il assurait les premières parties, ce feel good artiste mélange allègrement l’héritage de la scène danse des années 70 avec ses inspirations pop et son clavier mêlé de progressions souls. Un côté loufoque et abracadabranquesque qui n’est pas sans rappeler les performances de Marc Rebillet (ci-dessus).
La scène française a contribué à ce retour aux sources à travers les productions du label Ed Banger, dirigé par le français Pedro Winter, longtemps manager des Daft Punk. À la production du dernier album de Julien Granel, on l’y retrouve en featuring sur MULTICOLORJAM 1, tandis que Laisse aller dévoile une collaboration avec Chromeo, une autre pointure du disco moderne.
Shygirl, Nymph (Because)
Étrange, et même inquiétant, c’est une réaction instinctive face à la cover de l’EP ALIAS, qui semble plus correspondre à une devanture de magasin de curiosité qu’à une sortie de hip/hop. L’univers glauque et oppressant de Shygirl encadre un éventail de musique du rap grand public jusqu’aux contours de la garage UK, en passant par l’EDM.
Son single Shlut, de l’argot résultant de l’alliage de deux mots anglais, shitty et slut, se passe de traduction – comprenez vilaine fille, mauvais garçon. Suggestif jusqu’à la censure (le clip dans sa version originale n’est disponible que sur la page onlyfans de Shygirl pour la modique somme de 15.99$/mois), l’énergie brute de l’artiste se manifeste dans l’alternance entre les passages posés (rappés) et chantés. Une prose fluide autant que brutale aérée par le chant et les guitares.
Rendez-vous à Wildfire et Firefly pour des tempos plus rapides encore, preuve s’il en est de la versatilité de cette anglaise tout à fait inclassable.