Colors Festival 2023 : un labyrinthe de Street Art à la Porte de la Villette
Dans l’ancien immeuble de bureaux mis à disposition à la Porte de la Villette par le groupe 3F, le Colors Festival célèbre jusqu’au 10 décembre 2023 trois couleurs : le rouge passion, le violet ultra et le blanc nuage. L’ immense espace éphémère sur cinq étages a été investi par plus de 80 street artistes, avec une créativité et une polyvalence explosives : des dessins figuratifs aux mondes imaginaires, de la photographie aux thématiques sociétales très actuelles. Singulars propose une sélection très subjective – de Djalouz à Priscila Barbosa – au cœur de ce lieu très discret qui garde une partie de ses secrets. A vous de les découvrir.
Un évènement éphémère
Le bâtiment sera rénové à l’issu de Colors festival le 10 décembre 2023 pour y créer des logements et des commerces. Pour participer à l’animation du quartier du XIXème arrondissement, le groupe 3F a mis à disposition l’ancien immeuble de bureaux d’Orange, à plus de 82 artistes, toutes origines et nationalités confondues, qui ont investi chaque surface des cinq étages. Singulars propose son fil d’Ariane subjectif dans ce labyrinthe de créations ininterrompues hautes en trois couleurs dominantes cette 3é édition : le rouge passion, le violet ultra et le blanc nuage!
Un passage en rouge passion
Artiste Brésilienne, Priscila Barbosa met en relation les femmes qui construisent le féminisme et qui adoptent une posture révolutionnaire. Levante-se, qui signifie lèves toi, montre dans le dessin une femme en aidant une autre à se relever, insinuant que le combat contre l’injustice passe par le fait d’être debout. Nous remarquons que les deux ont des foulards sur la bouche, comme dans les manifestations où les contestataires l’utilisent pour se protéger des gaz de bombes lacrymogène.
Dans son installation, l’artiste Djalouz traite de nombreux problèmes auquel fait face notre planète. La barque remplie de migrants vêtus de gilets orange fluo, cherchant à trouver refuge pour une vie plus digne, échappant souvent à un pays livré à la famine ou la guerre.
Sur le côté gauche, nous voyons des oiseaux avec des caméras de surveillance à la place de la tête, faisant écho à un monde où les moyens sécuritaires sont toujours plus présents et performants, mais où notre humanité s’est dissipée en contrepartie. Nous le remarquons au premier plan avec une personne allongée, cocktail en main, devant son écran et avec un casque sur les oreilles, complétement déconnecté de la dure réalité du monde extérieur.
L’artiste Mouad Aboulhana s’inspire des modes de transport quotidien utilisés à Marrakech, une calèche tirée par un cheval ci-dessus. Au second plan du mural, une mosaïque baptisée le « Smiley zelij ». Le zellige est un carreau artisanal fabriqué au Maroc qui est composé d’argile et taillé à la main après sa cuisson, ce qui lui donne une forme unique. Le chariot nous invite à grimper derrière son conducteur pour découvrir le folklore marrakchi.
L’œuvre de Smak3 représente une femme iranienne voilée avec une fêlure ensanglantée. Entre abstraction et réalisme, l’œuvre fait référence à la liberté d’expression et soutien le mouvement de reconquête du droit des femmes en Iran. La fêlure fait apparaître cette douleur, la face cachée d’une femme belle à l’extérieur mais qui saigne à l’intérieur.
Des merveilleuses surprises dans les sous terrains
Lorsque nous descendons à l’étage inférieur, l’espace qui était vraisemblablement un parking a été entièrement réinvesti par des fresques, des pièces à un long couloir le tout recouvert de dessins colorés. Un esprit underground ressort de ce lieu qui regorge de surprises picturales.
Avec une casquette sur la tête, le personnage en jaune est un dresseur de Pokemon. Immense référence à la pop culture des années 90, Le mec blasé doit lui aussi très probablement issu de cette génération pour en faire référence. Le nuage vert de droite est mis en relief, ce qui donne un effet de profondeur avec le personnage au second plan.
Dans cette pièce, on tombe sur une coccinelle géante sur un mur faite par Sax. Insecte considéré normalement mignon et comme porte bonheur lorsqu’il est sur nous, sa taille démesurée le rend impressionnant, voir intimidant. Comme si l’humain devenait minuscule, les insectes nous paraissent énorme, une perspective pouvant faire découvrir la beauté d’un monde miniature mais aussi nous faire peur car les insectes seraient beaucoup plus menaçants.
Cette hiver 2022-23, il y aurait plus de 1600 enfants dormant dans la rue en France selon Unicef, pour un total de 42 000 enfants placés dans des centres d’hébergement d’urgence.
Une réalité dure à avaler lorsque l’Article 27 de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant stipule : « Tout enfant (a) le droit à un niveau de vie suffisant à son développement physique, mental, spirituel, moral et social ». La pièce de l’artiste Olivia Paroldi nous renvoie à un cri d’enfant, déchirant le mur derrière lequel il se trouve.
Une ambiance fluo et ultra violette
En continuant ce couloir de parking qui nous amène un étage plus bas, entre des graffs dans tous les sens, des personnages fictifs, des monstres et un rat démoniaque, nous arrivons à l’étage inférieur pour de nouvelles surprises, dans un ton ultraviolet cette fois.
Taylor Barron attire l’attention sur l’urgence de la catastrophe climatique en cours, montrant des tigres menaçants prêt à dévorer deux signes en miroir. L’urgence environnementale est un combat difficile à mener, mais qui n’est pas encore perdu si chacun espère apporter un vrai changement à la situation actuelle.
D’origine espagnole, l’artiste, Iamlaia nous propose un monde aux couleurs fluos, peuplés de smileys dans un univers multicolores. Un monde amusant où tout le monde semble chanter et faire la fête avec les exclamations « La ! La ! La ! ».
En remontant d’un étage au-dessus du ré de chaussé, nous tombons sur une cuisine noire et rétro, complétement recouverte de taggues à la craie par les participants de l’exposition. Un style qui fait penser au tableau d’ardoise à l’école que nous recouvrions d’écritures ou de dessins enfants.
Une exposition magnifique, aussi bien dans la forme esthétique que du fond des messages véhiculées par les œuvres.
Il est toutefois dommage d’être aussi mal accueilli par une organisation qui cultive le secret, notamment avec une direction dont les voix paraissent impénétrables. Une expérience immersive à ne pas manquer tant les styles personnels sont identifiables, dans un labyrinthe idéalement conçu pour faire honneur au Street art dans toute sa diversité. Mais attention, tout sera effacé le 10 décembre 2023.
#Baptiste Le Guay