Nathalie Talec, Now’s the time (galerie Maubert)
On est saisi avant même d’ouvrir la porte de la galerie Maubert dans le Marais
Depuis le trottoir, l’œil est attrapé par la vision à l’intérieur d’une silhouette allongée, emmitouflée. Le décalque est troublant, la confusion totale avec la triste expérience que l’on fait chaque jour à pied dans la ville quand on reconnaît du coin de l’œil d’autres silhouettes, bien humaines et réelles, dans des halls d’immeubles sous des couvertures.
On entre. Fausse piste (sur fond de persistance de la vision/confusion), encore que… :
J’ai récemment retrouvé un ensemble d’images très anciennes. Je n’en comprends pas vraiment la nature mais elles me semblent être la source de tout. Ce sont comme les signes avant-coureurs d’une obsession. Il s’agit d’une série d’autoportraits réalisés dans un refuge abandonné de moyenne montagne.
Nous sommes à la fin des années 70. J’ai une vingtaine d’années…On m’y voit couchée à terre, emmitouflée, blottie, seule, les yeux fermés, immobile dans un tas de neige comme naufragée.
Nathalie Talec dans le beau texte affiché au mur de la Galerie, extrait de son entretien avec Jean-Yves Jouannais, Paroles gelées, collection écrits d’artistes, Editions Beaux-Arts de Paris, 2023.
Cette jeune fille allongée n’est donc autre qu’elle-même.
Comme pour mieux signifier qu’elle est « à la source de tout », la scénographie joue habilement sur l’opposition entre les espaces : à un rez-de-chaussée dépouillé qui lui est tout entier offert et dédié répond un niveau -1 saturé d’œuvres où ce personnage juvénile, omniprésent, semble en voyage dans l’œuvre de l’artiste, un voyage dans le voyage en somme tant l’ailleurs, en particulier à travers l’Arctique et la culture inuit, est présent chez Nathalie Talec, et avec lui le thème du refuge, du camouflage. Les planches d’anatomie, les chimères, les gravures du Moyen Age ne sont jamais loin non plus toujours au service d’une œuvre qui a toujours tenté « de flouter ou de dissimuler un état de conscience duelle ».
Pour la série Coming back to my own, les images s’interconnectent par la technique. Le personnage a toujours la même taille, mais autour de lui, les photos et les gravures s’agencent selon un savant équilibre des formes et des couleurs.
Pour Nathalie Talec, le regard est presque une hallucination, c’est celui de la personne qui explore et qui passe alternativement de la peur à l’hallucination. C’est aussi le regard de l’adulte aujourd’hui sur l’enfant d’hier, un enfant qui se protège autant qu’il a la volonté d’apprendre.
Florent Maubert.
The Time they are A-Changin chante Bob Dylan.
Il y a souvent des références musicales dans l’œuvre de Nathalie Talec. Pour « Now’s the time », on se dit qu’elle avait peut-être celle-ci en tête. Les temps changent et ne changent pas. La jeune fille est toujours là, comme posée sur son épaule.
Aujourd’hui, j’éprouve ce besoin impérieux de revenir aux sources de mes obsessions et d’accepter d’ouvrir cette fêlure sans laquelle aucune œuvre n’aurait pu voir le jour : en dévoilant cette partie souterraine et décomplexée du travail, celle qui échappe à la conscience, celle qui ose l’impudeur, celle qui assume les aspérités, l’hétérogénéité, l’égarement, la désolation…
Nathalie Talec.
Saisi à la sortie comme à l’arrivée.
- Pour suivre Nathalie Talec
- Son Dossier de présentation de la Galerie Maubert