Culture

Roger Waters, This is not a drill (Accord Arena – Stade Mauroy Lille)

Auteur : Jean de Faultrier
Article publié le 12 mars 2023

[Partage d’un mélomane« Do you remember me? How we used to be ?/Do you think we should be closer? » (Roger Waters)* This is not a Drill, « ceci n’est pas un exercice » même si notre mélomane y a participé car, n’écoutant que sa joie de revoir Roger Waters (et non les critiques qui émaillent ses propos et apparitions médiatisées),  Jean de Faultrier a passé une soirée mémorable à l’Accor Arena comme à chaque fois qu’il est question de Pink Floyd et de ceux qui en sont l’âme. Dernière étape de la tournée française, vendredi 12 mai au Stade Mauroy de Lille, il y sera.

*Te souviens-tu de moi ? De comment nous étions ? Penses-tu que nous devrions être plus proches ? (« Your Possible Pasts », Animals, 1977)

      • Une chronique sur Roger Waters ? Mais c’est prendre un risque !
      • Ah bon ! Lequel ?
      • Et bien, tout le monde sait… enfin il est… oui, c’est un musicien génial mais…
      • Mais quoi ?

Une musique puissante, des mots tranchants.

Controversé ? Non, avant tout Roger Waters nous tend un bras musclé par-delà les aspérités du temps, il compte parmi ceux qui nous permettent de conserver un contact avec notre enfance ou notre adolescence. Entrer dans ‘l’arène’ dont il occupe le milieu, c’est voyager un long moment dans l’espace d’une vie ou presque, emporté par une musique puissante et frappé par des mots tranchants.
Au fil des années, les textes sont devenus plus amers, de cette amertume qui pourrait ébranler les consciences mais il semble que la musique assourdisse le verbe, un verbe dont ne subsiste pour certains dès lors que le caractère infiniment provocateur.

Waters au piano, les gouvernants au pilori… This is not a Drill, Accor Arena Photo Jean de Faultrier

Avec deux soirées parisiennes (et une lilloise ce 12 mai), le co-fondateur de Pink Floyd offre à un public français, sans doute conquis d’avance par toutes les réminiscences des années glorieuses d’albums profondément ancrés dans toutes les oreilles, trois shows absolument politiques mais traversant, avec une intensité qui ne se mesure pas qu’en watts, plus de cinquante années d’explorations géniales et de trouvailles définitives. Le politique, ce sont les critiques de la finance, les accusations contre les gouvernements meurtriers, la honte que devrait susciter le commerce des armes et des armements, « l’apartheid » subi par les Palestiniens, la dénonciation des violations des droits humains, les violences contre les personnes dont le seul crime est la couleur de leur peau ou le fond de leur opinion. Le demi-siècle est un long parcours depuis The Dark Side of the Moon jusqu’à Is This the Life You Really Want en passant par The Wall, Amused To Death, Animals

Un drone pacifique vole au-dessus des spectateurs, certains s’y reconnaîtront, tel est le message. This is not a Drill, Accor Arena Photo Jean de Faultrier

Roger Waters avec une générosité heureuse figure aussi un défi à l’âge, au terme de plus de deux heures trente de bouillonnement vital il continue de haranguer ceux qui sont venus le voir pour vivre la parenthèse inspirée d’une musique reconnaissable parce que sans doute unique. Musique, images, discours, toutes ces dimensions sont poussées au paroxysme, elles sont portées par un escadron de personnalités parmi lesquelles on reconnaît comme des familiers de grands fidèles (Jon Carin), des acolytes solides (Dave Kilminster), des personnalités étonnantes (Jonathan Wilson).

Une orgie de conscience.

Inventeur de musique, créateur de sensations, il est le sculpteur de mélodies aux fluctuations infinies, il induit des remous qui enveloppent des phrases engagées parfois aiguisées comme des lames aussi brillantes qu’intransigeantes. Homme de l’hommage à la mère, homme de la perte du père, homme de la conscience des tourments de l’âme et des égarements collectifs, Waters crée ce paradoxe d’une musique qui rend heureux malgré ce qu’elle décrit.

Roger Waters, une harangue psychédélique This is not a Drill, Accor Arena Photo Jean de Faultrier

Du mur qu’il construisait avec les autres Pink Floyd sur des scènes immenses alternativement devant eux et derrière eux, Waters a conservé la présence d’écrans géants qui sont de véritables supports visuels pour ce l’on doit entendre en écoutant. Suspendus au-dessus des musiciens, ces écrans captent en permanence l’attention, images, slogans, scènes, photographies, le déluge lumineux est constant. Même au moment de la pause, un message inscrit en rouge vif invite à ne pas relâcher l’attention mais à résister.

La pause, c’est le moment de résister. This is not a Drill, Accor Arena Photo Jean de Faultrier

De même qu’il renouvelle l’image et démontre que malgré des discours alarmistes et les mauvaises nouvelles qu’il faut absorber au quotidien la haine s’étend, les inégalités perdurent, les guerres broient, Roger Waters ne fige pas ses interprétations dans la rigoureuse répétition du tout premier enregistrement, il offre des variations portées par des compagnons de scène très inspirés jusque dans des altérations de tonalités sublimant l’austérité du propos ou des rythmes repensés pour une trajectoire remodelée.

Une soirée pour tous les droits humains. This is not a Drill, Accor Arena Photo Jean de Faultrier

Il y a de l’espoir**

La scénographie des concerts de Roger Waters relève incontestablement de l’opéra, l’opéra-rock diraient peut-être ceux qui s’y connaissent. Personnages porteurs d’un livret abondant, décors homériques, lumières extrêmes, et en même temps une gestuelle épurée, on se souvient des soirées de 2018 au Paris-La Défense Arena (à l’époque U-Arena).
Alors, évoquons l’incursion réussie de Waters dans la composition d’un opéra tout à fait franco-centré puisqu’il évoque les débuts de la Révolution de 1789 et s’intitule « Ça Ira ». Composée en 1987-1988 à l’aube du bicentenaire, l’œuvre est, là encore, puissante, incontestablement Watersienne, les deux versions une anglaise et une française sur un livret de Nadine et Etienne Roda-Gil ont fait le tour des grandes scènes d’opéra du monde, notamment celle -mémorable- au Theatro Municipal de Sao Paulo en mai 2013.

#Jean de Faultrier

** There is Hope, sous-titre de l’œuvre.

Pour aller plus loin avec Roger Waters

Elève de l’école polytechnique d’architecture, Roger Waters y rencontre les amis avec qui sa vie prend, au sens du destin, une voie singulière : Syd Barrett, Nick Mason et Richard Wright. Ensemble (avec Gilmour remplaçant Barrett disparu sur la face sombre de son monde) ils vont construire d’heureux espaces où l’on se sent aujourd’hui encore dans un monde d’innovations mêlant des mélodies prodigieuses, des sonorités inédites et des embrasements inventifs.

Architecte usant de matériaux musicaux inexplorés auxquels Gilmour apportera des couleurs pénétrantes et ensorcelantes comme des ornements prodigieux, Waters propose ou impose, selon les lectures, des cathédrales de sons restées inscrites au fil des ans dans notre géographie intérieure. Jusqu’à la séparation en 1985 d’avec les trois autres… Il poursuit depuis une démarche engagée et promène un regard à la fois douloureux et mordant sur notre monde, ce que reflètent quasiment toutes ses compositions émaillées des bruits de notre civilisation.

Discographie sélective

Période sans Pink Floyd

  • Amused to Death, Columbia, Août 1992.
  • Is This the Life you Really Want, Columbia, Juin 2017.
  • Lockdown Sessions (Legacy recordings, disponible en version numérique, à paraître le 2 juin 2023).
  • Ça Ira (version française ou version anglaise), Sony Classical, septembre 2005.

Période Pink Floyd

  • The Dark Side of the Moon, Pink Floyd records, Mars 1973.
  • Animals, Pink Floyd Records, Janvier 1977.
  • The Wall, Pink Floyd Records, Novembre 1979.

A noter également l’édition de concerts en DVD immersifs :

  • In the Flesh, Sony, Avril 2002.
  • Us and Them, Sony Legacy, Octobre 2020.

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