Préhistomania, ou l’art du relevé et de sa diffusion (Musée de l'Homme)
Le pari doublement réussi
Cette passionnante exposition immersive montre comment le défi du relevé scientifique a muté pour mieux connaître et mieux protéger de fragiles œuvres pariétales, et comment les relevés participent à une réécriture de l’histoire de l’humanité. Depuis les premières découvertes des grottes d’Altamira à celle récente de Cosquer, la chronologie s’affole, pour passer à un art de 9000 ans à plus de 45 000 ans. Mais le basculement anthropologique entraine aussi un bouleversement esthétique.
Si l’influence de l’art africain est largement reconnu et promu, celle de l’art préhistorique reste curieusement en retrait. Pourtant, il est indéniable, et c’est la véritable pertinence de cette exposition, les copies grandeur nature que « remontaient » des expéditions, exposées aussi bien en Europe qu’aux Etats Unis, ont déclenché une « préhistomania » autant chez les paléontologues que les artistes.
Nous voulons que le visiteur éprouve le même choc esthétique qu’ont eu les découvreurs des premiers sites préhistoriques.
Aurélie Clemente-Ruiz, directrice du Musée de l’Homme.
Comme les visiteurs des années 30 – 50, personne ne peut rester insensible aux immenses répliques, copie originale en couleur grandeur nature de parois millénaires ornant les grottes et abris sous roche d’Afrique du Sud, du Tchad, de Papouasie-Nouvelle Guinée… Ne serait-ce que par leur taille et la qualité des relevés. L’ambition du parcours est de transmettre – ou à défaut, nous exposer au sens propre du terme – le virus de cette « préhistomanie », qui poussa des dizaines de jeunes artistes allemandes et françaises à rejoindre des expéditions aux quatre coins de l’Afrique pour relever méticuleusement les traces pariétales ou rupestres.
Remonter le temps mais aussi comprendre l’impact esthétique
Après la fascination pour ces relevés manuels respectant les plus infimes détails reproduisant jusqu’à la texture des roches, vient la temps de l’analyse de l’histoire de ces équipes – en majorité féminines recrutées dans les écoles des Beaux-Arts. On ne peut qu’admirer comment à partir de techniques plutôt sommaires, de calque des parois – sans prélèvement des pigments – elles parviennent à restituer l’œuvre si fidèlement.
De la grotte au musée
Des hommages légitimes sont rendus à ses héraults qui authentifient et diffusent leurs découvertes : l’abbé Breuil, celui expertisa les peintures d’Altamira, puis de Lascaux, L’ethnologue allemand Leo Frobenius et ses équipes d’artistes traquant la moindre paroi quel que soit la difficulté d’accès ou de relevés… pour un butin entre 1912 et les années 1950 de plus de 8 000 relevés,… Henri Lhote qui investit les sites du Tassili algérien, Gérard Bailloud qui a relevé les peintures rupestres de la région de l’Ennedi (au nord-est du Tchad) en 1956 et 1957. Ce sont ces reproductions si fraîches qui restent encore pour l’essentiel accessible aujourd’hui.
Les relevés d’arts rupestre ont joué un rôle scientifique déterminant. Mais ils ont aussi transformé la perception de la préhistoire dans le grand public, et bouleversé l’histoire de l’art
Jean-Louis Georget, Richard Kuba, Egidia Souto, co-commissaires scientifiques
Le pari d’Alfred Barr, du MOMA
Ces répliques ont aussi beaucoup voyagé ; dans une quarantaine de villes européennes, et une trentaine de villes américaines ». Avec un point d’orgue grâce à une intuition volontaire d’Alfred Barr du Museum of Modern Art (MoMA) de New York, en 1937, les répliques sont présentées sans aucune information contextuelle. Pour mieux laisser courir l’imagination des visiteurs, à commencer par les Jackson Pollock, Paul Klee, George Bataille, Picasso, Jean Arp, … qui absorbèrent le choc esthétique pour mieux le faire rebondir dans leur art …
Admirer sans dégrader
La dernière partie du parcours engagent les méthodes de pointe employées aujourd’hui pour décrypter les figures rupestres et en conserver toutes les informations. Elle interroge aussi sur la nécessité de faire connaître le patrimoine fragile que constitue l’art rupestre, et celle de le protéger des dégradations.
Pour satisfaire ces deux volontés, parfois contradictoires, les relevés d’hier et ceux d’aujourd’hui s’avèrent, plus que jamais, être des témoins indispensables.
Toujours aujourd’hui, les répliques sont les seuls accès pour découvrir la beauté de ces trésors artistiques fragiles. C’est aussi la démarche scientifique nécessaire pour permettre la transmission de ces trésors aux générations futures. Si les technologies ont évolué, la préservation de ses œuvres nous oblige.
https://youtu.be/q62shcLyM8I