Les brèves de Servane de janvier : Alain Damasio, Maggie O’Farrell, Madeleine Miller, Lola Lafon et Claire Keegan

(Brèves de lecture) Quelle que soit la densité de ses activités professionnelles, Servane Lauriot dit Prévost lit, lit même beaucoup. Et de tout, avec gourmandise, comme en témoigne la diversité des romans qu’elle recommande ce mois-ci : science-fiction avec « La Horde du Contrevent », d’Alain Damasio (Folio SF), roman historique sur Lucrèce de Médicis, « Le portrait de Mariage », de Maggie O’Farrell (Belfond), fiction sur la sorcière rencontrée par Ulysse, « Circé », Madeline Miller (Pocket), Lola Lafon enfermée dans l’Annexe d’Anne Franck, « Quand tu écouteras cette chanson » (Ma Nuit au Musée -Stock) enfin une page de l’histoire irlandaise, « Ce genre de petites choses », Claire Keegan (Sabine Wespieser).

« La Horde du Contrevent », d’Alain Damasio (éditions Folio SF)

On ne présente plus ce chef d’œuvre de la science-fiction française : quelle claque littéraire ! Avec 700 pages (numérotées de 700 à 0 d’ailleurs), ce roman est une plongée dans un univers comme vous aurez rarement l’occasion d’en découvrir. Un groupe d’élite, la Horde, a pour mission de trouver l’origine du vent dans un territoire hostile balayé par les rafales.

Ne soyez pas intimidé.e.s par la forme de ce roman, qui explore avec brio de nombreuses innovations narratives. L’écriture tranchante et crue, la maîtrise impressionnante de la langue, mais surtout le voyage épique que vous allez entreprendre avec ces personnages sont autant de raisons de tenter cette lecture culte et inédite.

 

« Le portrait de Mariage », Maggie O’Farrell (éditions Belfond)

Dans ce nouveau roman de l’autrice irlandaise de « Hamnet » (paru en 2021 aux éditions Belfond), on découvre la (trop) courte vie de la jeune Lucrèce de Médicis, dans l’Italie de la Renaissance.

Avec une terreur sourde, on assiste désespérément au destin commun de nombreuses femmes de son époque : obéir ou mourir, enfanter ou mourir, se taire ou mourir… Mourir est finalement toujours la seule alternative. A chaque page, on souhaite protéger cette jeune fille naïve, si sensible et pourtant si courageuse des jeux de pouvoir, de la cruauté et de l’absolue violence et domination des hommes de son entourage.

Lucrèce est lumineuse, Maggie O’Farrell lui confère une grâce et une intelligence qu’on aime lire dans un personnage féminin de cette époque. Comme toujours avec cette autrice, on est emmenés dans un voyage sensoriel de couleurs, textures et odeurs si vives que l’on s’y croirait. Une vraie réussite.

 

« Circé », de Madeline Miller (éditions Pocket)

Dans ce roman, quel bonheur de (re)faire la connaissance de Circé, la sorcière rencontrée par Ulysse dans l’Odyssée. Car il s’agit bien de faire connaissance : là où elle est un simple personnage secondaire chez Homère, elle est ici une personne à part entière, que l’on suit dès son enfance chez son père, le Titan Hélios, jusqu’à ses longues années de son exil sur l’île Eéa.

Dans ce récit résolument féministe, Circé est révélée. Son ambition, sa rage, ses émotions et sa douleur transpercent les pages. Rarement un personnage de roman ne m’a-t-il semblé si humain, et m’a donc autant touchée. La prose, en version originale, est magnifique, d’une justesse et d’une simplicité tout en poésie et en délicatesse. Ce n’est pas pour rien que je relisais ce roman pour la 3ème fois déjà.

 

« Quand tu écouteras cette chanson », de Lola Lafon (Ma Nuit au musée – Stock)

 Ce récit fait partie de cette collection dans laquelle des auteurs et autrices passent Une nuit dans un musée et partagent leur expérience, souvent très personnelle. Lola Lafon a décidé de passer la nuit dans l’Annexe, ces quelques mètres carrés où la famille Frank a été forcée de se cacher entre 1942 et 1944.

Elle nous offre un récit à la fois bouleversant et tout en nuance : beaucoup de pudeur, une douceur infinie mais aussi une fermeté essentielle pour ne jamais minimiser l’horreur, des émotions qui imprègnent chaque page, sans jamais verser dans le sensationnalisme.

En tissant avec dextérité trois brins – sa nuit dans l’Annexe, la vie de la famille Frank, et sa propre expérience – elle invite son lecteur à passer la nuit dans l’Annexe avec elle (littéralement et figurativement) : à rendre visite à l’absence, à se recueillir devant tout ce qui n’a pas été et ne sera jamais, à rencontrer l’Histoire avec un grand H. À s’arrêter dans le silence d’une nuit d’automne, pour faire volontairement face au vide. Un récit hors du temps.

 

« Ce genre de petites choses », de Claire Keegan (éditions Sabine Wespieser)

Années 1980, Irlande. Bill Furlong est marchand de charbon et père de famille. Il a une vie simple, que certains qualifieraient de monotone. Quelques jours avant Noël, alors qu’il livre le charbon au couvent sur les hauteurs de la ville, il fait une rencontre qui va tout changer.

En une centaine de pages, Claire Keegan évoque avec justesse un chapitre noir de l’histoire d’Irlande. Mais contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce court roman est surtout le portrait des quelques jours de la vie d’un héros ordinaire. Claire Keegan réussit à camper une ambiance à la fois riche et dépouillée, tout en simplicité mais d’une profondeur inattendue.

Servane Lauriot dit Prévost